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Denis Diderot |
Le philosophe et maître d’œuvre de l’Encyclopédie Denis Diderot (1713 – 1784) sera le seul personnage important des Lumières françaises à répondre favorablement à l’invitation de l’impératrice Catherine II à se rendre à Saint-Pétersbourg, mettant néanmoins 11 ans à se décider. Ce voyage s’effectuera de l’automne 1773 au printemps 1774, soit plus de 20 après que Voltaire se soit rendu auprès d’un autre monarque sensible aux idées des Lumières : Frédéric II, Roi de Prusse.
Catherine II, impératrice et autocrate de toutes les Russies, règne à partir du 28 juin 1762, succédant à son mari Pierre III, Tsar brutal et ivrogne, assassiné lors d’un coup d’état dont elle est l’instigatrice. Elle s’était réfugiée dans la lecture et goûtait aux idées des Lumières. Elle entretient des correspondances avec notamment Voltaire (dont elle achètera la bibliothèque), d’Alembert, Melchior Grimm, et Diderot, et n’a de cesse que de faire venir les philosophes à Saint-Pétersbourg. De leur côté, les philosophes français se sentent investis d’une mission civilisatrice et espèrent convertir les souverains européens aux idées de progrès politique, économique et social.
Catherine II |
Dès son accession au trône, en 1762, Catherine avait proposé à Diderot, par l’entremise de Voltaire, de venir terminer l’Encyclopédie à Riga. Mais le philosophe avait alors décliné l’invitation dans la mesure où la censure en France avait desserré son étreinte, les Jésuites ayant été expulsés en 1764. Le fait que la tsarine vienne en aide financièrement au philosophe en lui rachetant sa bibliothèque en 1765, par l’entremise de Frédéric Melchior Grimm, est semble-t-il déterminant.
Grimm et Diderot |
Avant de partir, Diderot va se documenter, curieusement plus en lisant l’Histoire de Russie de Voltaire (écrit en 1759 et 1763), qui n’est jamais allé sur place, plutôt que dans l’article « Russie » de l’Encyclopédie, écrit par le chevalier de Jaucourt. Il consulte également le Voyage en Sibériede l’abbé Chappe d’Auteroche, qui décrit la Russie sans complaisance.
Diderot va faire ses deux voyages, aller et retour, par la route. Parti de Paris le 11 juin 1773, il va d’abord séjourner deux mois à La Haye, avant de reprendre la route « à marche forcée », son compagnon de voyage, Aleksei Vasilievich Narychkine, un jeune russe de l’une des grandes familles et chambellan de Catherine, souhaitant arriver à Saint-Pétersbourg pour le mariage du prince héritier, le Grand-duc Paul, le 9 octobre 1773. Ils passent par Düsseldorf, Leipzig, Königsberg, Memel (Klaipėda), Mitau (Jelgava), Riga et Narva et arrivent à Saint-Pétersbourg le 8 octobre, la veille du mariage princier !
Le parcours aller-retour de Diderot |
Diderot va séjourner à Saint-Pétersbourg du 8 octobre 1773 au 5 mars 1774, c’est-à-dire en plein pendant l’hiver. Il espérait loger chez le sculpteur Étienne-Maurice Falconet, que Diderot avait recommandé à l’impératrice pour réaliser la statue de Pierre le Grand. Mais celui-ci le reçoit avec une certaine froideur et explique qu’il ne peut pas le loger car son fils est arrivé à l’improviste. C’est finalement Aleksei Vasilievich Narychkine qui lui offrira l’hospitalité dans son hôtel particulier, au 8 place Saint-Isaac.
Agé de 60 ans, ce voyage, au cours duquel il est malade et dont il va rentrer affaibli, est pour lui une épreuve. Dès la fin septembre 1773, à Narva (Estonie), il sera pris de coliques néphrétiques. A Saint-Pétersbourg, il ne sort pratiquement pas du palais Narychkine, car il est souvent atteint de dysenterie. Il est toutefois reçu en moyenne trois fois par semaine par la Tsarine, dans les appartements privés de celle-ci, pour des tête à tête qui durent de deux à trois heures. C’est Diderot qui proposait les thèmes en présentant à l’impératrice un essai ou un « mémoire » qui servait de point de départ à leur discussion.
Première page du tome premier de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert |
Diderot n’a pas rédigé de « Voyage en Russie », à la différence de son « Voyage en Hollande ». On connaît toutefois quelques détails de son périple de retour par ses correspondances. Diderot quitte en effet Saint-Pétersbourg le 5 mars 1774. Les difficultés pour se loger en route est une constante que l’on retrouvera chez d’autres voyageurs (« des hôtes maussades, des mauvais gîtes »). Il évoque une aventure à Mittaubrück quand la voiture que lui a fournie Catherine II se brise au passage de l’Aa courlandaise (le fleuve Lielupe). Le voyage était déjà devenu épopée quand il écrivait : « Quand je me rappelle le passage de la Douina (Daugava), à Riga, sur des glaces entrouvertes d’où l’eau jaillissait autour de nous, qui s’abaissaient et s’élevaient sous le poids de notre voiture et craquaient de tous côtés, je frémis encore de ce péril ». Il laissera en chemin « quatre voitures fracassées » ! Il sera de retour à Paris en Octobre 1774.
La fille de Diderot écrivit plus tard que le climat froid et humide de Saint-Pétersbourg avait nuit à la santé de son père et que le voyage en Russie avait probablement raccourci sa vie.
Pour en savoir plus : « Le voyage de Diderot en Russie » par Inna Gorbatov
Études littéraires, vol. 38, n° 2-3, 2007, p. 215-229
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