Ceci est le premier épisode de l’odyssée vers les atolls isolés de Palmerston, Nassau, Souwarrow et Pukapuka dans les îles Cook. Des atolls quasiment inaccessibles. Sauf par bateau. Et comme on peut le lire ci-dessous, c’est tout le problème.
L’odyssée vers les atolls lointains du nord des îles Cook a très mal (mais vraiment très mal) commencé.
Le bateau d’abord. On le découvre sur le quai de l’île de Rarotonga, dans les îles Cook, croulant sous le poids des marchandises. Une misérable coque rouillée, penchée vers l’arrière comme si elle faisait pipi dans l’océan, décolorée par le sel et les embruns, la victime parfaite de la négligence la plus abjecte.
Oui, le Discovery est une misérable loque brinquebalante et sale à l’image de son capitaine.
Le capitaine Graham Wragg, surnommé après quelques jours, le capitaine Crouille, porte toute la responsabilité d’un voyage au paradis qui s’est transformé, au fil des jours, en un sombre cauchemar pour les dix membres du groupe.
Au fil des jours, les sentiments du groupe et de moi-même ont oscillé entre le défaitisme, la stupéfaction de s’être laissé entraîner dans une aventure pareille, la frustration, la colère. Sans oublier un sentiment fâcheux de peur ; vous savez celle qui vous réveille le matin et qui vous ronge les parcelles de bon sens, et qui vous chuchote : « Damien, tu es un crétin, tu ne vas jamais retrouver la terre ferme ».
Le bateau s’appelle le « Discovery ». Il est donc crasseux, gorgé de graisse malodorante laissée par son capitaine au gré de ces multiples interventions sur les moteurs diesel morts de fatigue. La graisse et la crasse sont omniprésentes: sur les écoutilles, sur les marches des échelles menant aux coursives, dans les coursives, sur les banquettes, dans les toilettes.
Il est aussi dangereux. Il tangue comme un danseur de tango ivre, au gré de la houle et des alizés du Pacifique Sud qui, croyez-moi, ne sont pas une vue de l’esprit. Décidemment, le bateau est trop lourd, trop déséquilibré, trop lent. Il est aussi rouillé.
Chaque jour, entre café et tasse de thé de l’aube, on découvre une mauvaise nouvelle. Il n’y a pas de sextant. Le radar ne fonctionne pas. Les jauges ne marchent pas. Le moteur bâbord a des défaillances. L’ancre montre des signes ostensibles de faiblesse. Le congélateur s’éteint quand les moteurs sont au repos ; résultat, la nourriture gèle et dégèle. Les toilettes ne fonctionnent pas. La ventilation est inexistante et les passagers payants du pont inférieur suffoquent sous les miasmes des fumées du diésel.
Le matériel de plongée est défaillant.
Il n’y a que quelques pansements et du paracétamol comme kit de premiers secours.
Il n’y a que des bidons d’eau potable, attachés un peu partout, et qui au fil des jours ne donne qu’une eau fétide et tiède.
La cuisine est immonde. Et les passagers sont obligés de faire la cuisine dans un espace minuscule, pour onze personnes. Le capitaine plonge ses doigts noirs et se bâfre comme un cochon, torse nu et odeur malodorante en bonus pour tous les autres. En tout et pour tout, il n’y avait que six carottes, quelques tomates, des oranges et des bananes comme nourriture fraîche pour onze personnes et pour 15 jours. Le reste n’était que boîtes de conserve (souvent avariées), du fromage et des pâtes.
Le capitaine Crouille est de cette espèce de loup de mer, si bien décrit dans les Nouvelles de Jack London au début du XXème siècle et qui fleurissaient dans les mers du Sud. Une sorte de mercenaire des mers incompétent, suffisant et dédaigneux, sale et cupide, qui graisse sans doute la patte aux fonctionnaires de l’immigration des îles Cook, de Tokelau et d’ailleurs. Son site professe d’un ton docte et enthousiaste les multiples joies de l’éco-tourisme dans des atolls perdus dans l’immensité du Pacifique. Son site scintille de photos mirifiques retouchées dans Picasa et sous les flashs neutres des appareils de photo.
Le capitaine Crouille mélange allègrement aventure avec manque de préparation et profond dédain pour les passagers et les insulaires des îles qu’il dit vouloir soutenir.
L’ancien nom du « Discovery » est le Bounty Bay . Le terme de « mutinés du Bounty » est célèbre dans les chaumières du grand Pacifique. Et c’est précisément ce sentiment de révolte qui a dominé au sein du groupe tout au long de cette traversée cauchemardesque.
Nous – le groupe – avons décidé de traîner le capitaine Crouille en justice. Ou tout au moins d’alerter les autorités de Nouvelle-Zélande, des îles Cook et de Samoa pour l’empêcher dorénavant de rouler dans la farine des passionnés des îles lointaines. Nous échafaudons un plan ( dossier, preuves, faits) pour l’empêcher de nuire. Ce gars-là est dangereux.
C’est vrai. Nous aurions dû vérifier auparavant. Nous aurions dû lire plus attentivement ce qui se dit sur le capitaine et sur la compagnie qu’il possède, Pacific Expedition Ltd. Nous ne l’avons pas fait, et le sentiment de colère et de frustration n’en ont été que plus grands.
En dépit de tout cela, nous avons passé de bons moments sur le bateau. Je raconte cela dans le prochain épisode. Parce que, finalement, nous sommes vivants. Je suis vivant.
Il existe un site qui condense les indignations des passagers qui ont été floués par la Compagnie « Pacific Expeditions Ltd », dirigée par Graham Wragg.