Comme tout un chacun, Roland Topor (1938-1997) avait ses dadas et ses angoisses. Le goût de l’absurde, l’humour noir, la dérision figuraient parmi les premiers, l’énigme de la mort, sans doute, parmi les secondes. Il s’exprimait par le dessin, mais aussi par le verbe ; trente-trois nouvelles inédites, composées peu avant sa mort et réunies sous le titre Vaches noires (Wombat, 160 pages, 15 €), en apporte une preuve éclatante.
Trente-trois textes savoureux, qui auraient tout aussi bien pu servir de sketches à un artiste de la scène cultivant l’humour grinçant, paranoïaque, l’ironie douce-amère, le tout traité au second degré. Ce n’est probablement pas un hasard si François Rollin a accepté de préfacer ce livre.
L’argument en est simple, si simple et si évident qu’il nous échappe, comme La Lettre volée d’Edgar Poe (et je ne serais pas étonné que Topor ait apprécié cet écrivain féroce, tant il entretenait avec son œuvre une belle communauté d’esprit) : nous ne nous méfions jamais assez de notre environnement quotidien.
Car ce que nous prenons pour futile ou inoffensif nous attend toujours au tournant. L’auteur tient la plume pour nous le rappeler : « Les vaches noires portent la poisse. Pire que les chats. Je ne comprends pas par quelle aberration les gens redoutent les chats noirs et se tamponnent des vaches noires. Un chat noir croise leur route, de droite à gauche, ils se mettent à toucher du bois. Un troupeau de vaches noires leur défile sous le nez, ils rigolent. Pas longtemps. La première tuile qui tombera sera pour eux et ils se demanderont pourquoi. »
Et s’il n’y avait que les vaches noires ! Mais d’autres êtres ou objets malfaisants nous guettent à notre insu : les freins qui lâchent, les escaliers (bien plus angoissants que les ascenseurs), le facteur et son courrier du matin, la table (aux attaques toujours perfides), les passants sur le boulevard, le répondeur téléphonique, les toilettes publiques (toujours occupées lorsqu’on a besoin de s’y rendre), Mickey Mouse, etc. Tout concourt, non sans perfidie, à nous pourrir la vie. C’est très inquiétant et, décrit par un Topor au meilleur de son talent, hilarant. De plus, ce qui ne gâte rien, bien au contraire, tout cela est servi comme un petit chef d’œuvre de belle littérature.
Illustration : Roland Topor, L’Escalier, lithographie, 1976.
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