Pour les amoureux de la Grèce, que son architecture antique passionne, Le Parthénon, un monument dans l’Histoire, de François Queyrel (Bartillat, 240 pages, 22 €) ne devrait pas décevoir. L’auteur, ancien membre de la prestigieuse Ecole française d’Athènes, qui enseigne l’archéologie à l’Ecole pratique des Hautes Etudes, maîtrise son sujet. Son livre s’ouvre sur une description de l’Acropole et de son histoire.
« Le lieu est hanté par le souvenir de légendes, que l’on verra représentées sur le Parthénon. Et ces légendes familières à tous les Athéniens sont empreintes de violence, de sexe et de mort. »
Les dieux de la Grèce n’ont en effet rien d’éthéré, leurs passions les rapprochent de l’humain jusque dans les recoins les plus sombres de leur cœur ; ils sont humains, trop humains peut-être, comme a si bien su l’exprimer Jean Rey dans son extraordinaire roman fantastique, Malpertuis, dont je ne recommanderai jamais assez la lecture (Labor littérature, collection Espace Nord, 290 pages, 9 €).
Le Parthénon, un monument dans l’histoire bien au-delà d’Athènes
La genèse du Parthénon, dans le cadre de la reconstruction de l’Acropole, se confond avec le rêve de Périclès ; rêve de grandeur, sans doute, mais aussi politique et pragmatique. Bien avant les économistes modernes, il avait compris qu’une politique de grands travaux publics permettait d’assurer la prospérité de la Cité et de ses artisans. Avec habileté, si l’on en croit Plutarque, Périclès obtint même que le financement de ce projet pharaonique soit assuré par les alliés d’Athènes, sans que ces derniers n’aient droit de regard sur l’utilisation des sommes allouées…
Commencée vers 447, achevée en 432, la construction du Parthénon, supervisée par le mythique Phidias (qui fut, au passage, accusé d’avoir détourné une partie des matériaux précieux de la colossale statue chryséléphantine d’Athéna Parthénos qui y était abritée) aboutit au chef d’œuvre que nous connaissons. Le nom de cet artiste est directement lié à la sculpture, et ce sont justement ces ornements qui constituent l’une des originalités les plus marquante du monument :
« La sobriété du temple dorique, indique l’auteur, est enrichie par une frise continue, inattendue dans l’ordre dorique, qui fait le tour de la partie interne du Parthénon […] »
Cette frise, ainsi que les sculptures des frontons, se trouvent aujourd’hui détruites ou dispersées, mais, grâce à un travail de reconstitution minutieux, François Queyrel en donne une description particulièrement précise. Des dessins in-texte des deux frontons, ainsi qu’une représentation de l’ensemble de la frise que l’éditeur a eu l’idée astucieuse d’imprimer sur une feuille volante permettent au lecteur de suivre page après page ces illustrations des légendes de la Grèce qui, sans cette assistance iconographique, risquaient de paraître complexes aux non-spécialistes.
La seconde moitié du livre raconte l’histoire passionnante du Parthénon, qui se confond avec celle de la Grèce. Guerres, invasions barbares, attaques des Chrétiens et des Turcs apportèrent leur lot de vandalisme et d’incendies. Le temple fut transformé en église puis, lors de l’occupation ottomane, en mosquée, puis en poudrière. A partir du XVIIe siècle, les premiers voyageurs qui débarquèrent à Athènes en quête d’une Antiquité imaginaire issue de leurs lectures, immortalisèrent ce qu’ils virent par des dessins. Ces documents sont d’autant plus précieux qu’ils dressent un état du monument avant l’explosion de 1687. Un long développement consacré au comte de Choiseul-Gouffier et à son collaborateur Fauvel permet de comprendre les efforts que ces deux passionnés tentèrent pour sa connaissance et sa préservation, dans un contexte historique et politique particulièrement difficile.
