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Les 100 frères de Manol d’Anton Dontchev ; la geste des Balkans (Littérature bulgare)

100 frères de Manol

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100 frères de Manol« Au XVIIé siècle, la paisible vallée bulgare d’Elindenya est soumise à une islamisation forcée. Un berger héroïque, Manol, entraîne tous ses compagnons dans une résistance aussi fière que désespérée. Deux témoins se font les récitants de cette geste violente et terrible. » D’emblée, l’atmosphère est à l’épique, au tragique, à l’héroïsme et on ne peut s’empêcher de penser à l’Iliade d’Homère. Comme le souligne si bien la quatrième de couverture, on est devant une geste digne de « La chanson de Roland », on est face à une épopée digne des plus grands récits antiques.

 


Résumé:


100 frères de ManolD’emblée, l’atmosphère est à l’épique, au tragique, à l’héroïsme et on ne peut s’empêcher de penser à l’Iliade d’Homère. Comme le souligne si bien la quatrième de couverture, on est devant une geste digne de « La chanson de Roland », on est face à une épopée digne des plus grands récits antiques.
Le lecteur écoute, lit, déguste, frémit, pleure, rit au fil des chroniques des deux spectateurs-acteurs de la tragédie bulgare: deux voix, deux regards qui s’opposent, se complètent, se mêlent, se côtoient. D’un côté, Abdullah (« l’esclave de Dieu »), ancien seigneur de la haute et prestigieuse noblesse française, fait prisonnier au pied des remparts de Candie, ville assiégée qui succombera sous les coups turcs, par les armées turques, et devenu esclave dépossédé de son identité. De l’autre, un pope, Aligorko, moine du mont Athos, berger d’une société pastorale laminée par le rouleau compresseur du vainqueur.
Sous leurs yeux, sous leur plume écrivant à la lueur de leur mémoire de vieils hommes, une période terrible de l’histoire des Balkans s’inscrit dans les larmes, le sang et la honte. Le récit à deux voix, puissant, coloré, met en scène des personnages inoubliables: Manol, géant orthodoxe s’opposant jusqu’à la mort, à l’islamisation de son village. Manol au charisme épique et aux faiblesses qui en feraient un héros antique. On ne peut oublier la figure de Karaïbrahim, l’envoyé du sultan, celui qui doit convertir par la force s’il le faut les villages de la vallée d’Elindenya. Karaïbrahim est un janissaire cruel, implacable et sanguinaire, mais une fêlure est en lui: c’est un enfant du pays qui a été donné à l’armée du sultan qui l’a transformé en bourreau rempli de haine envers ses anciens compatriotes. Il est le fils d’un notable du village qui préféra le donner aux turcs à la place de l’orphelin, Manol, qu’il avait recueilli: les blessures sont toujours difficiles à cicatriser et distillent amertume et haine.
Ce roman est impossible à relater simplement et brièvement: il est le chant d’un pays soumis aux invasions et aux divers actes de barbarie qui en découlent. Il est la mélopée d’une nation en devenir, d’une identité nationale qui lentement se construit sur la cohabitation de deux religions, l’islam et l’orthodoxie (la métaphore des champs partagés entre deux frères, l’un orthodoxe, l’autre musulman, et du pommier dont la récolte est distribuée à parts égales entre les deux branches familiales, est d’une grande intensité).
Au cours de la lecture, on a la sensation de vivre des moments bibliques, des épisodes de la Génèse: les accents lyriques des récitants, car on est comme auditeur d’une tragédie antique, transforment ces derniers en monuments à la gloire de Dieu ou d’Allah! Mais c’est aussi une ode à la vie, précieuse pépite, à tout prix: accéder à la liberté nécessite une longue marche, pavée de bonnes et de mauvaises intentions, périlleuse, glissante (sur le sang et les larmes) où les sentiments les plus contraires sont exaltés.
Anton Dontchev sait admirablement décrire son pays, les paysages bulgares, les montagnes, les torrents, les forêts, les lacs oubliés où les dieux anciens semblent s’être endormis, les façons différentes de vivre l’islam. Il sait également faire vibrer son lecteur au rythme des passions des personnages et de la passion de Manol, rappelant celle du Christ.
