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La Civilisation de l’Occident médiéval de Jacques Le Goff : lecture passionnante

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Le Goff est l’un des grands historiens médiévistes qui s’est inscrit dans le courant des Annales. Dans La Civilisation de l’Occident Médiéval, Le Goff propose une excellente introduction à l’histoire médiévale de l’Europe occidentale, en livrant une étude globale qui conjugue événements politiques, économiques, sociaux, l’histoire des techniques, des mentalités et des arts… Une oeuvre monumentale et passionnante.

I. Du monde antique à la chrétienté médiévale

 

Chap.1 : L’installation des barbares

 

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Le monde médiéval nait d’un Occident romain fermé sur lui-même et en proie à des invasions récurrentes, tout juste acquis à la religion chrétienne, dont il espère tant. Un monde confus, divisé dans lequel émerge l’Occident médiéval. L’homme de l’Occident médiéval est donc le fils de ces barbares (cf. l’utilisation de l’épée longue qui devient l’épée des chevaliers).

En 410, Rome est conquise par Alaric et ses Wisigoths. En 511, meurt Clovis qui a installé les francs en Gaule (sauf en Provence qui ne sera conquise qu’en 536) et qui s’est converti au christianisme. En 751, Pépin le Bref est reconnu comme roi par la papauté qui le sacre en 754. L’union entre la papauté et la monarchie carolingienne prend alors toute sa puissance en Gaule. En 800, Charlemagne, fils de Pépin le Bref,  est couronné et sous son règne le royaume franc s’étendra sur l’Occident. Ainsi entre 395 (mort de Théodore et création des deux empires romains d’Occident et d’Orient) et 800 (couronnement de Charlemagne) un monde nouveau est né de la fusion du monde romain (monde renfermé, atomisé, ruralisé et compartimenté socialement) et un monde barbare (monde de destruction, mœurs sauvages mais besoin de codification).

 

Carte division empire romain - Copie

 

Chap.2 :

La tentative d’organisation germanique (VIIIe-Xe siècle)

 

L’unité carolingienne est remise en cause par la partage des territoires entre les fils : il y a beaucoup de problèmes de successions et un morcellement du royaume. En 843 à Verdun, a lieu le partage du royaume franc. Il se fait selon des considérations économiques et esquisse les futurs nations : la Francie occidentale deviendra la France et la Francie orientale deviendra la Germanie. Restent des zones fragiles comme le royaume de Provence ou celui de Bourgogne.

Pour asseoir l’Etat franc, Charlemagne donne des terres à ses proches en échange de leur serment de fidélité Proches qui sont eux-mêmes encouragés à faire de même sur leurs terres. Se crée alors un réseau complexe de vassalité, lié à la possession des terres. Ceci entraine une modification des mentalités, la fidélité prime sur le droit (dans l’Antiquité ce qui est juste l’est par rapport
au droit, au Moyen Age, ce qui est juste l’est par rapport au serment prêté). Au milieu du IXe siècle, miles prend la place de vassus pour désigner le vassal, ce qui accentue l’idée d’une aide militaire apportée par celui-ci. En Francie orientale, Otton II prend à cette période le titre d’Imperator Romanorum (à la fois romain et chrétien) à la place d’Imperator Augustus (trop romain).

 

Partage de Verdun

 

Chap.3 :

La formation de la chrétienté (XIe-XIIe siècle)

 

L’éveil de l’Occident médiéval se situe en l’an mil. Il s’étend à l’intérieur avec de grands mouvements de construction, un essor démographique et des progrès techniques comme la charrue. Il s’étend également à l’extérieur avec l’expansion de la chrétienté en Europe au nord et à l’est (Pologne, Danemark, Hongrie, Norvège, Prusse, Lituanie qui se christianisent), dans la Méditerranée
(ex. des Normands en Sicile et du royaume des Deux-Siciles),  ainsi qu’au sud (avec la conquête du midi à la faveur de la croisade des Albigeois puis de l’Espagne (Reconquista). Souvent le terme de croisade est évoquée pour qualifier l’expansion dans le midi de la France, ou celle en Sicile.

Les croisades en Terre sainte ont aussi lieu à cette époque. J. Le Goff revient sur cette théorie qui affirme que l’essor du monde chrétien est en partie dû aux croisades (et à ce que les chrétiens ont acquis sur place). Théorie fausse pour lui. La terre sainte n’a pas été un lieu d’échanges à l’inverse du Royaume des Deux-Siciles ou de l’Espagne. Au contraire, les croisades ont appauvri l’Occident, envenimé les relations avec Byzance, exacerbé les oppositions nationales, brutalisé les mœurs et alourdi la fiscalité. J. Le Goff parle même du comportement brutal des ordres militaires revenus bredouille de la terre sainte et se livrant à des exactions en Occident. « Seul bénéfice des croisades, l’abricot ».

En 1095, Urbain II allume le feu de la croisade. En 1146, St-Bernard le ranime à Vézelay. Le but est de transformer la guerre endémique en Occident en cause juste. C’est un échec sauf pour l’Eglise qui va cristalliser dans l’idée de croisade l’idéal chrétien. En 1099, avec la prise de Jérusalem nait un empire latin éphémère. Suivront des croisades successives jusqu’à la mort de Saint-Louis devant Tunis en 1270.