Parmi les voyageurs qui purent accéder aux ruines, l’auteur cite Chateaubriand, pour qui l’art du Parthénon éclipse celui de Rome : « Ce que j’ai dit des arts dans le Génie du Christianisme est étriqué et souvent faux. A cette époque, je n’avais vu ni l’Italie, ni la Grèce, ni l’Egypte. » Plus tard, Freud dira avec émerveillement : « Ainsi donc, tout cela existe effectivement comme nous l’avons appris à l’école. » En lisant ces lignes, j’avoue m’être précipité sur la Correspondance de Flaubert pour y lire les impressions qu’il avait notées lors de son voyage en Grèce de 1850-51. Comme d’habitude avec Flaubert, je n’ai pas été déçu : « La vue du Parthénon est une des choses qui m’ont le plus pénétré de ma vie », écrit-il à sa mère le 26 décembre 1850. Dans une longue lettre du 10 février 1851, il décrit à son ami Louis Bouilhet le monument dans l’état d’abandon où il l’avait trouvé. Son témoignage est saisissant :
« Le Parthénon est couleur de brique. Dans certains endroits ce sont des tons de bitume et presque d’encre. Le soleil donne dessus presque constamment quelque temps qu’il fasse. Ça casse-brille. Sur la corniche démantelée viennent se poser des oiseaux, faucons, corbeaux. Le vent souffle entre les colonnes, les chèvres broutent l’herbe entre les morceaux de marbre blanc, cassés et qui roulent sous les pieds. Çà et là, ans des trous, des tas d’ossements humains, restes de la guerre. De petites ruines turques parmi la grande ruine grecque, et puis, au loin, toujours et toujours, la mer ! »
A ce paysage de désolation, un homme n’est pas étranger, Lord Elgin, dont François Queyrel dresse ainsi le portrait :
« Elgin, ambassadeur à Constantinople et amateur d’art grec, aurait pu être un second Choiseul-Gouffier, voulant diffuser les motifs artistiques des Grecs grâce aux dessins et aux moulages. La grande différence entre les deux hommes réside dans le résultat de leur action et, finalement, dans les principes qui l’ont guidée : Choiseul-Gouffier n’a pas endommagé le Parthénon et n’a pas cherché à tirer un profit personnel des fragments antiques de sa collection ; Elgin a gravement endommagé le monument et a voulu en tirer de l’argent. Il y a entre les deux hommes la différence qui sépare l’amateur éclairé du spéculateur. »
Les documents recueillis par l’auteur sont en effet accablants pour le diplomate écossais dont les prédations suscitèrent la colère de Lord Byron, exprimée dans La Malédiction de Minerve (1811). Les frises emportées par Elgin sont aujourd’hui conservées au British Museum, d’autres lambeaux se trouvent dans d’autres musées d’Europe, dont le Louvre, mais le dossier n’est pas clos pour autant. Au sein de l’Union Européenne, la Grèce moderne multiplie les demandes de restitution auprès de la Grande-Bretagne, sans succès, comme on peut l’imaginer. Entre originaux souvent mal restaurés (l’auteur dénonce avec humour le syndrome de la « Mère Denis » qui fit laver « plus blanc que blanc » bien des marbres antiques) et moulages utiles (notamment ceux réunis par Ernst Berger à Bâle), les amateurs auront le choix pour découvrir les frises disparues. Le livre de François Queyrel les aidera utilement à se repérer entre toutes ces sources dispersées. L’ouvrage inclut un plan de l’édifice, un cahier d’illustrations, un glossaire, une chronologie du Parthénon, une bibliographie et un index, suppléments indispensables, mais assez rares dans les publications d’aujourd’hui pour qu’on se réjouisse de leur présence.
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Illustrations : Le Parthénon vers 1751, dessin par Stuart et Revett (on distingue, au centre, la petite mosquée) – Le Parthénon, 1871, Frederic E. Church – Fragment de frise, British Museum.