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Lettre océane, croisière de la Guadeloupe à Saint Martin

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L’année dernière, je vous contais ma première Manche, cette année je vous écris d’Atlantique. Pas celui qui baigne les côtes de Belle-Ile, mais celui qui étreint Marie-Galante, à l’autre bout de l’horizon, dans ce semis d’îles dispersées comme un vol d’oiseaux dans l’immensité turquoise. La Guadeloupe, les Saintes, je connaissais déjà. J’y étais allée en 1982 ainsi que l’on va quelque part ( lorsque l’on parle de tourisme). Aujourd’hui, c’est autre chose : je pars ailleurs, car en bateau, à la voile, au grand largue, au grand large.

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Juillet 1989

Découvrir une île à pied, à cheval, en voiture, est une aventure tout autre que de l’approcher par mer, de la voir naître et se dessiner à la façon d’une esquisse, d’un mirage, ou d’une vision qui vous subjugue. On a l’impression non d’aller à elle mais de la voir venir à nous, frissonnante de toutes ses palmes, couronnée d’un dais de nuages, cerclée d’un anneau de sable blanc.

Notre First 325 nous attendait ce samedi 15 juillet à la Marina de Point-à-Pitre. Une journée au port pour l’avitaillement, mais à notre étonnement, notre agence de location ne se met guère en frais pour nous accueillir et nous familiariser avec le bateau. La marina n’offre, quant à elle, qu’un confort succinct. Des douches certes, mais une grande surface mal achalandée en fruits et légumes. Nous nous contentons de faire le plein en eaux minérales et en produits de base. Dès le surlendemain lundi, nous appareillons. Les amarres sont larguées, le quai s’éloigne. Dès la sortie de la passe, nous ratons une bouée rouge ( système B international inversé). La quille flirte quelques instants avec le sable à notre vive inquiétude car les fonds, ici, passent très vite de 7m50 à 1m20, aussi virement de bord sur la cardinale nord que nous n’avions pas vue afin de nous retrouver dans la bonne direction. Bientôt le chenal ouest s’ouvre, l’île Cochon sur tribord, Caye Plate et Mouchoir Carré sont en vue. Il est temps de stopper le moteur. Face au vent, la grande voile se hisse avec un plaisir retrouvé. La mer est assez formée. Nous prenons le foc n°2. Et soudain, c’est le silence, avec le seul  feulement de l’eau sur l’étrave. Cap sur les Saintes. Tandis que nous longeons la côte de Basseterre,  nous voyons au loin se profiler, radieuses dans la claire lumière, les croupes vertes et bosselées de l’archipel et, plus loin encore, devinons Marie-Galante, l’île au rhum. A éviter, les deux baleines mal signalées qui moussent entre l’île Cabrit et la Terre d’en Haut. Enfin nous approchons assez pour apercevoir le charmant bourg avec ses toits rouges entourant le clocher et le célèbre amer de la maison en proue de navire. Notre bateau contourne le Pain de Sucre pour mouiller dans l’anse à Cointe, entre la plage du Bois-Joli et celle autrefois sauvage ( elle l’est un peu moins aujourd’hui ) qui s’ouvre, ainsi qu’une porte à double vantaux, sur les deux côtés de la mer. Premier bain tant attendu, car je m’étais promis de revenir un jour ici. C’est chose faite. Quelques maisons supplémentaires trouent la verdure mais, malgré elles, les Saintes conservent leur beauté et leur charme. Même animation dans le village de poupée qui ressemble au royaume des sept nains de Blanche-Neige. On a le sentiment qu’il doit être plus facile ici qu’ailleurs de prier dans la petite église pimpante et que le cimetière – semblable à une plage de sable où se seraient rassemblés les plus beaux coquillages – doit vous assurer la paix pour l’éternité.