L’essor des villes. La ville médiévale s’installe à côté du noyau ancien d’où l’idée de continuité urbaine (malgré le fait que les villes romaines aient souvent disparues et que les villes médiévales, sorte de ville faubourg se sont crées à côté). La ville médiévale nait de sa fonction économique (milieu rural proche favorable, présence de marchands et d’artisans), elle attire à elle de nouveaux hommes, créant ainsi une société nouvelle, la société urbaine. Les migrations de la campagne à la ville augmentent et même les leaders spirituels sont attirés par cette nouvelle société. Les villes deviennent des nœuds de commerce, d’abord locaux avant de s’étendre à l’Europe. Le commerce fluvial qui s’appuie sur les villes favorise l’expansion de la chrétienté médiévale et de l’économie monétaire. La ville devient un nœud d’expansion intellectuelle et artistique. Si la spiritualité mystique et l’art roman s’épanouissent dans les couvents (Cluny), les
villes par l’enseignement et l’architecture vont prédominer dans les monastères. En effet, les écoles urbaines prennent le pas sur les écoles monastiques, on voit alors naitre la scolastique et les universités. L’art roman se transforme au XIIe. Son nouveau visage, l’art gothique est un art urbain, art de cathédrale jaillie au milieu des villes.

80488 les effets du bon gouvernement dans la cite

L’essor de l’Eglise. L’Eglise avait amassé de l’argent dans l’an mil, elle le réinjecte après notamment par le prêt. En finançant l’économie, elle va accroitre son essor dans la société. Spirituellement, elle dédouane les nouveaux riches avec son apologie de la pauvreté (cf. Cîteaux, les ermites, les mendiants ou les franciscains). La réforme de l’Eglise suit les inquiétudes de la société en tentant des apporter des réponses: les pauvres sont rassurés sur leur condition comme moyen d’accès au salut tandis que les riches sont confortés car ils peuvent faire preuve de charité pour gagner leur salut.

L’essor de la féodalité. Par féodalité, on désigne l’ensemble des liens personnels qui unissent entre eux dans une hiérarchie les membres des couches dominantes de la société. S’attachent à l’idée de féodalité, l’hommage et le fief (et son hérédité). A l’origine, il s’agit d’une création rurale, mais on la retrouve dans les villes. Ce système féodal permet la pluralité des engagements. A son centre se situe le château. Duby note qu’en 1032 dans le Macon, le miles devient le nobilis. Vers 1075, la chevalerie (classe de fortune, genre de vie) devient une caste héréditaire, une vraie noblesse. Marc Bloch observe deux âges féodaux : jusqu’au XIe siècle, la féodalité correspond à l’espace rural. Après elle se modifie au contact du commerce, de la diffusion de la monnaie, des défrichements, de l’essor des villes et de la modification de la classe paysanne. Toujours selon Duby, on passe du temps des fiefs et des principautés féodales à celui des châtellenies indépendantes et il situe ce basculement vers 1160.

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D’autres phénomènes caractérisent cette période. Le conflit récurrent entre deux personnages majeurs de l’époque que sont l’Empereur et le Pape. De même qu’un mouvement de rassemblement des petites cellules médiévales vers des ensembles territoriaux plus vastes (ex. de l’Angleterre avec Henri Ier et les Plantagenets, de la France avec la monarchie capétienne, puis les
Valois, de la papauté qui va prendre la tête de la codification du droit canon devenant au XIIe siècle selon les terme de J. Le Goff une monarchie supranationale).

Ailleurs (en Espagne, en Allemagne, en Italie par exemple), l’unité ne se fait.

Au moment de l’apogée du monde médiéval, il y a un déclin politique de la féodalité (mais qui reste cependant forte économique et socialement). J. Le Goff se demande alors qui peut prendre la relève : les villes ? Mais elles ne s’affirment pas politiquement. Les Etats ? Ce sont eux qui vont effectivement s’imposer. Des lors l’Europe moderne ne se fera pas autour des villes mais autour des Etats.

 

Chap.4

La crise de la chrétienté (XIVe-XVe siècle)

 

Au XIVe siècle, les frontières sont mouvantes, mais la chrétienté s’est stabilisée autour de ses Etats. L’expansion médiévale est terminée, de même que les invasions. Au tournant du XIIIe siècle et du XIVe siècle, la chrétienté rétrécit ; baisse de la démographie, abandon de certains territoires cultivés et baisse des constructions. Des phénomènes nouveaux apparaissent comme les
grèves ou les émeutes urbaines. La monnaie est dévaluée. En 1284, la voûte de la cathédrale de Beauvais s’écroule. Les paysans subissent de mauvaises récoltes. Enfin la Grande Peste sévit en 1348.

Ces crises nuisent à certaines catégories sociales ou certains secteurs économiques mais profitent à d’autres (apparition de nouvelles draperies et des enclosures). Cette crise précipite le monde médiéval dans la guerre (guerre de Cent Ans) car il y voit une solution aux problèmes vécus. Elle provoque un remaniement de la carte économique et sociale de la chrétienté. Ces crises favorisent
la centralisation du pouvoir, l’avénement du Prince, et de nouvelles classes comme la bourgeoisie. Ce second volet de la féodalité occidentale qui va de la Renaissance à la révolution industrielle poursuit néanmoins le Moyen Age.

 

II. La civilisation médiévale

 

Chap.1 :

Structures spatiales et temporelles (Xe-XIIe siècle)

 

L’espace, du plus proche au plus éloigné. Le visage de l’occident médiéval est un grand manteau de forêts troué par des clairières cultivées. La forêt est le lieu du paganisme, de l’ermite, des chevaliers errants. Elle est également un monde refuge, une source de profit par le défrichement (bois, terres cultivables). Elle est enfin un lieu de menace, de dangers réels ou imaginaires.

La société médiévale est une société itinérante, elle n‘est pas un monde complètement sédentarisé. Au Moyen Age, la propriété est changeante, éloignée. L’esprit chrétien favorise le voyage, d’où l’importance des routes et du pèlerinage. L’homme du Moyen Age vit donc entre deux dimensions : les horizons bornés de la clairière où il vit et les horizons lointains de la chrétienté. La mer occupe également une place de choix dans la représentation de l’espace, elle est perçue comme plus rapide mais plus dangereuse que la route (d’où les nombreux récits de naufrages dans la littérature médiévale).

