Au moment de la vente des droits d’adaptation d’Ouvre les yeux, et de la rencontre avec rencontre Tom Cruise et Paula Wagner (producteurs exécutifs du remake à venir, Vanilla Sky en 2002), Alejandro Amenabar se trouve en pleine écriture de son troisième long-métrage, Les Autres. Les deux parties trouvent un arrangement et Tom Cruise offre l’opportunité au cinéaste ibérique de tourner son premier film en anglais. C’est même l’épouse de Cruise, Nicole Kidman – le couple n’a pas encore rompu – qui obtient le premier rôle…
Les Autres permet à Amenabar d’explorer le thème des terreurs enfantines. Nicole Kidman (Grace) y interprète le rôle d’une mère qui élève seule ses deux enfants dans un immense manoir de la brumeuse île de Jersey, dans les années 40. Grace est sans nouvelle de mari, parti à la guerre et dont elle n’attend plus de le revoir un jour. Les enfants sont eux atteints chacun par une étrange maladie. Allergiques à la lumière, l’exposition au jour peut leur être fatale. Ses règles très strictes, notamment celle qui exige qu’aucune porte ne soit ouverte si la précédente n’a pas été fermée à clé, sont exposées à un trio de serviteurs engagé par Grace pour l’aider dans sa tâche. L’arrivée de ses personnes va chambouler l’équilibre fragile tenu à l’intérieur de la demeure et révéler une vérité que Grace n’est peut-être pas prête à entendre.
Les deux précédents films d’Amenabar, Tesis et Ouvre les yeux, ne sont pas à proprement parler des films destinés à faire peur. Ils ménagent cependant chacun une tension réelle qui tend à prouver une certaine science des mécanismes de la peur par le cinéaste. Avec Tesis et Ouvre ouvre les yeux, le stress provient d’ambiances paranoïaques savamment entretenues. C’est encore ce registre là qu’Amenabar explore dans Les Autres.
Le premier plan nous révèle déjà une Grace affolée et qui crie très fort. La caméra recule un peu et nous découvrons qu’elle vient de se réveiller d’un horrible cauchemar. Une certaine continuité s’opère de ce fait avec le précédent film d’Amenabar (Ouvre les yeux). Le personnage de Grace est sous-tension dès les premiers instants du film. Elle vit dans un stress permanent, inquiète pour la santé de ces deux enfants, soucieuse du respect de ses règles très strictes, et sujette à des migraines qui l’accablent davantage.
La paranoïa du personnage va nourrir la peur insidieuse qui contamine peu à peu le film. A y regarder de près, un seul personnage se montre victime de la pression invisible des Autres, ces fantômes qui semblent hanter le manoir. Le fils cadet (Nicholas) est lui aussi très craintif mais cela semble naturel étant donné son âge et le caractère manipulateur de sa grande soeur, Anne (Alakina Mann). La servante muette (Elaine Cassidy), n’est pas non plus un exemple de sérennité, mais son influence sur la maison est modeste. La seule qui souffre véritablement de la présence éventuelle de fantômes dans le manoir, ce que la fille aînée assure pour expliquer les phénomènes perçus par sa mère, c’est donc Grace.
La source du cauchemar trouve donc son origine dans un mal (la paranoïa) qui est commun à tous les films d’Amenabar jusque là, même si chaque fois de nature différente. Le fait que Nicole Kidman, naturellement très pale mais au teint ici livide, les yeux exorbités, se consacre corps et âme à son personnage ne fait qu’ajouter de l’intensité au récit. Les Autres est en effet un film délicat et fragile, sans effet de peur spectaculaire, discret dans sa mise en scène, mais qui mise en revanche pleinement sur quelques phobies qui affectent souvent les enfants : la peur du noir, la claustrophobie, l’autorité d’une mère aussi.
Amenabar construit un récit très inspiré du Tour d’écrou d’Henry James (1898), court roman fantastique dans lequel on retrouve les mêmes motifs, le même cadre, des mécanismes de peur relativement semblables et très subtils, et surtout une même façon de mélanger raison et interprétation surnaturelle des faits.
Le film est aussi intéressant pour ce rapport établit entre la vie et l’au-delà qui rappelle très fortement celui construit par Amenabar entre rêve et réalité dans Ouvre les yeux. La clé se situe dans les deux cas à la jonction invisible entre les deux mondes. Le twist final consiste alors à la révélation de ce qui explique justement que les deux mondes puissent être reliés.
Les Autres s’inscrit dans la lignée d’un certain cinéma fantastique de ce début des années 2000, à rapprocher peut-être avec quelques films de frissons japonais (Ring, Darkwater), ou Le Sixième sens de Shyamalan. Le film d’Amenabar se révèlera aussi une source d’inspiration assez évidente pour le premier long-métrage de Juan Antonio Bayona (L’Ophelinat, 2008).
Benoît Thevenin
Les Autres – Note pour ce film :
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