L’histoire s’ouvre sur le suicide d’un homme de 90 ans, qui se jette du quatrième étage de la maison de retraite dans laquelle il vient de passer plusieurs années.
Son geste, que son fils apparente à une tentative pour voler, le vieil homme l’a préparé depuis de nombreuses années. Sa chute a duré en fait plus de quarante ans, quarante années qu’il va laisser à son fils et qui seront retranscrites dans cette bande dessinée. Antonio est né dans une famille de paysans pauvres. Il détestait la terre, la lutte entre les paysans pour garder leur petit lopin et ne rêvait que d’une chose: la ville. Après une première tentative manquée, Antonio part finalement à Saragosse. En ville, il obtient son permis, passeport indispensable pour trouver du travail, le jour même où la révolution éclate. Antonio s’engage du côté des républicains pour l’instauration de la Seconde République, il sera ensuite à nouveau du côté des républicains contre Franco avant de finir au côté des communistes, réfugié en France et récupéré par le maquis. Mais c’est après guerre que la désillusion et l’amertume auront raison de ses idéaux. Non seulement Antonio s’est fait voler sa guerre, mais il a aussi perdu sa République égalitaire, par ceux-la même qui prétendaient la défendre. « Tant mieux, enfin je ne vois rien », s’écrit-il dans une scène allégorique où un aigle franquiste lui crève les yeux.
J’ai beaucoup aimé cette bande dessinée qui allie la grande Histoire (celle de l’Espagne avant et après la Seconde Guerre mondiale) avec la plus petite, celle d’un homme qui n’a pas complètement compris son père de son vivant mais qui le découvre à sa mort. Malgré une ouverture tragique (le suicide d’un homme) et une suite d’événements qui ne sont que renoncement et compromissions, cette bande dessinée ne manque pas d’humour. On garde en mémoire après la lecture de ce texte, la perte des illusions nées de la Seconde république et le déshonneur que fut pour beaucoup d’Espagnols le règne de Franco. Cette oeuvre montre également la non résolution du passé, ou comment après le départ de Franco on s’est empressé de tout oublier. Amnésie qui semble maintenant laisser la place à la recherche, comme le montre le travail d’Antonio Altarriba sur son père.
— LN
Comme H., j’ai beaucoup aimé lire ce roman graphique qui est d’une tristesse terrible. On assiste à l’impossibilité pour ce personnage de sortir de sa condition initiale malgré la force de ses rêves et comment les compromissions inévitables avec ses idéaux l’entraînent dans la sphère inéluctable du malheur.
Je suis également impressionné par la richesse de la vie de cet homme: émigré rural, enrôlé dans l’armée franquiste, déserteur, combattant dans l’armée républicaine avec les anarchistes puis les communistes, réfugié en France, emprisonné dans les camps, évadé, capturé par la gendarmerie, interné en camp de transit, envoyé en bataillon de travail, échappé, capturé, ré-évadé, résistant, mafieux… avant de revenir en Espagne et de tenter d’avoir une vie normale.
C’est cette recherche de la normalité qui va avoir raison de lui. Recherche de la normalité qui rejoint la recherche de l’amour et le besoin d’être aimé. Mais c’était comme si cette joie lui coûterait plus que tout et lui serait toujours refusé.
Une oeuvre triste, vraiment, mais belle. Une lecture très forte.
— Mathieu
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