MACONS

La nature. Comme l’univers, l’homme est composé de quatre éléments : la chair (la terre), le sang (l’eau), le souffle (l’air) et la chaleur ( le feu). On retrouve dans cette conception les quatre fleuves du paradis ainsi que les quatre axes de la rose des vents. Pour l’homme du Moyen Age, la terre est ronde, immobile au centre de l’univers. Le monde connu est celui de la chrétienté. Au-delà se situe un monde de l’imaginaire, de la fantaisie. Géographiquement, la terre se divise entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie, mais l’espace de l’homme médiéval est avant tout un espace chrétien.

Byzance. Pour l’homme médiéval, Byzance est le lieu du schisme. Petit à petit les Grecs sont perçus comme des non-chrétiens. Se développe alors une haine à leurs égard, on leur reproche leur richesse, leurs traditions politiques, leurs mœurs malgré l’admiration qu’on peut leur porter.

Musulman. Il est l’infidèle par excellence. Cette haine sera exacerbée par les croisades. Cependant quelques échanges ont lieu avec le monde musulman (ainsi que des courants pacifistes), notamment des échanges commerciaux (Venise), intellectuels (les sciences arabes nourriront la Renaissance du XIIe siècle surtout en Espagne.

Les Païens. Ils sont perçus comme des possibles convertis. Ils font l’objet d’une politique agressive de conversion, non sans résistance. En général, la conversion est réussie quand elle concerne les élites (qui voient leur entrée dans le monde chrétien comme une promotion comme Rollon ou Clovis) et elle est plus difficile avec les masses. Ainsi la nouvelle chrétienté est une chrétienté convertie par la haut. Dans certaines zones même chez les élites il y hésitation entre Rome et Byzance.

Les Mongols. On assiste au Moyen Age à la naissance d’un mythe mongol. La société médiévale les percevait comme des convertis en cachette. D’où l’importance du mythe du prêtre Jean et de ce rêve d’une alliance entre Mongols et chrétiens (contre l’Islam).

La chrétienté médiévale est un monde fermé qui adjoint les autres par la force ou les exclut, un monde avec une vocation universelle tracée par l’Evangile. Mais un monde perméable à l’extérieur, en ce qui concerne les techniques, l’économie, les domaines artistiques et scientifiques. Elle est aussi un monde ouvert sur l’au-delà. Il n’y a pas de frontière entre le monde terrestre et l’au-delà. L’univers est perçu comme un système de sphères concentriques qui tendent vers l’au-delà, sorte de représentation grecque mais christianisée. Dieu est représenté alors comme un seigneur ou un roi (dans une vision féodale), il est aussi le père. Son fils est davantage perçu comme le Christ Sauveur, le Christ de la Passion (en insistant de plus en plus sur sa souffrance).
Face à Dieu, l’autre personnage important est le diable qui apparait et s’affirme au XIe siècle. Le diable est une création de la société féodale, le type même du vassal félon, du traitre. Il apparait sous deux formes, le séducteur ou le persécuteur. L’hérésie la plus courante et la plus condamnée au Moyen Age est le manichéisme qui consiste à mettre Dieu et le diable sur le même plan. On retrouve cette même dualité dans la magie entre la magie blanche (celle des clercs ou des rois thaumaturges) et la magie noire. Le Purgatoire nait à la fin du XIIe siècle mais ne prend pas vraiment dans un contexte d’intolérance. Les anges quant à eux sont vus comme des liaisons entre la terre et le ciel, et ont aussi leur pendant diabolique dans la figure des démons.

Le temps. Comme l’espace, le temps n’appartient qu’à Dieu. Le temps médiéval est un temps linéaire et continu. L’Histoire a un début et une fin, les chroniques (discours sur l’Histoire universelle) commencent toutes à la Création et s’arrête au temps du chroniqueur, qu’il considère alors comme le temps du jugement denier.  Le temps est Histoire et cette Histoire a un sens, elle suit irrémédiablement une ligne descendante, un déclin. Le temps du Moyen Age correspond au 6ème âge de l’homme, au temps de la décrépitude.

Sauf que cette linéarité est coupée en deux par un point central qui est l’Incarnation. Avant J.C, point de salut. Après J.C, le salut est possible. Il y a donc deux tendances face au temps : un pessimisme historique nait de la perception d’une décadence dans l’histoire. Et un optimisme intemporel nait de la perception de l’Eternité.

Marc Bloch parle quant à lui d’une « vaste indifférence au temps ». Il y a au Moyen Age une confusion temporelle fondamentale entre le passé, le présent et le futur puisque tout ce qui est fondamental pour l’homme médiéval lui est contemporain. La liturgie maintient le croyant dans un temps perpétuel. Et pourtant l’incarnation entraine une datation et une césure du temps en deux. D’où le goût pour les chronologies non pas objectives, mais signifiantes. Loin d’être indifférent au temps, l’homme du Moyen Age est sensible au temps, au temps liturgique notamment (et en cela il est différent de nous).

