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Jill la Blanche et Peter l’aborigène ; deux mondes que tout sépare…

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 Jill la « Blanche » anthropologue et Peter l’aborigène danseur si attaché à sa Terre d’Arnhem ; deux êtres que tout oppose et qui pourtant leur rencontre a donné lieu à de passionnantes découvertes …

Jill et Peter vivent dans deux mondes que tout sépare.

Elle: Elle s’appelle Jill Charker. Elle travaille provisoirement pour le bureau Australien des statistiques. Elle sillonne le nord de cette île-continent et pose des tas de questions pertinentes et impertinentes à tous ceux qui vivent dans ce pays aussi démesuré que vide.

Jill et peter l'aborigene
Photo David Sproule, the Australian

 

Je ne sais rien d’elle. Je ne la connais pas. Si ; je sais une chose : elle recense.

Pourtant, elle m’est familière, le genre de jeune femme dynamique qui s’entretient, le style de femme qui court les rues et que vous croisez dans les boulevards sans plus les voir. Elle est bien coiffée. Elle a les cheveux propres. Sa peau sent certainement le savon, elle est discrètement maquillée. Ses mains sont impeccables. Elle a un regard vif, chaleureux. Elle veut inspirer confiance, se mettre à son niveau, com-mu-ni-quer.

Elle ne heurte pas, elle ne choque pas. Elle est typiquement australienne. Elle fleure la bonne santé, l’Etat providence, les plages ensoleillées, les bons dentistes, la vie saine au grand air sous un climat souvent proche de la perfection, sauf quand il déraille. Elle connaît les conseils de prévention contre le cancer de la peau.

Le tee-shirt fourni par les statistiques est propre. Bien repassé. Ce n’est pas parce que je suis dans le bush qu’il faut que je m’habille en broussarde, pense-t-elle en commençant sa journée. Elle assume une fonction et doit représenter une Administration qui se respecte en respectant, de temps en temps, l’autre.

On pourrait la croiser dans un campus de Sydney, Melbourne ou en train de faire du shopping dans un mall climatisé. Le soir, elle rejoint des amis et des amies pour boire un coup. Avec modération. On sent qu’elle ne fume pas. On devine qu’elle recense pour faire autre chose. Sortir de sa routine. Un travail provisoire qui lui permet de rencontrer des gens qu’elle ne rencontrerait probablement jamais. Un peu comme à l’armée.

Lui : Il s’appelle Peter Gurruwiwi. Il est danseur traditionnel et vit dans la Terre d’Arnhem, là où cette photo est prise. Il lui répond. Il n’est pas hostile mais guère enthousiaste.

La Terre d’Arnhem, c’est son territoire. Grand comme la France, peuplé comme un village. Laissé à lui-même, il y vit. Laissés à nous-mêmes, nous n’y survivrions pas.

J’ai beau me creuser la tête, je n’arrive pas à le qualifier. Il semble loin, vaguement ennuyé. On dirait que son esprit est parti « walkabout », ailleurs, chez ses ancêtres, loin. Un endroit où je serais toujours un étranger.

Il connaît dans son âme les us et les coutumes de son clan, de sa tribu. Il danse mais ne partage pas. Ses pensées secrètes et enfouies dans les strates de sa tradition demeurent incompréhensibles pour toute personne qui ne tâte pas de l’anthropologie. Et encore.

A propos d’anthropologue, en voilà un accoudé au bar.

Après un « want a drink, mate? », il vous dira : « ils » sont complètement différents de « ceux d’ici ». Tu fais une petite centaine de kilomètres sur des pistes vides, mate, et ils sont déjà totalement différents, avec d’autres langues, d’autres coutumes, d’autres croyances. Tu comprends ?

Non. Pas vraiment. L’Aborigène est pour moi un mystère. Le matin, je lis ses  problèmes dans les journaux et je le plains. L’après-midi, dans la rue en train d’attendre sans rien faire l’ouverture du magasin d’alcool, il m’agace. Le soir, il est parfois complètement pété et il m’exaspère. Mais là-bas, ailleurs, loin des villes, là-bas dans le bush, « ils » sont complètement différents, mate, tu comprends ?

Il se fout de mes clichés, l’aborigène. Il m’interpelle parce qu’il n’entre pas dans ma case bonne conscience, ou celle de la compréhension.

Il danse. Il peint. Il vadrouille. Il disparaît. Il dépense peinard les subventions, voilà la vérité. Il alimente une industrie bien pensante et opportuniste qui s’appelle services sociaux, santé et éducation, développement, canettes de bière et marchands de tableaux.

L’Administration de l’Etat-papa se casse la tête pour savoir comment aider, aimer, éduquer « ses » aborigènes. Elle découvre des sévices sexuels d’un autre âge faits aux enfants. Elle n’avale pas cette déchéance morale, ce désespoir abyssal et mystérieux et triste, qui constitue l’épine du pied de cette société blanche souvent généreuse, parfois vénéneuse. Elle veut aider. Elle ne fait que colmater.

Nulle part ailleurs on ne trouve une société aussi différente, unie sous le même drapeau. Les uns s’adaptent, suivent les lois, ont peur des flics, payent les impôts. Les politiciens les ennuient. Les autres, les aborigènes ne veulent pas ou plus se plier aux lois de la majorité. La politique, quelle politique? celle des Blancs? Ils vivent, pensent, meurent différemment. C’est comme ça. Les plus incroyables bêtises et les plus belles actions n’ont pas réussi à souder ces deux communautés.

Bien sûr, les aborigènes, il en existe des éduqués, des comme vous et moi, des politiciens et des sportifs. Mais on en parle presque avec incrédulité.

Lui, danse. Et là, il répond aux questions devant le photographe. On sent chez lui une légère appréhension, une petite méfiance, un ennui las. Elle sourit. Lui pas. Il ne pose pas devant le photographe.

Mais je dis ça…, je ne sais pas au fond. Sur cette photo, j’arrive à « lire » la jeune femme, à l’imaginer. Elle provient du même moule. Mais lui…je ne sais pas. Il est insondable et attirant, sympathique et différent. J’aimerais lui parler, échanger. Mais parler de quoi ? Echanger quoi ?

Je sais que je pourrais discuter avec elle, le soir, si je la rencontrais dans un bar. Et avec l’anthropologue, on pourrait deviser des heures sur l’altérité, l’acculturation, le développement à sens unique, les impôts, les régulations. Les Blancs causent aux Blancs.

Je sais aussi que je ne saurais absolument pas quoi dire à Peter.

J’imagine le dialogue :

Moi : Vous avez des enfants ?

Lui : Quelques-uns.

Moi : Vous habitez où ?

Lui : Un peu partout. Ici aujourd’hui, là-bas demain.

Moi : Vous dansez ?

Lui : Pour rester en contact avec mes ancêtres.

Moi : Les ancêtres ?

Lui : Oui. L’eau, le ciel, la Terre. Les étoiles. Les esprits. Le vent.

Bien sûr, je ferais semblant de comprendre. J’ai fait des études, je resterais poli, je suis chez lui. Mais tout nous sépare, en réalité.

C’est cela qui est fascinant. Peter Gurruwiwi danse, Jill recense. Point final.

Damien Personnaz

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