« La vie, c’est la naissance et la mort avec la souffrance entre les deux » me dit souvent – en riant – mon « chéri ». Il n’est jamais à court d’axiomes ou de maximes d’inspiration bouddhiste, comme cette autre : « khit dee, phout dee, tham dee » (pense bien, parle bien, tu feras bien)… un enchaînement positif de la pensée qui conduit aux mots et des mots aux actes.
La naissance nous condamne automatiquement à mort, c’est inéluctable. Et la mort, elle, nous délivre des souffrances et souvent des souffrances dues à la vieillesse, à l’isolement, à la solitude.
La Thailande, comme la Chine, l’Inde, sont en train de réaliser avec étonnement qu’il y a, ou y aura, plus de vieux que de jeunes dans leur société : une pyramide aux pieds d’argile. En Europe c’est déjà fait. Ces sociétés se croyaient-elles jeunes éternellement ?… Lorsque j’enseignais à Udon Thani il y a quelques annees, je me souviens avoir souvent eu cette impression « de vivre dans une cour de récréation ».
La société thaie a changé de façon significative ces dernières années, suivant le modèle occidental, « for good and bad », avec une migration des campagnes vers les villes, des rizières vers le béton, laissant parfois les personnes âgées livrées à elles-mêmes, à la pauvreté, la maladie, l’infirmité, la solitude, l’humiliation et la peur… Ces personnes âgées ont connu l’époque où les « vieux » (guillemets de respect) mouraient doucement entourés des enfants et petits-enfants. J’en ai rencontré encore beaucoup dans les villages Karen aux alentours de Mae Sariang.
Dans le magazine « Life » d’hier, je lisais le suicide par le feu d’un grand-père. Il avait mis le feu à sa misérable hutte et laissé cette note pathétique : « Mes petits-enfants ne veulent pas de moi. Si j’ai commis des fautes j’en demande pardon. Personne n’aura plus à s’en faire pour moi, la crémation est faite ». Il est mort dans le brasier allumé par lui-même.
Lorsque tout va trop vite, boom économique fulgurant, comme en Chine, le social ne suit pas. Le gouvernement thaïlandais donne 800 bahts (20 euros) aux personnes les plus âgées. Quant aux structures pour les accueillir, n’en parlons pas, elles sont quasiment inexistantes.
Dans mon immeuble de Chiang Mai, les ¾ des propriétaires sont des bangkokiens qui ont acheté des appartements « pour plus tard ». Comme mon amie X qui travaille pour une compagnie américaine. Elle a acheté 2 appartements dans l’immeuble et possède 3 studios dans la capitale. « Pour ma retraite » dit-elle, car à l’inverse des fonctionnaires (armée, police, enseignants), il n’y a pas de retraite assurée lorsqu’on travaille dans le privé.
Ceux qui ont la chance d’avoir des jobs bien payés, empruntent aux banques et investissent dans l’immobilier comme des fous « pour leurs vieux jours », au risque de constituer une « bulle » comme aux Etats-Unis ou même en Chine. Chiang Mai semble être prise de constructionnisme aiguë. Immeubles de luxe, malls, centres commerciaux, galeries marchandes…sortent de terre a une vitesse hallucinante. Travail jour et nuit, souvent assuré par une main-d’œuvre venue de Birmanie.
J’expliquais à mon amie thaie, que je pensais toujours à mes enfants en priorité, raison pour laquelle je n’avais pas acheté de maison en Thailande (obligation de la mettre au nom d’un tiers thailandais, contrairement aux appartements dont on peut être propriétaire). « Tu penses à tes enfants d’abord ? C’est comme ça en France ? » J’aurais voulu photographier son étonnement, elle qui possède 3 voitures à Bangkok et une Mercedes à Chiang Mai. « Pourquoi garder pour les enfants, ils vont faire leur vie dans un monde en développement, non ? »
La Thaïlande est un peuple optimiste, elle croit au développement, à l’expansion sans limite, à l’évolution matérielle…. Et nous ? vieux pays sans illusion dirigé par des hommes politiques qui n’ont que des promesses à offrir, en quoi croyons-nous encore ? (oui je sais, certains vont me repondre : la revolution… mais pour faire la revolution il faut qu’il y ait encore quelque chose à prendre… et les riches possedants ne sont plus en France depuis des lustres)
Les thailandais ne connaissent pas leur chance : ils croient encore à « l’apres-vie » avec son cycle des renaissances, et ils croient encore à l’amelioration matérielle de la vie par le travail…
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