La vérité tient dans la multiplicité du temps, il y a bien évidement le temps liturgique (important pour le salut) et il y a le temps matériel (imprévisible et difficile à mesurer avec les instruments de l’époque).  La mesure du temps matériel va être le lieu d’un affrontement, d’une lutte entre le clergé et l’aristocratie. La masse obéit au temps imposé « par les cloches, les trompettes et les olifants ». Le temps matériel médiéval est avant tout un temps agricole, temps naturel, long, sans date, dont les grandes divisions sont les saisons et le jour et la nuit (d’où une vision manichéenne du temps: jour/nuit, hiver/été puisque le Moyen Age ne connait que deux saisons).

histoire de l'occident médiéval

A côté du temps rural, il y a le temps seigneurial et le temps clérical. Le temps seigneurial est un temps militaire, temps de l’ost, des grandes réunions chevaleresques, des adoubements. Temps aussi des redevances (et des fêtes où elles sont perçues).  Le temps clérical suit quant à lui l’année liturgique qui elle-même suit le drame de l’incarnation. A cela s’ajoute le calendrier christologique, temps des saints, souvent des jours chômés. Et ces trois temps (rural, militaire et liturgique) sont des temps naturels. Les campagnes militaires se font à l’été et se terminent avec lui. Les fêtes religieuses ont pris la place des fêtes païennes qui s’étaient alors calées sur le temps naturel et suivent généralement les travaux agricoles (on déplace notamment la date primitive de la Toussaint pour ne pas gêner les travaux agricoles par exemple). Et on retrouve la même dépendance au temps naturel chez les artisans et les marins.

Le temps médiéval va changer au cours du XIVe siècle avec l’invention des horloges mesureuses (horloge mécanique qui apparait en Italie et en Allemagne vers le XIVe-XVe siècle). Le temps alors se laïcise, le temps des beffrois va s’affirmer face au temps clérical.

Mais le temps essentiel du chrétien est le temps du salut. Il y a tension perpétuelle entre le ciel et la terre avec une volonté de faire descendre la ciel sur la terre par la fuite du monde (fuga mundi) et l’exemple des ermites qui deviennent un modèle, un idéal dans la quête du salut (cf. les chevaliers devenus ermites dans les chansons de geste). Pour ceux qui ne peuvent être ermites, il reste la pratique de la charité, de la miséricorde et des donations. Cette volonté s’exprime aussi par la tentation de réaliser sur terre le bonheur éternel. Il s’agit du courant millénariste qui se fonde sur la tradition apocalyptique qui veut qu’après la dévastation vienne sur terre la Jérusalem céleste. Les hommes du Moyen Age vont se focaliser sur les événements dramatiques de l’Apocalypse et sur la figure de l’Antéchrist. Face à lui, apparaitra le Roi Juste qui va être identifié selon les besoins nationaux à Louis VII ou à Frédéric II (J. Le Goff parle d’instrument publicitaire). Un monde nouveau naitra avec lui, avec une nouvelle église (l’ancienne étant jugée corrompue) et une nouvelle société basée sur l’égalité (avènement d’une société sans classe). Et pourtant il s’agit d’un retour en arrière, un retour à l’âge d’Or.

 

Chap.2 :

La vie matérielle (Xe-XIIe siècle)

 

Le progrès au Moyen Age a été plus quantitatif que qualitatif. En cela, on a une diffusion plus large des techniques plutôt que des innovations. Diffusion (et non invention) de deux techniques
notamment : le moulin à eau (XIe et XIVe siècle) et la charrue médiévale. D’autres « inventions » médiévales viennent en fait d’emprunts orientaux comme le moulin à vent. Le Moyen
Age connait des progrès dans l’armement et dans l’art militaire (par les progrès de la métallurgie et de la balistique). L’Eglise quant à elle va faire progresser par ses constructions les
techniques du bâtiment (outillage, transport, vitrail).

Construction d'une cathedrale - par Jean Fouquet [1470]

La société médiévale est contre l’idée de progrès, de changement (y compris technique) car cela pourrait bouleverser l’ordre du monde. Il y a une véritable faiblesse de l’équipement médiéval dans le domaine du machinisme, de l’outillage et des transports.

Le produit le plus commun au Moyen Age est le bois, de qualité médiocre cependant. Il est même un produit d’exportation comme le fer. Autre matériau noble : la pierre. Quand on est riche, on remplace le bois de son habitation par de la pierre.

Dans le secteur rural, l’outillage est rudimentaire et la fumure insuffisante. La culture est principalement extensive (on défriche pour produire plus) plutôt qu’intensive. La terre s’épuise vite d’autant que la pratique de la jachère n’est pas étendue (biennale plutôt que triennale). Il faut ajouter à cette description le fait que la culture au Moyen Age est « autarcique », tout doit être produit.

Au Moyen Age, l’essentiel de l’énergie vient encore de l’homme et des animaux (et non des moulins encore rare à l’époque). Des progrès importants apparaissent, notamment dans l’attelage et la traction animale (le cheval plutôt que le bœuf ; le collier d’épaule plutôt que le collier antique). Mais le cheval reste cher. Le bœuf est donc encore utilisé, de même que l’âne et bien sûr l’homme qui reste la principale source d’énergie de l’époque (pour le travail agricole, pour les transports et l’artisanat).

charrue

Les transports maritimes sont faibles. Il y a un nombre limité de navires, on connait peu la boussole et le gouvernail d’étambot. Le Moyen Age ignore par ailleurs le quadrant et l‘astrolabe.

L’excavation minière est insuffisante faute d’engin de creusement et de levage.

Certains progrès techniques signifiants apparaissent à la fin du Moyen Age comme la poudre, les armes à feu et les canons. Apparait (ou réapparait) la peinture à l’huile (XIVe siècle), le verre (XIIIe siècle, qui se limite au vitrail) et le papier.

Seul technicien qui va s’élever à un degré supérieur : l’architecte avec l’âge gothique et l’Art de bâtir. Mais il ne faut pas oublier que les bâtisseurs médiévaux malgré leur habileté et leur science ont souvent produit des bâtiments de mauvaise qualité : les cloches devaient être régulièrement reforgées, les bâtiments s’écroulaient. Le Moyen Age passe son temps à réparer, à remplacer et à refaire. Malgré cela, cette époque marque une étape dans la conquête par l’homme de la nature : contrôle des rivières, etc.

Le Moyen Age est avant tout une économie de subsistance, apporter à chacun selon son sang ses besoins. Tout calcul économique qui irait au-delà du nécessaire est condamné (l’idée même de calcul n’apparait qu’au XIVe siècle, avant le Moyen Age est hostile à l’idée de rendement, de chiffre).

