Romains contre barbares ? L’opposition simpliste entre des Romains civilisés et des barbares soi-disant sauvages et violents a depuis longtemps maintenant été rejetée par les progrès de la recherche historique. Car non seulement les barbares ont su s’approprier des éléments de la culture romaine, mais en plus, ils se sont aussi révélés être des alliés de l’empereur romain. C’est ce que montre l’analyse du contenu de la tombe de Childéric Ier, le père de Clovis.
Childéric, premier roi connu de ce qui allait devenir plus tard la France : un barbare. Donc, par définition, un non Romain. En réalité, l’analyse de sa tombe, découverte au XVIIe siècle, nous révèle qu’il s’agissait d’un roi franc, donc barbare certes, mais dont le pouvoir était également marqué par la romanité.
Des barbares au service des Romains
C’est en 1653 que la tombe de Childéric fut découverte, à l’occasion de travaux de reconstruction d’un hospice à Tournai. Un maçon mit au jour le trésor accompagnant la dépouille du roi franc. C’est le père d’un chanoine de la cathédrale de Tournai, Jean-Jacques Chifflet, qui publia, en 1655, le résultat des découvertes dans un ouvrage intitulé Résurrection du roi des Francs Childéric Ier. C’est la première monographie archéologique à caractère scientifique de l’histoire. En 1662, lorsque survint la mort de l’archiduc des Pays-Bas – à qui avait été confié le trésor –, ce dernier fut transporté à la cour des Habsbourg, à Vienne. Puis en 1665, il fut donné à Louis XIV qui le conserva au Cabinet des médailles de la Bibliothèque royale. Par chance, le mobilier funéraire échappa au vandalisme des révolutionnaires. Mais en 1831, un cambriolage au Cabinet des médailles fit disparaître la quasi-totalité des pièces du trésor, dont la plupart furent fondues par les voleurs pour obtenir des lingots. Ne nous restent donc qu’une infime partie du trésor de Childéric… et la description détaillée de Jean-Jacques Chifflet.
Childéric appartenait au peuple franc, peuple apparu au IIIe siècle sur la rive droite du Rhin et regroupant différentes tribus germaniques : Saliens, Ampsivariens, Chattuaires, Bructères, Chamaves… Dès le IIIe siècle, des Francs se livrèrent à des attaques contre Rome, à la fois par mer et sur terre. Mais à la même époque, d’autres vivaient dans l’empire romain, notamment parce que, vaincus par les armées romaines, ils furent ensuite installés en Gaule comme « lètes » : le terme désigne les prisonniers barbares chargés de mettre en valeur des terres laissées à l’abandon et tenus à un service militaire pour défendre les frontières de l’empire. Des Francs s’engagèrent aussi librement comme auxiliaires dans l’armée romaine. Plusieurs de leurs chefs gravirent d’ailleurs les échelons du commandement romain et firent ainsi de brillantes carrières, signe du ralliement de certains personnages importants aux valeurs de la romanité.
À partir des IVe et Ve siècles, les Francs, comme les autres peuples dits barbares, progressèrent au sein de l’empire romain dans le cadre des « migrations barbares » – ce qu’on appelait auparavant, à tort, les « invasions barbares ». Les Francs saliens, conduits par leur chef Clodion, s’emparèrent d’Arras un peu avant le milieu du Ve siècle, avant d’être repoussés par les Romains. C’est à cette occasion que Clodion conclut avec les autorités romaines, un foedus, c’est-à-dire un traité qui établissait les Francs dans l’empire comme « fédérés ». Concrètement, les Francs saliens obtinrent des terres sur lesquelles ils pouvaient s’installer avec leurs familles et leurs chefs et conservaient leur liberté, en échange de quoi ils reconnaissaient l’autorité de l’empereur et devaient lui apporter l’aide militaire contre les autres peuples barbares menaçant l’empire. C’est ainsi que les Francs aidèrent les Romains à défaire les Huns d’Attila à la bataille des champs catalauniques en 451.
Devenu roi des Francs saliens en 456, Childéric (qui était né vers 436) s’inscrivit dans cette politique d’alliance avec Rome. En effet, en 463, il contribua à lutter avec les Romains contre les Wisigoths, en 470 contre les Saxons, et après 476 contre les Alamans. À son avènement, il contrôlait Tournai et le bassin de l’Escaut puis, au cours de son règne, étendit sa domination sur le nord de la Gaule, Champagne et Picardie. Childéric était donc à la tête d’une royauté barbare au service de Rome. Il mourut en 481 ou 482 et fut inhumé, comme nous l’avons indiqué, à Tournai. Sa tombe nous a livré un mobilier qui traduit la double identité de son pouvoir, à la fois franc et romain.
L’anneau sigillaire : le chef franc représenté en général romain
La tradition germanique, en matière funéraire, se voit d’abord à la disposition d’ensemble du site. Au centre se situait un tumulus de vingt à trente mètres de diamètre qui surmontait la chambre funéraire. Cela était courant dans le monde païen. Autour se trouvaient trois fosses contenant les restes de respectivement quatre, sept et dix chevaux. Il était habituel dans le monde germanique, d’inhumer, en même temps que les défunts de haut rang, des chevaux. Mais le cas de la sépulture de Childéric est exceptionnel dans la mesure où cette habitude se limitait à deux ou trois chevaux.
