L’Homme qui en savait trop (1934) vaut à Hitchcock une réputation mondiale. Son projet suivant est une adaptation des 39 marches (The Thirty-Nine Steps), roman d’espionnage de John Buchan, un des écrivains préférés du cinéaste durant son enfance.
Richard Hannay, canadien résidant Londres, assiste au spectacle de “L’Homme mémoire”. Le show est interrompu après un coup de feu qui provoque la panique de la foule. Hannay rencontre à la sortie une jeune femme qui très vite s’invite chez lui. Hannay n’a pas trop le temps de s’imaginer une belle nuit en compagnie de la belle, celle-ci s’estime persécutée par une organisation complotiste. Le lendemain matin, Hanny la découvre morte assassinée. Sur la fois de quelques indications mystérieuses qu’elle lui a donné, et parce qu’il sait qu’il risque d’être accusé à tord du meurtre, Hannay prend la fuite et poursuit l’étrange quête de la jeune femme…
Les 39 marches est le film le plus célèbre de la période britannique du cinéaste. On y retrouve de nombreuses thématiques emblématiques de son univers : un héros jeune et innocent, un complot international dans lequel il se retrouve mêlé bien malgré lui, un humour noir affirmé etc. Madeleine Carroll est aussi la première actrice d’une longue lignée d’héroïnes blondes qui feront elles aussi la réputation d’Hitchcock.
C’est également une des autres constantes du cinéma d’Hitchcock. Le héros est toujours accompagné d’une jeune femme qui va l’aider à échapper à ses poursuivants ou même réussir à le sauver carrément. Hannay est prompt à jouer au chevalier servant dans les premiers temps du film, mais une fois l’impitoyable engrenage diabolique dirigé contre lui, un renversement s’opère qui l’oblige – non sans un certain sens du sarcasme de la part d’Hitchcock, une part de fantasme aussi – à compter sur les femmes qu’il rencontre pour s’en sortir. Le caractère obligé de ces duos insolites, nourrit la tendre ironie d’Hitchcock. La première femme entraine Hannay dans un piège, la seconde, charmée, lui offre une porte de sortie, la dernière, persuadée d’avoir affaire à un assassin, souhaite le dénoncer. Elle devra pourtant fuir en même temps qu’Hannay, lié malgré eux par une paire de menotte.
De part la nature improbable de ce duo, parce qu’ils sont nécessairement dans une opposition permanente, Hitchcock dessine dès 1935 le schéma classique des buddy movies, particulièrement à la mode dans les années 80-90 et une recette scénaristique sans cesse éprouvée. L’idée des menottes (déjà utilisée dans Numéro 17) offre à Hitchcock la possibilité de scènes pudiquement érotiques, comme lorsque Pamela (Madeleine Caroll) cherche à enlever ses bas avant de se coucher.
Pour la première fois, avec Les 39 marches, Hitchcock sacrifie la vraisemblance de son intrigue (l’échange de veste avec le laitier, la scène de la bible, l’improbable discours politique etc.) au profit du rythme et de l’efficacité du spectacle qu’il nous offre. Le film donne ainsi l’impression d’une échappée ludique et légère qui contrebalance par ailleurs avec les enjeux dramatiques auxquels est confronté Hannay.
Hitchcock s’affirme là tout en haut du premier sommet de sa carrière. Immédiatement après Les 39 marches, il s’autorisera ainsi à prendre le risque de détourner les codes habituels du genre avec Quatre de l’espionnage (Secret Agent) et Agents Secrets (Sabotage), tous deux réalisés en 1936, et qui seront de cinglants échecs commerciaux. Il s’en relèvera d’abord avec Jeune et Innocent (37), une première variation des 39 Marches, des films comme Correspondant 17 et La Mort aux trousses fonctionnant eux aussi selon ce même modèle original.
Benoît Thevenin
Filmographie sélective d’Alfred Hitchcock:
1936 : Agent Secret (aka Sabotage)
1940 : Correspondant 17
1941 : Joies matrimoniales (aka Mr. and Mrs. Smith)
1941 : Soupçons
1949 : Les Amants du Capricorne
1956 : L’Homme qui en savait trop
1956 : Le Faux coupable
1957 : Sueurs froides (aka Vertigo)
1972 : Frenzy
Avec Robert Donat, Madeleine Carroll, …
Année de production : 1935
Le film passe ce soir sur ARTE à 20h45!