Quand Fellini entreprend La Dolce Vita, il est un cinéaste à la réputation déjà bien établie, en Italie comme à l’international. On lui doit déjà La Strada et Il Bidone, ce qui lui assure donc une solide image. En revanche, Marcello Mastroianni n’est pas encore l’icône qu’il allait bientôt devenir. Il avait tenu un rôle important dans les Nuits Blanches de Visconti, mais c’est bien le film de Fellini qui allait faire de lui une star, ce que la sortie l’année suivante de Divorce à l’italienne de Pietro Germi allait vite confirmer.
Festival de Cannes 1960 – Palme d’Or
La Dolce Vita est un film de toutes les démesures. Il s’agit du premier film italien majeur à faire cette durée de presque trois heures. Des moyens colossaux furent accordés au cinéaste qui explosa le budget en tenant absolument à reconstituer à Cinecitta la via Veneto de Rome, ou se déroule une bonne partie du film.
L’ampleur de La Dolce Vita est à relativiser. Le film est moderne en bien des aspects mais ne fait qu’emprunter en fait tout l’héritage de cette culture du péplum qu’a le cinéma italien. La Dolce Vita peut se voir comme une transposition de cet univers là, entre grandeur et décadence et ou l’on retrouve le mythe de l’orgie romaine.
Le journaliste mondain qu’incarne Marcello Mastroianni est inspiré par le personnage de Moraldo, le cadet des Vitelloni dans le second long-métrage de Fellini. I Vitelloni s’achève sur la fuite de Moraldo, parti tenter sa chance loin de Rimini. Le personnage de Moraldo était déjà une projection du cinéaste. Ce n’est pas un hasard s’il inspire un peu plus tard la construction du personnage de journaliste joué par Mastroianni. Fellini lui-même fût journaliste avant de travailler pour le cinéma.
La Dolce Vita raconte quelques jours et quelques nuits dans la vie de ce chroniqueur mondain, bel homme et séducteur mais qui par sa fonction est entre deux mondes, ni parmi les stars qu’il côtoie, ni véritablement proche du peuple. Le film se construit alors sur le principe d’un aller et retour permanent entre ces deux univers, entre le faste luxuriant de la jet set et le sordide ordinaire de la réalité. Ainsi Marcello (le personnage et l’acteur portent le même prénom) profite des privilèges, des douceurs et des effervescences de la vie mondaine, mais subit à chaque fois un retour de bâton toujours plus cinglant. Après la ballade avec une riche héritière (Anouk Aimée), il pénètre le miteux appartement d’une prostituée. Après le baiser féérique échangé avec Anita Ekberg dans la fontaine de Trevi, il retrouve sa petite amie officielle évanouie après une tentative de suicide. Les ruptures de tons sont constantes et permanentes et le retour à la réalité chaque fois plus brutal, jusqu’à la tragédie (le suicide de Steiner après le meurtre de ses enfants).
La douceur de vivre vantée par le titre n’est bien qu’une illusion. Steiner lui même appartient à cette jet set que Marcello côtoie, et cela ne le soulage apparamment pas de sa souffrance intérieure. Le film de Fellini n’est pas vraiment une satire, le cinéaste lui-même s’en est défendu, mais il témoigne de l’émancipation de la société italienne, par rapport aux décennies de dictature et de guerres subies ne serait-ce que s’il on ne prend en compte que la première moitié du XXe Siècle. Les vanités mondaines dont Fellini assure les portraits jusqu’à la caricature, illustre par l’outrance la liberté retrouvée d’un peuple qui respire autant que possible le souffle de la liberté, sans pour autant s’affranchir des douleurs et des misères ordinaires.
La Dolce Vita fût jugé amoral et même pornographique par l’Eglise, ce qui ne surprend personne. Dès la première image, Fellini assume sa prise de distance avec la tradition catholique, avec cet hélicoptère qui porte au-dessus de Rome la statue d’un Christ qui symboliquement s’échappe là de la ville. D’ou l’expression ensuite de cette débauche par les fêtes et les orgies. Au final, Marcello est éreinté par le rythme fou que lui impose cette vie décompléxée et outrancière, confronté à deux images qui symbolisent sa propre décomposition. D’une part cette créature marine, effrayante mais encore vivante qui lui renvoie l’image de ce qu’il est devenu, d’autre part cette jeune fille pure et innocente avec qui il ne parvient à communiquer, comme s’il s’était coupé du vrai monde.
Avec La Dolce Vita, Fellini remporte la Palme d’Or à Cannes. Il devient aussi le premier réalisateur européen à être nommé pour l’Oscar du meilleur réalisateur. Le film remporte un succès colossal, notamment en Italie ou il devient un véritable phénomène de société. Cinquante ans plus tard, le film conserve son pouvoir de fascination, ne souffre d’aucune ride. L’évocation du film est aussi, plus que jamais, associée à Anita Ekberg et à la mythique scène de la fontaine de Trevi qui attire chaque années des millions de touristes. Comme pour Marcello Mastroianni, le film a permit à Anita Ekberg, mannequin suédois repéré par le cinéaste dans un magazine d’acquérir ce statut éternel d’icône du cinéma. On la retrouvera dans d’autres films de Fellini, Boccace 70, Les Clowns ou Intervista (dans lequel elle joue son propre rôle), mais son image restera à jamais celle dans la fontaine de Trevi.
Benoît Thevenin
La Dolce Vita – Note pour ce film :
Réalisé par Federico Fellini
Avec Marcello Mastroianni, Anita Ekberg, Anouk Aimée, Walter Santesso, Alain Cuny, Yvonne Furneaux, Lex Barker, Nadia Gray, Magali Noël, Jacques Sernas, …
Année de production : 1959
Sortie française le 11mai 1960
- Delta de Kornél Mundruczó ; film âpre, tragique et fabuleux (Cinema hongrois) - Sep 25, 2016
- Les Herbes folles d’Alain Resnais : une oeuvre étonnante - Juil 5, 2014
- Le soliste de Joe Wright - Juil 5, 2014