En revanche, l’inhumation est une adaptation des Francs à la tradition romaine. En effet, en Germanie, c’est l’incinération qui prédominait. Le choix du site même rappelle les coutumes romaines : il était en bordure de route et à la périphérie de la cité.
Comment la tombe de Childéric est un révélateur des coutumes franques
Selon les coutumes franques, Childéric a été inhumé en tenue d’apparat avec ses armes et d’autres objets personnels. Parmi ceux-ci figure l’anneau sigillaire en or massif du défunt qui a permis d’identifier la personne inhumée et qui illustre parfaitement le caractère à la fois franc et romain du pouvoir du père de Clovis. En effet, Childéric est représenté avec la chevelure longue, privilège des chefs de guerre francs qui a valu aux premiers rois francs, de la part de Grégoire de Tours, l’expression de « rois chevelus », en opposition à la coiffure courte que l’on portait dans les milieux aristocratiques romains. Par ailleurs, la représentation montre également Childéric avec une lance, symbole du pouvoir chez les Francs. En même temps, le roi est figuré en général romain, avec sa cuirasse, et portant aussi le paludamentum, manteau de couleur pourpre que revêtaient les officiers généraux de l’armée romaine. Enfin, l’anneau sigillaire, par sa nature même, montre que Childéric devait authentifier les documents officiels en apposant son nom puisque l’objet porte l’inscription CHILDERICI REGIS (« du roi Childéric »). Le titre de roi signifie qu’il est le chef d’une armée ayant conclu un foedus avec Rome. Ce seul objet indique déjà la dualité du pouvoir du chef franc. Cette dualité se manifeste dans le reste du mobilier funéraire.
Des monnaies d’or frappées à Constantinople
L’armement qui accompagne le défunt est typiquement franc. Quatre armes au moins furent enterrées avec le corps de Childéric : une lance, une francisque – qui est une hache –, une épée longue appelée spatha et un long poignard nommé scramasaxe. L’épée et le poignard étaient des armes d’apparat puisqu’ils étaient richement ornés, tout comme leurs fourreaux. Le scramasaxe a l’allure de ceux qui étaient fabriqués à Constantinople à destination des barbares comme cadeaux d’ambassade.
L’hypothèse selon laquelle cette arme serait un cadeau diplomatique est renforcée par la présence, dans la tombe de Childéric, d’un trésor d’une centaine de monnaies d’or dont la plupart furent frappées sous le règne de l’empereur d’Orient Zénon. Ces monnaies auraient constitué les sommes dues à Childéric par Constantinople pour son aide militaire dans le cadre du foedus contre les Wisigoths, les Saxons et les Alamans et pour l’administration de la province dont il était chargé. Une fibule cruciforme en or faisait aussi partie du mobilier funéraire et rappelle encore l’origine romaine du pouvoir de Childéric puisqu’elle servait à maintenir le paludamentum sur les épaules du roi. Il est possible que cette fibule ait été aussi un cadeau de l’empereur romain.
D’autres objets rappellent la culture franque de Childéric. Ainsi, un bracelet ouvert en or massif d’un poids de trois cents grammes environ. Ce type de bijou, dans la tradition germanique, était ajusté au poignet du roi quand il montait sur le trône. Furent retrouvés aussi des boucles de ceintures, de chaussures, de baudrier et de harnachement, et un fermoir dont les extrémités étaient ornées de têtes d’animaux. Ces objets étaient courants dans la région du Danube moyen où des Germains avaient reconstitué des royaumes après la mort d’Attila.
Enfin, une trentaine de bijoux zoomorphes, représentant peut-être des abeilles ou des mouches, sans qu’on sache vraiment, ainsi qu’une applique en forme de tête de taureau pourraient avoir fait partie de l’équipement d’un cheval, d’autant qu’un crâne de cheval fut découvert en même temps que la tombe de Childéric. On ne peut affirmer avec certitude que ce crâne faisait partie du mobilier funéraire mais cela serait tout à fait conforme à la tradition franque qui consistait à enterrer les personnages d’un rang social élevé avec leur cheval, ou au moins la tête du cheval, et parfois uniquement avec le harnachement, notamment selle et mors.
Le mobilier funéraire de la sépulture de Childéric rappelle donc le « caractère profondément équivoque du pouvoir des chefs barbares en Gaule à la fin du Ve siècle » (Geneviève Bührer-Thierry et Charles Mériaux). Un pouvoir dont la double origine, franque et romaine, montre que les relations entre Romains et « barbares » étaient loin d’être uniquement conflictuelles.
En savoir plus sur le mobilier funéraire de Childéric Ier
Aller plus loin :
BÜHRER-THIERRY, Geneviève et MÉRIAUX, Charles, La France avant la France. 481-888, Paris, Belin, « Histoire de France », 2010.
KAZANSKI, Michel et PÉRIN, Patrick, « Le mobilier funéraire de la tombe de Childéric Ier. État de la question et perspectives », in Revue archéologique de Picardie, 1988, n°3-4, pp. 13-38.
RICHÉ, Pierre, Dictionnaire des Francs. Les Mérovingiens et les Carolingiens, Paris, Bartillat, 2013.
WERNER, Joachim, « Childéric. Histoire et archéologie », in Les Francs sont-ils nos ancêtres ? Histoire et archéologie, Les dossiers, septembre 1981, n° 56, p. 20 sq.
WERNER, Karl Ferdinand, Les Origines, Paris, Fayard, « Histoire de France », tome I, 1984.
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