Entre le quarantième anniversaire du premier pas sur la Lune et l’éclipse solaire du siècle, visible d’Asie, notre satellite s’inscrit dans l’actualité et redevient à la mode. Peut-être avait-on un peu trop vite oublié cet exploit des astronautes américains que, en dépit de technologies nettement plus sophistiquées, nous serions aujourd’hui incapables de renouveler.<
Certes, le plus modeste portable actuel affiche une mémoire supérieure à celle de l’ordinateur de bord d’Apollo XI. Mais l’absence de volonté politique, les réductions budgétaires et l’hystérie du « risque zéro » semblent avoir, jusqu’à présent, justifié la paralysie de presque tous les projets ambitieux.
Ce jour de juillet 1969 fut si exceptionnel que chacun se rappelle ce qu’il faisait à ce moment, c’est devenu un lieu commun de le noter. Voilà pourquoi il s’agit sans doute de l’un de mes souvenirs d’enfance les plus présents dans ma mémoire. En dépit de l’heure avancée de la nuit (il devait être environ 3 H ou 3 H 30 du matin), mes parents, conscients de ce que représentait ce « pas de géant pour l’humanité », m’avaient laissé suivre la retransmission sur l’écran noir et blanc de la télévision familiale. J’avais regardé Neil Armstrong descendre du LEM avec les yeux, émerveillés plus qu’incrédules, de mes dix ans. Avec le recul, c’est à ma grand’mère que je pense : à 81 ans (elle avait 17 ans à la mort de Jules Verne…), elle vivait en direct un événement pour elle d’autant plus incroyable qu’elle avait connu les fiacres et les calèches dans les rues de Paris, les chandelles et les lampes à pétrole. Elle seule, parmi nous, pouvait vraiment mesurer le progrès qu’avait apporté ce XXe siècle par ailleurs largement chaotique.
A l’époque, dans l’enthousiasme de la conquête spatiale, on voulait croire – les enfants n’étaient, à cet égard, pas les seuls concernés – que l’an 2000 serait le théâtre d’autres progrès, notamment en matière de transports : il n’était question que d’avions commerciaux géants et supersoniques, de fusées plus puissantes, de conquête de Mars et de véhicules volants ou à sustentation magnétique. Un univers proche du Cinquième élément de Luc Besson. Autant de rêves abandonnés ou impossibles ! Cependant, pour débridées que fussent les imaginations à la fin des « trente glorieuses », elles ne surpassaient pas celle de Jules Verne lorsqu’il écrivit sa dilogie, De la terre à la Lune (1865) et Autour de la Lune (1870).
Ces deux titres sont disponibles en éditions de poche (Le Livre de poche, Elcy, Gallimard-Folio, Garnier Flammarion) pour un prix modique ; on peut également les lire en ligne sur Internet ou les télécharger gratuitement depuis le site Gallica de la Bibliothèque nationale dans la mythique édition Hetzel illustrée de beaux dessins de Henri de Montaut gravés par Pannemaker (pour le premier ouvrage), d’Alphonse de Neuville et Emile Bayard, gravés par Hildibrand (pour le second).
Nul n’est besoin d’être un enfant pour lire et relire Jules Verne. Ces deux romans seraient d’ailleurs de bien meilleurs « livres de plage » que nombre de ceux qui figurent actuellement en tête des ventes et dont l’absence de style rivalise avec le peu d’intérêt de l’intrigue. Jules Verne, comme Alexandre Dumas, écrivait certes des romans populaires, mais en prenant soin de ne sacrifier ni l’un ni l’autre. Or, il faut le souligner, en matière d’intrigue, les deux volumes consacrés au voyage lunaire se montrent particulièrement riches. Le choix d’achever De la terre à la Lune sur une incertitude, afin de mieux ménager le suspens et laisser chacun en attente de la publication d’Autour de la Lune reste naturellement une vieille ficelle d’écrivain et d’auteur de roman-feuilleton, mais il prouve que le lecteur ne risque jamais de s’ennuyer.
Sans doute existe t-il un parallèle entre l’époque où furent écrits ces deux romans et la fin des années 1960 où l’homme marqua sa première empreinte de semelle dans la poussière grisâtre de notre satellite. Le XIXe siècle finissant voulait consacrer le triomphe de la science, suggérer que la quête de la connaissance qu’elle induisait allait l’emporter sur les valeurs nationalistes et religieuses, génératrices de conflits et d’obscurantisme. Le héros subissait une mutation : l’homme de guerre s’effaçait devant l’homme de science, tout aussi prêt que lui à sacrifier sa vie, mais dans un autre but, cette fois pacifique et progressiste. Cent ans plus tard, un même enthousiasme accompagnait le succès d’Apollo XI. Le souvenir de la seconde guerre mondiale et la réalité de la guerre froide prenaient seulement la place des combats de la guerre de Sécession que Jules Verne avait évoqués. Dans les deux cas, l’Histoire et l’économie se sont chargées d’anéantir ces élans utopistes ou de simple optimisme. Cependant, l’espoir demeure : les projets de retour sur la Lune et d’une exploration de Mars, pour lointains qu’ils soient, viennent aujourd’hui l’entretenir.
Au-delà de l’intrigue, ce qui fascine le lecteur de Jules Verne, c’est l’étonnante force prémonitoire de son texte. Si le lanceur du roman – un immense canon baptisé « Colombiad » – demeure une aberration scientifique, l’écrivain avait déterminé une durée de voyage proche celles des missions Apollo. En outre, il avait donné l’initiative de l’expédition aux Etats-Unis et situé le lieu de lancement (dont il explique le bien-fondé au chapitre XI) en Floride, à quelques kilomètres de la base de Cap Canaveral. Comme pour Apollo VIII, le vaisseau tournait en orbite lunaire avant de revenir sur terre et le nombre d’astronautes avait été fixé à 3. Enfin, le romancier avait imaginé que la récupération de la capsule se ferait en mer. Curieuse succession de coïncidences.
Il convient de préciser que l’auteur, tout comme son contemporain Flaubert, n’écrivait guère sans s’appuyer sur une solide documentation. Ses deux livres dressent ainsi un état des lieux des connaissances scientifiques de son époque. Aucune part n’est laissée au surnaturel ou aux invraisemblances flagrantes, contrairement au Voyage dans la lune de Cyrano de Bergerac (1655) ou au célèbre film de Georges Méliès (1902), qui laissait découvrir, dans un décor baroque, une hypothétique population lunaire qui l’était tout autant. Chez Jules Verne, ce n’est pas le merveilleux qui l’emporte, mais le rêve. Cette raison ne se suffit-elle pas à elle-même pour nous inviter à le relire?
Illustrations : Jules Verne, photographie – Astronaute, document NASA – Couverture dela collection Hetzel – Le Train de projectiles, gravure.
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Merci pour le voyage