Quid d’Alexandre Dumas ? Génie conteur ou médiocre usurpateur ? Historiens et bibliographes pourront toujours s’attacher à répondre à cette question, le débat semble difficile à arbitrer. Il est de notoriété publique que Dumas employait des collaborateurs pour améliorer sa prose, et le plus célèbre de ses « nègres » est sans doute Auguste Maquet.
Safy Nebbou prend position en accordant à Maquet un peu plus que le bénéfice du doute. Le personnage, interprété par Benoît Poelvoorde dans le film, clame haut et fort sa paternité des Trois Mousquetaires. Le cinéaste répond ainsi à la doléance de Maquet, lequel a dans son testament réclamé que sa descendance s’applique à lui rendre ce qui lui appartiendrait, que l’on oublie pas sa contribution à l’écriture de ce qui reste un monument de la littérature populaire française.
Adaptation d’une pièce de théâtre écrite par Cyril Gely et Eric Rouquette et mise en scène par Jean-Luc Tardieu en 2003, L’Autre Dumas évoque dans un premier temps un tout autre malentendu. Pour laisser libre court à son imagination, Dumas prend ses aises à Trouville, accompagné de son ombre, Auguste Maquet. Une jeune femme vient solliciter l’aide du romancier afin qu’il use de son aura pour faire libérer son père révolutionnaire et agonisant dans sa geôle. Charlotte s’adresse sans le savoir à Maquet, et ne laisse pas à ce dernier le soin d’en placer une. Il est pris pour Dumas et accepte de se livrer au jeu, étourdit par la beauté juvénile de Charlotte qu’il espère séduire. Dumas ne se rend compte de rien alors que Maquet commence discrètement à prendre sa place, trouvant dans le quiproquo initial l’occasion du règlement de ses comptes.
Le choix de Gérard Depardieu pour jouer le personnage d’Alexandre Dumas aura fait polémique. Dumas était quarteron (né d’un père haïtien) et aura souffert toute sa vie des allusions racistes relatives à la couleur de sa peau métissée. Il est vrai que le film nie totalement cet aspect de la vie de Dumas. Pire, dans une scène, le personnage joué par le toujours truculent Depardieu se laisse aller lui même à une remarque peu éloquente en la matière (« c’est qui se rastaquouère ?« ). L’objet du film n’est alors absolument pas le métissage de Dumas, ce n’est d’aucune manière l’enjeu de ce récit attaché à rendre compte de problématiques d’ordres radicalement différentes. Certes, on peut regretter que le métissage de Dumas soit ainsi passé sous silence mais Depardieu à toute légitimité pour jouer ce personnage. Non seulement il en a la carrure, mais l’acteur est aussi lié à Dumas de façon assez évidente du fait de certain de ses choix de carrière. Il a été Porthos, dans L’Homme au Masque de fer, mais aussi Edmond Dantes dans l’adaptation à la télévision et par Josée Dayan du Comte de Monte-Cristo.
Le problème n’est pas tant qu’un acteur blanc puisse incarner Alexandre Dumas. Depardieu est excellent dans son personnage et semble effectivement bâti pour le rôle. Ce qui aurait été bien plus ambigu c’est que l’on grime la peau de l’acteur.
Et puis, encore une fois, le métissage de Dumas n’est absolument pas le sujet du film. La polémique enfle cependant mais elle est reflète un mal bien plus profond et très souvent tu que le cinéma français continue de ne pas vouloir soigner vraiment. La sous-représentation des acteurs arabes, noirs ou métisses dans le cinéma français est régulièrement soulignée dans ces pages.
Que Dumas soit incarné par Depardieu, ce n’est pas scandaleux en soi, c’est simplement symptomatique de l’état d’un cinéma qui ne mérite pas qu’on le qualifie de tricolore. Le fait est qu’aucun nom d’acteur métisse ne nous vient à l’esprit et qui aurait été un formidable choix pour l’interprétation à l’écran de Dumas. Pour cela, il aurait fallu faire confiance enfin à un acteur inconnu, pas du tout bankable donc, qui peut-être à ce jour existe mais se morfond à être rejeté perpétuellement par les directeurs de casting. Le réservoir d’acteurs connus et «typés» est en France très étroit, et dès lors que ceux qui font le cinéma français n’adoptent pas une vision plus volontariste et qui rendrait compte de ce à quoi ressemble vraiment la population française de ce début de XXe siècle, on continuera de se reposer exclusivement sur les mêmes visages d’acteurs blancs. A la décharge du cinéma français, le phénomène n’est pas circonscrit à notre seul exemple. Il n’y a pas d’exception française à ce propos ou seul les américains font figure justement d’exception. Même au Nigeria, les stars de Nollywood sont des acteurs africains à la couleur de peau plus pâle que la plupart de leurs homologues.
Au-delà de la polémique autour de ce seul film, il serait donc bon de s’interroger plus largement et consciencieusement sur les causes et conséquences de l’apartheid latent au sein du cinéma français.
Pour revenir au film, soigné et bien exécuté, on peut regretter l’absence de style et la réalisation assez plate de Safy Nebbou (quand bien même le plan final nous ferait presque mentir). La référence du Comte de Monte-Cristo par Josée Dayan pour TF1 s’imposant d’elle-même lorsque l’on voit Depardieu en Dumas, on ne peut s’empêcher de penser que L’Autre Dumas est justement calibré pour la télévision, et aurait sans doute été perçu comme un excellent téléfilm. Pour le cinéma, le film n’est qu’un film de plus, qui se regarde sans déplaisir, offre à Poelvoorde un rôle dans lequel on n’a pas l’habitude de le voir et pour lequel il se montre tout-à-fait à son avantage, mais qui ne risque pas de nous marquer plus que ça. Pas plus qu’un bon téléfilm en tout cas. Mais vous verrez, il finira programmé en prime par France 2 et réalisera une audience sans doute très honorable…
Benoît Thevenin
Filmographie de Safy Nebbou :
2004 : Le Cou de la girafe
2006 : Enfances (segment « Une Naissance »)
2008 : L’Empreinte
2010 : L’Autre Dumas
L’Autre Dumas – Note pour ce film :
Avec Gérard Depardieu, Benoît Poelvoorde, Mélanie Thierry, Dominique Blanc, Catherine Mouchet, Ophélia Kolb, Michel Duchaussoy, Jean-Christophe Bouvet, Philippe Magnan, Roger Dumas, Florence Pernel, …
Année de production : 2009
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