Revenons sur un film culte, Les Tontons flingueurs, dans le cadre de sa série documentaire, « Un film et son époque ». Toute une époque, en effet, se trouve croquée dans ce long métrage devenu mythique. Une époque où le cinéma n’hésitait pas à se parodier, où des acteurs de tout premier plan savaient ne pas se prendre au sérieux, où les groupes de pression hygiénistes n’incitaient pas les réalisateurs à supprimer cigarettes et alcool de leurs scènes sous peine de procès et où le langage ne s’affadissait pas dans les circonlocutions du politiquement correct.
Tiré de Grisbi or not grisbi, un polar d’Albert Simonin que son auteur accepta de considérablement remanier lorsqu’il travailla à son adaptation cinématographique, ce film de George Lautner aurait pu passer inaperçu sans un miraculeux concours de circonstances. Michel Audiard, qui en signa les dialogues, avait d’abord voulu l’intituler Le Terminus des prétentieux, en reprise d’une réplique de l’un de ses héros. Par bonheur, ses producteurs l’en dissuadèrent. Nul doute qu’avec un pareil titre, le succès aurait eu peu de chance de se trouver au rendez-vous. Par ailleurs, Jean Gabin, qui avait été pressenti pour tenir le rôle principal et voulait imposer des conditions exorbitantes à sa participation, fut remplacé par Lino Ventura, dont le profil, le jeu et la personnalité correspondaient probablement mieux à la dimension comique du scénario. Enfin, une scène d’anthologie, la célébrissime scène de la cuisine, théâtre d’une beuverie aussi hilarante que mémorable, faillit ne pas être tournée, Audiard la considérant, curieusement, inutile.
Si le scénario n’a rien d’original, puisqu’il se fonde sur une guerre de succession dans le milieu des truands, les situations cocasses, le jeu des acteurs et surtout les dialogues savoureux de Michel Audiard participèrent au succès populaire de ce pastiche des films noirs tels qu’il s’en tournait à l’époque, manifestement réalisé dans la bonne humeur. La distribution incluait de grands noms : Lino Ventura (Fernand Naudin), Bernard Blier (Raoul Volfoni), Jean Lefebvre (Paul Volfoni), Francis Blanche (Maître Folace), Claude Rich (Antoine Delafoy), Jacques Dumesnil (« Le Mexicain ») et Robert Dalban (Jean).
Le DVD qui fut tiré du film et en présente une version soigneusement restaurée, continue une honorable carrière commerciale, même si les chaînes de télévision le programment régulièrement. Car, aujourd’hui, ce long métrage fait partie des grands classiques du cinéma français, quasi unanimement apprécié. Tel ne fut cependant pas le cas lors de sa sortie, en 1963. La mode s’engouait pour la Nouvelle Vague et l’intelligentsia parisienne vouait Michel Audiard aux gémonies, notamment parce qu’elle ne goûtait pas son humour dévastateur d’anar de droite, soutenu par la virtuosité avec laquelle il maniait la langue verte. Les Tontons furent donc copieusement éreintés. A titre d’exemple, Henri Chapier, s’adressant au dialoguiste, écrivait : « Vous pavoisez haut, mais vous visez bas. » Le critique sera beaucoup mieux inspiré lorsqu’en 1983, il fut l’un des très rares à remarquer Clémentine Tango, un film de Caroline Roboh que la télévision s’honorerait de diffuser, car il s’agit là d’un petit chef d’œuvre dérangeant de poésie, d’esthétique et d’humour.
Tourné avec peu de moyens, mais beaucoup d’intelligence et de sens de la dérision, Les Tontons flingueurs se voient et se revoient avec un égal plaisir. Le documentaire diffusé par France 5, basé sur les témoignages des protagonistes, permet d’en comprendre mieux la genèse et les coulisses. Un bon moment assuré. Quant aux répliques cultes, il suffit d’en citer trois pour que chacun se retrouve plongé dans l’atmosphère du temps :
Raoul Volfoni : « Non mais t’as déjà vu ça ? En pleine paix, y chante et pis crac, un bourre-pif, mais il est complètement fou ce mec ! Mais moi les dingues j’les soigne, j’m’en vais lui faire une ordonnance, et une sévère, j’vais lui montrer qui c’est Raoul. Aux quatre coins d’Paris qu’on va l’retrouver éparpillé par petits bouts, façon puzzle… Moi quand on m’en fait trop j’correctionne plus, j’dynamite… j’disperse… j’ventile… »
Fernand Naudin : « Patricia, mon petit… Je voudrais pas te paraître vieux jeu ni encore moins grossier. L’homme de la Pampa, parfois rude, reste toujours courtois, mais la vérité m’oblige à te le dire : ton Antoine commence à me les briser menu ! »
Fernand Naudin : « Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. »
Illustrations : Affiche du film – Scène de la cuisine – Couverture du DVD (Gaumont).
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