Quand il y a croissance économique en Occident, elle correspond à une croissance démographique : comme il y a plus de gens à nourrir, on cherche à produire plus donc on défriche, et on étend les cultures. Ce qui conduit à une hostilité envers l’économie monétaire, et envers l’esprit de profit. L’Eglise condamne comme usure toutes les formes de crédit (et plus particulièrement les
prêts de production).

Toutes les catégories sociales médiévales étaient soumises à de fortes pressions économique et psychologique avec pour résultat de s’opposer à toute idée de progrès : les paysans par les prélèvements sur le produit de leur terre, l’Eglise en consacrant son argent dans les constructions à la gloire de Dieu, les seigneurs en devant faire des donations au nom de l’idéal chrétien et chevaleresque.

Le régime féodal est à l’origine de cette stagnation de la croissance économique ainsi que du bas niveau technologique du Moyen Age. Ce régime a organisé la captation par la classe seigneuriale (ecclésiastique ou laïque) du surplus de la production rurale assurée par la masse paysanne. Les paysans ne peuvent tirer profit des progrès économique, et ceux qui sont bénéficiaires de ce système n’ont pas la possibilité d’investir réellement. Le paysan est réduit à satisfaire ses besoins essentiels ; s’il agrandit ou augmente sa production, c’est généralement pour payer sa rente au seigneur. Les seigneurs investissent uniquement pour augmenter leurs prélèvements fiscaux (construire un moulin pour percevoir la taxe, même chose avec les routes) mais cela ne va pas au-delà. Même les alleutiers (possesseurs d’une terre libre) dépendent des seigneurs pour leurs droits (de justice et de ban), pour les taxes et pour l’ensemble de l’économie de la région.

Le monde médiéval est en équilibre marginal, monde de subsistance, gouverné par la peur de la faim (d’où les mythes de ripailles comme celui du Pays de Cocagne ou les miracles alimentaires). Un monde à la merci des mauvaises récoltes, qui peuvent alors entrainer une hausse des pris, des épidémies et une augmentation de la mortalité.

L’insuffisance des transports, la multiplication des barrières douanières, l’absence d’organisation « étatique » ne permettent pas la constitution de stock qui pourrait le cas échéant alléger le poids des disettes sur les pauvres (à la différence de l’époque romaine avec des greniers de stockage). Malgré tout, il y a quelques initiatives comme celle du Comte de Flandre, Charles le Bon. Mais cette prévoyance alimentaire ne pouvait s’étendre au-delà d’une année (problème des rats que l’on retrouve dans les légendes comme celle du joueur de flute). Les famines touchent les couches les plus pauvres de la société ce qui parait normal alors. La peste par contre touche tout le monde. A côté des famines, il y a aussi des épidémies ou des maladies liées à la consommation de denrées impropres. La plus célèbre étant le mal des ardents (ergot de seigle) qui a donné naissance à un ordre, les antonites, capable grâce à la relique de saint Antoine de guérir ce mal.

La mortalité est importante au Moyen Age, notamment la mortalité infantile. L’espérance de vie est faible (30 ans environ). D’où un Moyen Age des grandes peurs, des grandes pénitences collectives.

Cette tension constante entre la recherche de plus de production et le danger de l’épuisement de la nature atteint son apogée avec les crises du XIVe siècle : les terres épuisées sont abandonnées, le bois est épuisé, les mines déclinent ce qui entraine un recul dans l’expansion de l’économie monétaire, les hommes sont aussi épuisé après la Grande Peste notamment. La récession démographique accroit le problème puisque faute de main d’œuvre des terres ne sont exploitées. Devant l’insécurité du monde, les hommes se réfugient dans la religion et surtout dans l’au-delà avec une crainte accrue de l’enfer.

Ainsi le Moyen Age a connu une longue phase d’expansion économique, basée principalement sur un accroissement démographique. Bruno Hildebrand a divisé l’évolution économique des sociétés en trois phases : économie-nature, économie-argent et économie-crédit. Qu’en est-il du Moyen Age ? Quel est le rôle joué par la monnaie dans l’économie médiévale ? S’agit-il d’économie-nature ou d’économie-argent ?

Au Moyen Age, il y a peu ou pas d’échanges. Le troc joue un rôle assez faible, il s’agit d’une économie fermée. La monnaie n’est qu’une référence, elle sert de mesure et sa valeur dépend de son poids en métal. Le paysan a peu de monnaie, il ne l’utilise presque exclusivement pour acheter son sel. L’existence de monnaie non métallique comme le poivre ou les pièces d’étoffes montrent
un signe indéniable d’archaïsme. Au Haut Moyen Age, les ateliers monétaires se multiplient mais la monnaie ne circule pas pour autant. La réforme monétaire de Charlemagne correspond plus à une adaptation à la régression de l’économie-argent, l’or n’étant plus frappé. La renaissance monétaire du XIIIe siècle est plus un indice qu’une réalité économique, car le nombre de pièces mis en
circulation reste faible. L’argent reste le symbole de puissance économique et sociale (plus qu’économique), mais il est fortement condamné par l’Eglise (avaritia, désir d’argent). Aussi, il y a un lent remplacement de l’économie-nature par l’économie-argent à la fin du XIIIe siècle.

Cette fin XIIIe va voir sa première crise de la féodalité (qui préfigure celle du XIVe siècle). La classe seigneuriale va s’appauvrir, le monde paysan va se diviser face à cette crise. Une minorité de paysans va être capable de tirer profit de la vente des surplus et de s’enrichir. Mais la grande majorité va s’appauvrir et s’endetter. Ceux qui vont profiter au maximum du développement de l’économie monétaire, ce sont les marchands. Les couches supérieures de la société vont être de plus en plus composées de rentiers, notamment des rentiers du sol, plus éloignés de l’exploitation directe. Une nouvelle hiérarchie sociale se forme autour de l’argent mais le travail reste toujours un marqueur social important : travail contre rente, travail manuel contre travail mécanique ou intellectuel.

