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Le spectacle vivant et ses mots

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Voici un ouvrage drôle et érudit qui fera les délices des amateurs de théâtre, de concerts, de cirque – bref, ce que l’on inclut généralement aujourd’hui sous la rubrique « spectacle vivant » – et les curieux du langage. Entracte, de Bernard Guiraud (JBZ et Cie, 202 pages, 13,95 €) se présente  en effet comme une « petite revue des mots du spectacle ». Il va toutefois bien au-delà du simple lexique, dans la mesure où l’auteur consacre les 78 premières pages de son essai à une contextualisation des termes communément employés dans ce métier.

Explications techniques, anecdotes savoureuses, sources étymologiques et historiques, citations d’écrivains et d’artistes se succèdent ainsi au fil des chapitres. Les jargons de métier et les argots professionnels surprennent toujours par leur richesse, l’inventivité de ceux qui les ont fait naître et les évolutions apportées par ceux qui les font vivre. Il s’agit bien là de langues vivantes, avec leurs expressions nouvelles et leurs termes tombés en désuétude.

Dans le monde du spectacle, on file volontiers la métaphore colorée et d’apparence licencieuse, on fait appel au vocabulaire marin (lointain souvenir de la marine à voile dont les cordages et les toiles rappellent toute la machinerie des coulisses) et l’on conserve quelques traditions bien ancrées, d’anciennes superstitions. C’est ce qui fait le charme de ce milieu, à condition, naturellement, de comprendre les codes qui le régissent.

Bernard Guiraud excelle dans cette pédagogie en agrémentant son propos de traits d’humour toujours bienvenus et souvent piquants. Ainsi, lit-on, à la rubrique « Quand applaudir pendant un concert classique ? » :

« Dans un concert de rock, on applaudit quand on veut, mais au concert classique, ce n’est pas la même rengaine ; il faut un minimum d’initiation pour savoir quand applaudir.

Si pendant la Cinquième symphonie de Beethoven, vous applaudissez juste à la fin du célèbre premier mouvement et si, de surcroît, vous bissez (demandez un bis), vous passerez pour un bien pauvre garçon… […] Pendant un concert de musique contemporaine […], le moment où il faut applaudir est bien plus compliqué à dénicher, sauf si le compositeur est dans la salle. Traditionnellement, il présente son œuvre en expliquant avec des mots châtiés tout ce qu’il faut comprendre et tout ce qu’il faut ressentir en écoutant sa musique.

A la fin de l’œuvre, un de ses amis ou lui-même pourra se transformer en claqueur et, après un certain laps de temps, la salle se mettra à applaudir.

Le gros avantage de ce genre de concert où l’intelligence est proclamée, c’est que les « fausses notes » passent généralement tout à fait inaperçues… »

L’auteur nous apprend donc une foule de détails, comme l’origine du « poulailler », celle des tomates jetées par le public sur les artistes qui ont fait un four, les différents types de rideaux qui séparent la scène du public. Il nous donne la signification d’expressions insolites, comme « déculotter la vieille » ou « montrer son cul ». Le lexique final témoigne d’une singularité : de tous les spectacles vivants, il semble que ce soit dans le milieu musical que les expressions les plus lestes (en apparence) foisonnent : un musicien « astiquera son manche », « titillera le clito » de sa contrebasse (ou « pelotera la grand-mère », le violoncelliste se contentant de « scier du bois ») ; les machinistes ne seront pas en reste lorsqu’ils « branleront la frise ». Et, au sein de cet univers impitoyable ou, cependant, tout le monde « fait chéri chéri », l’opéra Garnier reste « la grande maison » tandis que l’opéra Bastille répond au nom peu flatteur de « bidet ». Il y a des images parfois cruelles.

Dans cet essai réjouissant, les décors ne sont peut-être plus de Roger Hart (1927-1982) ni les costumes de Donald Cardwell (1935-2004), mais le lecteur comprend vite l’atmosphère d’une profession où, comme le disait Henri Janson, « on ne brûle bien les planches que si on a le feu sacré. »

Illustration : Le poulailler, photographie tirée du film de Marcel Carné, Les Enfants du paradis, 1945.

Thierry Savatier

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