On sort du roman épuisé par tant de déchaînements, par le souffle épique qui parcourt, inépuisable, chaque page et enchanté par cette écriture bouleversante et belle. On comprend alors pourquoi que l’histoire des Balkans ne fut, et ne sera, jamais simple!
Quelques passages:
« La vie me soufflait au visage comme le vent, elle volait au-dessus de moi comme un nuage, elle coulait à mes pieds comme une rivière.Peut-on attraper dans le creux d’une main le vent, le nuage, la rivière? Peut-on les retenir? Et ne pas les laisser échapper? Vivre signifie avoir et ne rien avoir. Et ne pas désirer avoir.
Abdullah avait compris que puisqu’on ne peut rien retenir, il ne faut pas essayer de la faire- il jouissait de la seule chose qu’il possédât, l’instant- et il s’efforçait d’en jouir sans essayer de le retenir. Car un autre instant viendrait ensuite. »
(p 44)
« Je perçus une étrange odeur d’herbe sauvage. En me retournant je vis la femme qui balayait avec un balai qu’elel avait confectionné en liant des brindilles vertes et dures. Les herbes fraîchement cueillies laissaient des traînées verdâtres sur les dalles, soulevaient un peu de poussière et exhalaient une senteur enivrante et sauvage. » (p 169)
« Je compris enfin que tout tournait autour de la fraternité. Ces gens-là considéraient comme des frères ceux de la vallée et des contrées bulgares tout entières. Ils voulaient rester leurs frères et ne pas lever la main contre des frères.Si l’on y pensait bien, on voyait qu’avoir un frère, cela signifiait être un homme à part entière. La fraternité c’était le lien de sang. Karaïbrahim disait qu’être seul, c’est être fort. Selon moi, il aurait dû dire: c’est devenir une bête féroce. L’homme ne vit pas seul. Il lui faut choisir: vivre seul, ou avec son prochain. Karaïbrahim voulait être seul et rompre tous ses liens avec les autres. Alors que les bergers faisaient tout pour rester ensemble. Karaïbrahim était arrivé au bout de son chemin. Les bergers allaient-ils eux aussi atteindre le bout du leur? » (p 322)
« Tout d’abord, je perçais les yeux de l’archange, puis, laissant le poignard, je me mis à gratter avec mes doigts. Le crépi se détachait par plaques comme l’écorce d’un sapin.
Alors apparurent sous mes doigts deux autres yeux qui me regardaient fixement. Il y avait d’autres images sous celle de l’archange Michel. Je les détruisis elles aussi. Puis se montra une main d’homme tenant un glaive. Je la fis disparaître. Mais un autre glaive apparut, rouge et recourbé comme une flamme, et sous ce glaive une bouche d’enfant souriait.
Ces fresques étaient immortelles. Je repris le poignard et me mis à frapper de toutes mes forces, faisant voler les plaques de crépi dans un nuage de poussière. Je me sentais étouffer, mes yeux s’emplissaient d’une âcre poussière et mes jambes flageolaient. Encore un coup, et j’allais décamper, quoi qu’il dût advenir.
Alors soudainement, le crépi qui s’effritait jusque-là en minces lamelles se détacha en un large pan, telle une dalle de pierre recouvrant un trésor enfoui.
Le soleil illumina une plaque de marbre blanc portant l’effigie en bas-relief d’une femme nue. Un sourire énigmatique rayonnait sur son beau visage, et elle pressait son sein des deux mains. Du mamelon jaillissait un mince filet de lait qui tombait dans la bouche grande ouverte d’un homme nu, à genoux. L’homme avait des pieds de chèvre, des dents de loup et de longues oreilles pointues et velues
C’était la montagne de Rhodope qui allaitait les bêtes et les gens réunis en un seul corps. »
(p 418)
Roman traduit du bulgare par Ivan Evstatiev Obbov

 

100 frères de Manol

 

Katell Bouali

1 commentaire pour “Les 100 frères de Manol d’Anton Dontchev ; la geste des Balkans (Littérature bulgare)”

  1. Merci Katell de parler de ce livre que j’ai découvert en 1995 et que j’ai énormément aimé ! Et, je suis toujours aussi surpris qu’on parle si peu cet écrivain que j’aime tant ! Tu es la première que je rencontre à en parler !

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