 

Chap.3 :

La société chrétienne (Xe-XIIIe siècle)

 

La société médiévale : de la théorie des trois peuples vers celle du corps sociétal. Dès l’an mil, la littérature occidentale présente la société chrétienne selon un schéma
nouveau : le triple peuple. Ceux qui prient (oratores), ceux qui combattent (bellatores) et ceux qui travaillent (laboratores). Ce schéma explique-t-il la
structure réelle des classes sociales au Moyen Age ?

Entre le VIIIe siècle et le XIe siècle, l’aristocratie est une clase militaire et le membre par excellence de cette classe est le chevalier (miles). A l’époque carolingienne, les clercs
se muent en caste cléricale. Parallèlement les conditions des paysans s’uniformisent au niveau le plus bas de la société pour constituer la catégorie des serfs. Entre le Ve et le XIe siècle la
société se réduit principalement à l’affrontement de deux groupes : les clercs et les laïcs. La tripartition n’apparait qu’autour de l’an mil, et elle exprime une autre idéologie, celle des
fonctions (religieuse, militaire et économique).

trois ordres

Ce schéma tripartite est un symbole d’harmonie sociale, un instrument de désamorçage de la lutte des classes. Il est véhiculé par l’Eglise, qui vise alors à maintenir les travailleurs dans la
soumission aux deux autres classes, et à soumettre aussi les guerriers à celle des prêtres. A cette époque il y a en effet une christianisation de l’idéal chevaleresque et la victoire du pouvoir
sacerdotal sur la force guerrière (comme on peut le voir dans les mythes arthuriens). Le laboratores du schéma désigne plus celui qui produit par le biais du défrichement que le serf.
D’où l’idée que ce schéma tripartite représente plutôt l’ensemble des couches supérieures de la société, y compris dans la fonction économique (on retrouvera quelque chose d’analogue dans la
France du tiers état). Jusqu’au milieu du XIIe siècle, on peut dire que la classe des plus pauvres, ceux qui travaillent de leurs mains n’existe pas, elle n’a pas sa place dans ce schéma. J.Le
Goff préfère parler de classe pour désigner ces trois catégories. Il utilise le terme de « classe » plutôt que celui « d’ordre », car l’ordre appartient au vocabulaire
religieux et dans ce cas, il n’y a que deux ordres ; les clercs et les autres. Dès le XIe siècle, « ordo » va être remplacé par « conditio » puis vers 1200 par
« Etat », ce qui selon lui correspond à une laïcisation de la société.

Ce schéma tripartite sera remis en cause par l’introduction de la classe des marchands, classe à l’économie ouverte qui ne se contente pas de se soumettre à la classe cléricale ou à celle des
militaires. Ainsi au XIIe siècle, la société tripartite se défait, un schéma plus complexe se met en place: une société des « états », c’est-à-dire des conditions socioprofessionnelles.
Il reste toujours l’idée d’une hiérarchisation mais elle est plus horizontale que verticale, plus humaine que divine et elle peut être modifiée. L’Eglise s’adaptera en imposant des pêchés
spécifiques, des pêchés de classe, mais elle essayera également de maintenir l’unité de la société dans l’idée d’un corps unique dont chaque classe formerait les membres.

La tête de ce corps serait en fait une tête bicéphale représentée par la Pape et l’Empereur. Il y a toujours eu une lutte entre ces deux entités, entre le pouvoir clérical et la puissance
militaire. Mais là où le Pape a su rapidement s’imposer sur l’ordre religieux (il n’est guère contesté par les clercs), l’Empereur est loin d’être aussi incontesté à la tête de la société laïque.
Son hégémonie est plus théorique que réelle et elle est souvent ignorée par les princes les plus puissants (cf. les rois de France dont le pape Innocent III reconnait qu’ils n’ont pas de
supérieur temporel). Le bicéphalisme de la Chrétienté médiévale est plus celui du Pape et du Roi, du sacerdoce et du Rex et chacun a tenté de réaliser en lui l’unité du rex-sacerdoce. Le
sacre, par exemple, est une ordination (imposition des mains, onction, remise des symboles religieux que sont l’anneau, le spectre et la couronne). De la même manière avec l’exemple de la fausse
donation de Constantin selon laquelle l’empereur aurait abandonné la ville de Rome au pape Sylvestre et se transporte alors à Constantinople. Il autorise le Pape à porter le diadème et attribue
au clergé romain les ornements sénatoriaux (cf. la Curie). Sylvestre aurait refusé le diadème, lui préférant le phrygium, insigne royal, qui deviendra le triregnum après le
XIIIe siècle. Pour finir, lors de son couronnement, le pape revêt le manteau rouge impérial, la cappa rubea.

Pourtant l’Eglise a favorisé les rois, elle les favorise notamment contre leur rival, le pouvoir militaire. Les clercs doivent renoncer au métiers des armes et devenir célibataires, seul moyen de
les séparer de la classe des guerriers. Le prêtre aide le roi à mâter le guerrier, de manière à assigner à la royauté le rôle de protecteur de l’Eglise: la royauté devient le bras séculier de
l’Eglise; en échange elle va sacraliser le pouvoir royal. Le mauvais roi devient un tyran, il est excommunié. On parle de la théorie des deux glaives (spirituel pour le prêtre, temporel pour le
guerrier et dont il ne peut user que sur ordre de l’Eglise). On parle aussi des deux luminaires (majeur et qui préside au jour pour la Papauté, mineur et qui préside à la nuit pour l’Empereur ou
le Roi). Au final, les deux pouvoirs vont oublier leur rivalité pour asseoir en commun leur emprise sur la société.

