Envoûtant, toujours, énervant, parfois, emballant, souvent, agaçant, un peu, ce vaste roman rédigé à deux voix par des jumeaux, Patrice et Patricia, qui veulent s’écrire tout ce qu’ils n’ont pas pu se dire jusqu’à la mort de leurs parents, se raconter l’histoire qu’ils ont vécue depuis qu’ils se sont séparés parce que leur amour fraternel n’était plus seulement fraternel mais aussi charnel. Ecrire pour « nous raconter notre vie afin de nous libérer l’un de l’autre ».
Une histoire comme Agatha Christie sait si bien les raconter, une histoire qui puise sa source dans un passé lointain, une histoire qui pourrait être écrite sur une partition, une histoire en musique, une histoire de musique, un drame lyrique qui explose quand le père est accusé d’avoir tué le ténor en pleine représentation de Tosca sur la scène de l’Opéra de Berlin. A cette occasion, les jumeaux, vont essayer de renouer les relations qu’ils ont rompues et accompagner leurs parents jusqu’au terme de leur vie en recueillant chacun des bribes de confidences qui leur permettront de reconstruire la vie qu’ils ont cru avoir et qui n’était pas celle que les autres membres de la famille avait vécue.
Ainsi, ils vont réaliser une véritable autopsie de cette famille suisse romande, exilée à Berlin, composée d’un accordeur de pianos génial mais médiocre compositeur qui vit son échec avec une profonde frustration, d’une mère morphinomane, artiste foudroyée et amante délaissée dans sa jeunesse et de ces jumeaux qui essaient de composer leur personnalité sur les ruines de leur couple gémellaire.
Avec « Train de nuit pour Lisbonne », Mercier avait produit un livre sur l’inné, alors qu’avec ce roman, même s’il n’oublie jamais de rappeler que ce que nous voyons de la vie n’en est que la partie émergée, il évoque plutôt l’acquis : la mémoire de la douleur, physique ou morale, la jalousie de la sœur, les frayeurs de l’enfant battu, la culpabilité du frère se croyant responsable de la mort de sa sœur, l’humiliation du père, l’échec et le succès… tout ce qui contribue à la construction de la personnalité.
Il serait trop prétentieux de vouloir évoquer toutes les facettes de ce roman qui évoque tant la construction de l’être que sa capacité à vivre en société et à construire des couples par un plus ou moins bon assemblage des personnalités, tant la nécessité de faire vivre le passé pour créer l’avenir que la nécessité d’oublier pour ne pas altérer l’avenir, tant la faiblesse de la chair que la noblesse des sentiments, tant l’apparence de la vie désirée que la réalité de la vie vécue, « quel gouffre entre de qu’il désirait être et ce qu’il était réellement ! », …
Un roman subjuguant malgré les longues digressions qui n’enrichissent pas forcément le récit, l’étirant même dans une longueur qui n’est pas nécessaire tant le texte est dense, tant le style est précis et tant l’écriture est serrée. La musique de Puccini ne méritait peut-être pas ces errements dans des récits périphériques inutiles, à mes yeux du moins.