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Les îles de la mauvaise conscience

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Je t’écris d’un endroit magnifique où la pauvreté de la population me donne mauvaise conscience.

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Le parc national de Komodo, à l’ouest de la grande île de Florès en Indonésie, abrite des dragons, des aigles et des cerfs de Timor et une faune sous-marine d’une beauté à couper le souffle. Cet univers d’îles à la végétation parfois rabougrie, parfois dense, protégé par l’UNESCO depuis deux décennies, n’abrite que quelques pêcheurs et une population qui vivote du tourisme.

A Labuan Bajo, petite ville de 12’000 habitants et trois ou quatre rues assez animées, la pauvreté est omniprésente. Le marché regorge de poissons assaillis par les mouches. Les ordures s’éparpillent un peu partout et les égouts se déversent dans la baie. Des tâches d’huile flottent autour des bateaux qui amènent les touristes et les visiteurs admirer les beautés alentours. Des habitations sur pilotis, de bric et de broc, brinquebalent sous les pas des enfants qui jouent en criant de joie.

 

Dans mon travail, j’ai côtoyé la pauvreté, tu le sais bien. J’ai vu des réfugiés ayant tout perdu dans des camps en Afrique ou ailleurs, des enfants affamés, des mamans désespérées de n’avoir pas pu sauver leurs enfants, des enfants forcés à devenir des tueurs, des maris gentils devenus des meurtriers à cause de guerres civiles qui n’ont pas toujours fait, dans nos contrées replètes, la une des médias : trop lointaines, trop compliquées, trop dangereuses.

La pauvreté est une constante de ce monde. On s’y habitue, pourtant…si, si, je t’assure. Un peu comme un docteur dans un hôpital, on ne fond pas en larmes devant des cas désespérés.

En revanche, ce qui me trouble profondément, c’est de voir les pires abominations côtoyant des merveilles de la Nature.

Au Rwanda, il y a eu le génocide, suivi de l’exode de deux millions d’habitants vite accablés par la faim, la soif, le choléra et la dysenterie et les tirs des mitraillettes pendant la nuit. Et puis l’odeur de la mort, poisseuse et collante et omniprésente. Tout cela sous l’œil indifférent d’un volcan magique, d’un lac scintillant au coucher de soleil, d’une nature sauvage menacée de toute beauté.

Et puis les réfugiés Kurdes irakiens dans les montagnes de Turquie, en 1991, mourant de froid dans ces montagnes enneigées à la beauté minérale et grandiose. Cette maman qui voulait me donner son bébé en train de mourir alors que chez moi, là-bas, ma fille venait de naître.

Il y a plein d’exemples.

Un jour, j’en ai eu marre de la misère du monde, même si j’ai pris mon pied à essayer d’aider à construite un monde « meilleur ».

Un jour, j’ai dit stop, et suis parti vers des îles lointaines.

Ici, à Labuan Bajo, il n’y a pas de guerres, pas de massacres. Bien que l’île de Timor ne soit pas bien loin, les fracas de la folie humaine demeurent très assourdis.  On y est pauvre, certes, mais pas misérable. On rit, on vit, on téléphone sur les portables, on nettoie les tables des cafés pour touristes routards qui s’habillent comme des pauvres alors qu’ils sont si riches, on espère des lendemains meilleurs.

Pourtant, l’injustice me poursuit. Un voyage vers les beautés lointaines reste un voyage vers ses propres contradictions. On veut voir les images des magazines mais on y sent aussi les excréments de la misère et de l’abandon. On y sent cette déplorable indifférence des puissants et de leurs gouvernants qui méprisent leur population en oubliant de redistribuer un peu de cette chiche manne touristique. On se sent vaguement honteux d’avoir plus, alors qu’eux, hein, n’ont pas grand-chose.

Vois-tu, je ne suis pas le seul à vivre ces contradictions. Le touriste, le voyageur, l’expatrié ou le fonctionnaire de Montbéliard ou de Saint-Brieuc détaché dans un consulat vivent exactement ces mêmes états d’âmes.

Il ne faut pas, je crois, les balayer et les oublier sous le tapis. Au contraire, il faut les accepter.

Alors, tu vois, j’accepte cette contradiction. J’accepte d’avoir un peu honte. J’accepte de voir cette pauvreté et de ne pas la vivre. Même si je suis là, avec cette population, je ne vis pas là, je suis d’un autre pays, je suis différent,  et bien entendu, privilégié.

Mais j’ai du mal, toutefois, à accepter la misère humaine dans un environnement naturel sublime. Il y a quelques chose qui cloche.

Bon, promis, une prochaine fois je te parle des dragons cannibales dans ces îles lointaines.

 

Damien Personnaz

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