Les langues et le pluralisme. Le Moyen Age a pour hantise le mythe de la Tour de Babel. Cette hantise est attisée par les clercs qui veulent faire du latin la base de l’unité.
Portant l’Occident médiéval va voir le triomphe progressif des langues vulgaires autour desquelles va se cristalliser l’idée de nation. Le Moyen Age fait donc échec au totalitarisme et va aller
vers la pluralité et la tolérance.

L’individu au Moyen Age. L’individu est condamné au Moyen Age, il est pris dans un réseau d’obéissance, de soumissions et de solidarités qui finiront par se juxtaposer et se
contredire, lui ouvrant enfin la voie du libre choix. Mais pendant longtemps le lien féodal hiérarchise la société en autant de rangs et de catégories sociales. L’homme médiéval ne connait pas la
liberté, il connait les privilèges. Et puis la liberté pour lui ne peut s’exercer que dans la communauté, dans la dépendance à cette communauté, le supérieur garantissant au subordonné le respect
de ses droits.

L’individu dans l’Occident médiéval appartient d’abord à la famille. Ce poids du groupe familial est surtout important pour la classe seigneuriale avec l’importance du lignage. Ce lignage, cette
communauté de sang composée des parents et des « amis charnels », c’est-à-dire des parents par alliance, a pour but la conservation du patrimoine. D’où les tensions particulièrement
violentes au sein de la famille (révoltes des fils contre le père, lutte des fils entre eux, lutte entre les fils légitimes et les bâtards). A l’inverse le lien entre oncle et neveu est important
et plus apaisé. On retrouve ces schémas dans la classe paysanne, pour les mêmes raisons économiques.

La femme dans la famille a un rôle inférieur. Elle a une fonction procréatrice et les hommes ont une vision chrétienne de la femme, elle est donc souvent perçue comme pécheresse. J. Le Goff est
d’ailleurs contre l’idée que les croisades ont améliorés le sort des femmes. Cependant dans la classe paysanne, son rôle peut être plus important, notamment dans la transformation des produits
(elle peut travailler le textile, les herbes etc). Quant à l’enfant, le Moyen Age le voit à peine. On parle plus volontiers de petit adulte. L’enfant apparaitra avec le développement des villes
et de la classe bourgeoise.

L’individu est également absorbé dans une autre communauté, celle de la seigneurie : une seigneurie noble pour le vassal (homme de bouche et de mains), une seigneurie humiliante pour le
paysan (homme de potée). Mais dans les deux cas, il y a soumission à un seigneur, aides, devoirs et redevances à rendre. Cette soumission se manifeste notamment dans le domaine judiciaire, une
fonction accaparée par les féodaux aux dépens du pouvoir public (fonction de basse justice et même quelque fois de haute justice). D’ailleurs les progrès de la justice royale s’accompagneront
dans une certaine mesure d’une émancipation des individus (tension entre justice royale et respect des justices seigneuriales).

Dans les mentalités, l’individu est le débrouillard. Il est un personnage louche qui a pu échapper à son groupe.

Reste le cas particulier des communautés de villages ou des communautés urbaines, en apparence plus égalitaire. Les communautés rurales résistent au seigneur mais en interne
elles sont souvent dirigées par quelques chefs de famille. On retrouve un schéma similaire dans les communautés urbaines (protectionnisme au plan local qui profite surtout à une minorité comme
les jurés, les échevins, les consuls ou certains marchands « exportateurs »). Mais l’une ou l’autre forme une tentative d’espace égalitaire qui fit trembler le modèle féodal (la
hiérarchie féodale verticale se voit opposer une hiérarchie horizontale liée au terrain, au voisinage, à la fraternité d’intérêt).

La ville. Elle est l’objet d’attraction et de répulsion. Les villes médiévales sont assez petites (environ 100 000 habitants) . Paris, la plus grande ville
n’atteint pas probablement les 200 000 habitants. Les citadins sont en fait des semi-ruraux, puisque à l’intérieur des murailles on retrouve des jardins et des vignes. Pourtant le
contraste entre la ville et la campagne est fort. La ville est le foyer d’une activité économique et commerciale, elle est le lieu d’un patriotisme urbain, fondé sur des valeurs communes. La
ville dépend d’un environnement rural, d’où des relations complexes entre ville et campagne : le paysan émigré y trouve son affranchissement, mais aussi son exploitation économique. Des
milices urbaines se créent dans les villes pour contenir les paysans. Les juristes aidés des universitaires créent un droit urbain fortement défavorable au paysan.

La lutte des classes. Elle est importante entre les bourgeois et les nobles, entre les bourgeois et le clergé. Elle est d’une extrême violence entre les seigneurs et les paysans.
Dans ce dernier cas, elle peut prendre la forme du maraudage ou du braconnage, sorte de résistance passive qu’utilisent les paysans. On retrouve dans ces cas de résistance passive, le refus de
payer, de livrer la récolte ou les fraudes sur le poids et la mesure (les paysans sont souvent punis pour fausse mesure). Il y a aussi des excès de violence entre ces deux classes qui conduisent
à des explosions de brutalité.

Dans les villes, il y a affrontement entre les bourgeois et la masse commune. Va apparaitre dans les villes, une nouvelle classe sociale – le patriciat – composée des groupes de famille qui
cumulent propriété foncière, richesse économique, richesse sociale et contrôle de la vie politique par l’accaparement des charges municipales. Ce sont eux qui dirigent la ville au dépens de la
masse travaillante.

La lutte des classes se double d’une rivalité à l’intérieur des classes, entre grandes familles nobles ou entre les bourgeois. A cela viennent s’ajouter les traitres à leur classe, souvent des
nobles prenant la bannière des opprimés et les femmes qui sont l’objet de rivalités entre hommes de classe différentes ou d’une même classe.

