Après un siècle passé sur cette planète à observer, essayer de comprendre, faire partager sa connaissance, Lévi-Strauss est l’un des pères fondateurs de la pensée structuraliste ; auteur d’une œuvre considérable pour les sciences et pour la compréhension de l’homme.
Dans un opuscule, intitulé Race et Histoire , Claude Lévi-Strauss s’est proposé de réfuter l’idée d’une supériorité ou d’une exemplarité de l’histoire occidentale par rapport à celles d’autres cultures. Il s’est attelé, d’abord, à souligner la distinction entre race et culture et observe ainsi, que si les races se comptent par unités, les cultures, elles, se comptent par milliers. Logiquement, on ne peut donc pas dire qu’il existe une culture de l’homme blanc, une culture de l’homme noir, etc.
Certes, il existe bien des différences entre cultures, mais elles peuvent être attribuées à des « circonstances géographiques, historiques et sociologiques, non à des aptitudes distinctes liées à la constitution anatomique ou physiologiques des noirs, des jaunes ou des blancs ». Le problème posé par la confrontation des cultures est-il un obstacle à l’unité du genre humain ? : “Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie.”
A un moment ou “l’identité ” fait recette, je conseille la relecture de ce grand esprit et vous livre une de “ses pages”.
L’attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu’elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. »Habitudes de sauvages », « cela n’est pas de chez nous », « on ne devrait pas permettre cela », etc., autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson,cette même répulsion, en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères.
Il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l’inarticulation du chant des oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain ; et sauvage, qui veut dire « de la forêt », évoque aussi un genre de vie animale, par opposition à la culture humaine. Dans les deux cas, on refuse d’admettre la fait même de la diversité culturelle ; on préfère rejeter hors culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit.
Cette attitude de pensée, au nom de laquelle on rejette les « sauvages » (ou tous ceux qu’on choisit de considérer comme tels) hors de l’humanité, est justement l’attitude la plus marquante et la plus distinctive de ces sauvages mêmes. On sait, en effet, que la notion d’humanité, englobant, sans distinction de race ou de civilisation, toutes les formes de l’espèce humaine, est d’apparition fort tardive et d’expansion limitée.
Là même où elle semble avoir atteint son plus haut développement, il est nullement certain -l’histoire récente le prouve- qu’elle soit soit établie à l’abri des équivoques ou des régressions. Mais, pour de vastes fractions de l’espèce humaine et pendant des dizaines de millénaires, cette notion paraît être totalement absente.
On va souvent jusqu’à priver l’étranger de ce dernier degré de réalité en en faisant un « fantôme » ou une « apparition ». Ainsi se réalisent de curieuses situations où deux interlocuteurs se donnent cruellement la réplique. Dans les Grandes Antilles, quelques années après la découverte de l’Amérique, pendant que les Espagnols envoyaient des commissions d’enquête pour rechercher si les indigènes possédaient ou non une âme, ces derniers s’employaient à immerger des blancs prisonniers afin de vérifier par une surveillance prolongée si leur cadavre était, ou non, sujet à la putréfaction.
En refusant l’humanité à ceux qui apparaissent comme les plus « sauvages » ou « barbares » des ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes typiques. Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie.
Claude Lévi-Strauss , “Race et histoire” 1952
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