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Le « Paris » utopique de Victor Hugo

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Les écrivains sont imprévisibles. Lors qu’on demanda à Sartre une préface aux Œuvres complètes de Jean Genet, il rendit un pavé de 696 pages d’une exceptionnelle densité qui s’intitulait Saint Genet comédien et martyr. Et lorsqu’en 1866, on sollicita Victor Hugo pour écrire une introduction à Paris guide (un ouvrage destiné aux visiteurs de l’Exposition universelle de 1867), il rédigea un long texte qui tient à la fois de la lettre d’amour à une Capitale mythifiée et de la profession de foi utopique, qui dépassait de très loin le format qu’on attendait de lui. Ce texte vient d’être publié, sous le titre Paris (Bartillat, collection Omnia, 118 pages, 9 €).

En exil à Guernesey, l’auteur n’a pas vu Paris depuis seize ans. La ville dont il décrit l’histoire, dont il cite les rues aux noms pittoresques, relève donc moins de la réalité que du mythe. Mais ce texte s’impose surtout comme un manifeste de la pensée politique hugolienne. C’est un hymne à la paix, à la fraternité, à l’universalité des Lumières et au progrès technique en tant que vecteur des valeurs précitées. Si Hugo, d’ailleurs, décrit le Paris de son temps, c’est avant tout pour se projeter vers l’avenir, prophétiser. Et ce qu’il prédit s’oppose totalement à la vision sombre que développe Jules Verne dans son Paris au XXe siècle (écrit en 1863 mais refusé par son éditeur Hetzel), d’une ville dominée par la technologie, la finance, la surveillance constante des habitants.  Hugo rêve d’une paix universelle, d’une Europe unie, d’un monde ouvert à la libre circulation, libéré des superstitions et des fanatismes religieux, dont Paris serait le phare, irradiant ses valeurs d’une humanité réconciliée jusqu’aux confins de la terre, à l’image, dans le passé, d’Athènes et de Jérusalem. De l’Allemagne, voisin considéré alors avec suspicion, il écrit ceci :

« Est-ce vous qui attaquez, Allemands ? Est-ce nous ? A qui en veut-on ? Allemands, all Men, vous êtes Tous-les-Hommes. Nous vous aimons. Nous sommes vos concitoyens dans la cité Philosophie, et vous êtes nos compatriotes dans la patrie Liberté. Nous sommes, nous, Européens de Paris, la même famille que vous, Européens de Berlin et de Vienne. France veut dire Affranchissement. Germanie veut dire Fraternité. Se représente-t-on le premier mot de la formule démocratique faisant la guerre au dernier ? »

Trois ans plus tard, éclatait la guerre de 1870 ! A la lumière de l’Histoire, on mesure combien Hugo se trompe, par angélisme, par optimisme, par passion pour l’utopie. Le monde du XXe siècle qu’il prophétise, fécondé par le progrès scientifique et l’amitié universelle, accouchera des tranchées boueuses de Verdun et des ruines calcinées d’Oradour ! Le monde du XXIe siècle, lui, ne parvient pas à panser ses plaies à vif qui se nomment crise sociale, conflits régionaux et montée des intégrismes. « Celui qui rêve est le préparateur de celui qui pense », écrit-il. La formule est belle, mais ne s’applique pas au songe idéaliste qu’il nous soumet ; la réalité nous le rappelle quotidiennement.

Et pourtant, quel magnifique texte que ce Paris ! Autant Hugo peut se révéler grandiloquent, voire pompier dans ses vers, autant sa prose, ici, emporte tout sur son passage, comme un vent purificateur. Une prose mystique, lyrique, universaliste, vibrante, qui ravira les amateurs de vraie littérature.

Illustration : L’Exposition universelle de 1867, gravure.

Thierry Savatier

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