L’Eglise et la royauté. L’Eglise a cherché au moins en apparence à maintenir l’harmonie au sein de la société, même si elle a plus souvent fait le jeu des oppresseurs. Tout comme
la royauté . Le roi est souvent le recours du pauvre (en lieu et place des seigneurs locaux) même si ce dernier fait plus souvent le choix de sa fidélité aux liens féodaux.

Les exclus. Ce sont les sorciers, les juifs, les lépreux, les fous. Plus généralement les malades et les estropiés qu’on accuse de tous les maux (y compris les épidémies de
peste).

 

Chap.4 :

Mentalités, sensibilités, attitudes (Xe-XIIIe siècle)

 

Ce qui détermine les mentalités au Moyen Age, c’est le sentiment d’insécurité tant matérielle que morale. Aussi l’homme médiéval a besoin de se rassurer.

Sur son passé notamment, d’où l’importance des « autorités », des sentences, des proverbes et de la coutume (notamment dans le droit). D’où le rejet des innovateurs.

Sur la nuit, d’où son goût des couleurs et de la polychromie et son amour pour les vitraux, essentiel à l’art gothique.

Sur le surnaturel, d’où son attrait pour les miracles, les symboles et les rêves.

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A côté de cette mentalité et de cette sensibilité « magiques », d’autres structures apparaissent, notamment dans les villes, et particulièrement à partir du XIIIe siècle où elles dominent :

–          Un nouvel outillage mental, né des écoles urbaines, est supporté par le livre. Le livre universitaire va peu à peu concurrencer le livre monastique, et va transformer la fonction même du livre. De trésor, il devient instrument culturel et intellectuel.

–          L’usage de l’écrit se développe et avec lui la valeur de la preuve (contre l’ordalie), ce qui va bouleverser les règles de justice. La
rédaction de chartes, de traités de droit ou de coutumes se multiplient.

–          Les méthodes intellectuelles se rationnalisent. Les reliques font l’objet de critiques, non sur leur efficacité mais sur leur éventuelle fausseté. Il n’y a pas (encore) de remise en cause de la foi, mais désir de mieux cerner, comprendre cette foi. La fameuse méthode scolastique qui consiste à provoquer le questionnement, puis le débat et qui doit se clore sur une conclusion qui engage le maitre domine l’activité intellectuelle. Elle produit une remise en cause des « autorités », une légitimation de la diversité
et de la coexistence de plusieurs opinions, une acceptation de la modernité qui fait donc de moins en moins peur et un recours à l’observation et à l’expérimentation.

–          L’amour courtois apparait qui est clairement anti-matrimoniale et qui prétend que d’autres rapports sont possibles et peuvent exister entre les sexes que ceux de l’instinct, de la force, de l’intérêt et du conformisme.

–          L’art devient plus réaliste et plus naturaliste, et se démarque du symbolisme régnant.

–          Le corps souvent banni par la religion (qui va même prôner la saleté), devient un objet de soin. Les vêtements très codifiés se
diversifient et devient luxueux (notamment chez les bourgeois).

–          L’habitat évolue lui aussi. La maison est clairement la manifestation d’une différenciation sociale (torchis, bois pour les plus pauvres,  pierre pour les seigneurs). Le château féodal va changer : on accorde plus de place au logement et même si le mobilier est toujours réduit car devant être transportable, les tapisseries manifestent un goût pour le bien-être intérieur et pour le luxe. La maison bourgeoise va imiter le château par l’appropriation des pierres et des formes de tour, mais le bourgeois meuble car il est attaché à sa maison. Dans les deux cas (château seigneurial ou logis bourgeois), en cas de défaite du possesseur, le bien est détruit.

–          Les fêtes. Toutes les classes sociales ont leurs fêtes. Elles ont lieu à l’église, dans le château, sur les places urbaine. Aux fêtes
viennent s’ajouter les tournois, les jeux et la musique.

 


Une lecture passionnante qui m’a donnée du fil à retordre et j’avoue qu’à plusieurs reprises, j’ai dû réouvrir des manuels de 5ème ou embêter mon historien préféré pour avoir quelques éclaircissements. Je garde de cette lecture une admiration pour le travail de J. Le Goff et pour ses qualités d’écrivain. Le Moyen Age me parait être plus proche et en même temps plus éloigné de nous grâce à son travail. Les parties qui m’ont le plus intéressée sont celles traitant de l’espace et du temps pour l’homme du Moyen Age (que j’ai trouvées passionnantes) et celles traitant de la ville, bien évidemment. Après avoir lu ce livre, le Moyen Age me parait beaucoup plus complexe que ce que l’on peut en lire ici ou là, un monde moins fermé, moins rigide que les représentations qu’on peut en avoir parfois.

Sommaire du livre:

Introduction

I.                    Du monde antique à la chrétienté médiévale

Chap.1 : L’installation des barbares

Chap.2 : La tentative d’organisation germanique (VIIIe-Xe siècle)

Chap.3 : La formation de la chrétienté (XIe-XIIe siècle)

Chap.4 : La crise de la chrétienté (XIVe-XVe siècle)

II.                  La civilisation médiévale

Chap.1 : Structures spatiales et temporelles (Xe-XIIe siècle)

Chap.2 : La vie matérielle (Xe-XIIe siècle)

Chap.3 : La société chrétienne (Xe-XIIIe siècle)

Chap.4 : mentalités, sensibilités, attitudes (Xe-XIIIe siècle)

 

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1 commentaire pour “La Civilisation de l’Occident médiéval de Jacques Le Goff : lecture passionnante”

  1. Bonjour,
    J’aimerais savoir si vous avez à votre disposition les références de la miniature représentant des essarteurs ouvrant une nouvelle route.

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