L’Eve future, roman de SF, nous convie à un voyage dans le temps futur du Villiers de l’Isle-Adam qui est devenu notre présent et peut-être même déjà un peu notre passé. Il est donc fort intéressant de constater comment un écrivain concevait notre temps il y a un peu plus de cent ans. Et, surtout de voir comment il imaginait la création de l’homme, en fait la femme, artificiel doué des qualités humaines.
Je n’aurai pas la prétention de vous expliquer comment cette Eve future, cette « Andréide », a été conçue et fabriquée mais, je peux essayer de vous raconter comment Villiers a imaginé cet être futur et les motivations qui semblaient l’animer à cette époque.
Pour mener à bien son projet, Villiers confie à Thomas Edison, le génial inventeur, la mission de construire une femme artificielle possédant tous les avantages de la féminité mais aucun de ses défauts, « enfin, cette éblouissante sera non plus une femme, mais un ange ; non plus une maîtresse, mais une amante ; non plus la Réalité, mais l’Idéal. »
Cette femme future, l’ « Andréide » comme Villiers la dénomme, est conçue par Edison pour proposer une alternative à son bienfaiteur qui veut se suicider parce qu’il est fou amoureux d’une très belle femme, mais hélas très sotte aussi, qui ne peut décemment pas partager la vie d’un gentilhomme anglais. Edison lui propose donc de prendre pour compagne une femme artificielle qui aurait toutes les grâces de sa maîtresse mais l’intelligence et la culture qu’il voudrait qu’elle possède pour bien figurer dans le monde qu’il fréquente.
Après un long exposé au cours duquel Edison explique comment il va résoudre tous les problèmes techniques que posent cette création et tous les avantages que représentent la vie avec un être artificiel, l’ami se trouve devant un cruel dilemme : accepter l’authentique, le vrai, le réel avec ses inconvénients ou se satisfaire des apparences les plus convaincantes de la réalité, de l’illusion de l’être vivant.
Une grande partie du discours tourne autour de ce débat entre la préférence de l’être ou de l’apparence de l’être. Et, l’ « Andréide » propose, elle-même, « à toi de choisir entre moi… et l’ancienne raison, qui, tous les jours, te ment, t’abuse, te désespère, te trahit. » Et « comme une femme, je ne serai pour toi que ce que tu me croiras. » L’argumentaire, n’est pas très sympathique pour la gent féminine qui doit se contenter de satisfaire l’amant, d’être belle et attentive et de répondre aux attentes du maître sans jamais le ridiculiser. Et, pour ce faire, autant prendre un robot que la science sait maintenant réaliser pour le plus grand bien des hommes.
A travers ce texte, bien touffu, très daté, où il est difficile de se mouvoir tant la formulation est ampoulée et emphatique, et, où je me suis souvent égaré, il est intéressant d’essayer de chausser les bottes de l’historiographe pour constater comment, à travers un roman d’anticipation, on concevait le monde d’aujourd’hui il y a plus de cent ans. Il est étonnant de constater que les hypothèses avancées par Villiers sont souvent dignes de Tintin mais parfois aussi très pertinentes et pourraient, même, servir à nos savants actuels cherchant des solutions pour concevoir l’androïde, le robot, qui fera le travail des hommes.
La vision prospective de Villiers semble sous-tendue par une foi indéfectible en la science. Edison est l’équivalent d’un dieu car il a créé l’apparence de l’homme, de la femme en fait, qui est supérieur à l’homme lui-même, la femme en fait, car « sans l’illusion, tout périt. On ne l’évite pas. L’illusion, c’est la lumière ! » Et, Edison c’est Dieu ! Et, l’homme n’a plus besoin de la religion puisqu’il a la science qui résout tous les problèmes qu’il rencontre.
Bon, ce livre n’est pas la Bible des scientistes, ce n’est qu’un feuilleton paru dans un journal, ce qui explique certaines longueurs, et certains artifices pour retenir le lecteur et ainsi faire vendre le journal. Ce n’est pas non plus un texte d’une grande limpidité, surtout quand l’auteur s’aventure dans les explications techniques que « l’Electricien », comme il nomme Edison, fournit à son ami. Alors courage à ceux qui voudraient faire de la science fiction a posteriori en remontant le temps que Villiers a essayé d’anticiper.