20/7 – Départ à 9H – 16° nord – 63° ouest. Alizés force 4. Brise légère. Le soleil commence à monter. Nous levons l’ancre. Cap au 322. Nous nous dirigeons vers Vieux-Fort. En réalité nous irons mouiller à Rivière-Sens. La traversée sous voile s’effectuerait aisément si nous n’essuyions un grain blanc, qui nous procurera de fortes rafales ( 35-40 noeuds ). Brutalement le nuage crève, la visibilité devient extrêmement réduite. Parler de grain blanc est une expression juste, car l’horizon sur 360° se crible de mitraille de pluie qui confond en une unité aquatique ciel et terre. Tout siffle, souffle, crêpite durant quelques minutes  interminables. Après que nous ayons bagarré avec le réglage des voiles, les choses s’apaisent. Les nuages, qui déboulaient de la Soufrière, s’en vont porter leurs grains ailleurs. Il est 10h30. Nous sommes en vue de la passe de Rivière-Sens. Une jetée de pierres sombres, un phare à sa mesure nous indiquent la chicane à prendre pour entrer dans ce mouillage. Il est utile de viser le milieu du chenal, car les fonds sont réduits ( 2m50 à 3m environ ). La marina n’offre que deux places libres. Nous choisissons celle qui se trouve entre un vieux bateau de pêche et un cruiser redondant, hérissé d’antennes. Par chance, un branchement d’eau à quai, juste devant nous, nous permet de nous rafraîchir, car la chaleur est particulièrement torride et la bâche, sensée nous tenir lieu de taud, n’est pas adaptée au bateau.
Quelques minutes ont suffi pour que surgisse un nonchalant galonné. C’est sûrement le grand chef de la capitainerie… En effet, il nous donne les consignes à suivre pour passer au bureau du port remplir les formalités ( à l’évidence, ils ne sont pas encore mûrs pour le marché commun de 1993). Avons-nous des douches ? Oui, mais elles sont en panne. Y a-t-il du fuel ? Normalement oui, mais la première station est fermée aujourd’hui et la pompe du port a été dévalisée par un bateau américain qui, le matin, a pris plus de 1000 litres. Ca commence bien. A la capitainerie, après avoir rempli les formalités d’usage, nous devons revenir après le déjeuner pour payer, car la personne qui encaisse s’est…absentée. A 15 h, puis 16h, elle n’est toujours pas revenue. La sieste doit être bonne. Nous réglerons notre dû à un employé blasé qui condescendra à encaisser notre monnaie. Pas non plus de ravitaillement à la marina. Heureusement pour nous, le stop existe et trois jeunes gens nous embarquent à bord d’une vieille peugeot brinquebalante avec notre jerrycan pour le plein à la station du Vieux-Fort. Puis ils nous déposeront devant le supermarché, nous attendront et nous reconduiront à la marina. Ca c’est de la complaisance gratuite dans la bonne humeur. Il est réconfortant de rencontrer autant de gentillesse et de désintéressement. Aux Saintes, on nous avait dit que Rivière-Sens était l’une des meilleures marinas de la Guadeloupe. Nous restons sceptiques et nous demandons ce que doivent être les autres.  En vérité, vive les mouillages forains !

21/7 – 8h15, aidés de la bourrique, nous mettons en marche pour assurer la sortie. Nous prenons la route cap au 13 avec une vitesse de 5 à 6 noeuds sous grand voile et gênois en direction de l’anse Deshaies. Vieux-Port s’éloigne. Nous longeons la côte sous le vent, donc peu de vent. Nous ferons pas mal de moteur sous grande voile, ce qui nous permettra de recharger batteries et frigidaire. 21 miles parcourus par temps de demoiselle avec de jolis paysages, de beaux reliefs d’un vert intense parsemés, ici et là, par les efflorescences purpurines des flamboyants. Il a beaucoup plu, nous a-t-on dit, cette année, d’où la luxuriance et l’éclat des fleurs. Nous sommes enclins à le croire car nous constatons que nous sommes gratifiés de pas mal d’ondées et de vent. A 13h45, nous obliquons sur l’anse, après avoir laissé loin à bâbord l’île Pigeon. Splendide spectacle que celui de ce village de pêcheurs typiquement africain, bordant la courbe douce de sa plage, avec des maisons claires encadrant son église telles que les dessinent les enfants de la maternelle. Quelques côtres et sloops se balancent au mouillage. Nous prenons le nôtre : 4m, 3m50, 3m, on jette l’ancre.
Le soir, nous décidons de nous offrir un dîner au bistrot du port. Une fringale de poissons et une pépie de ti-punchs nous ont saisis. Au retour, ciel criblé d’étoiles, clapotis mélodieux des vagues qui viennent mourir sur les carènes. Nuit admirablement lustrée où les astres voguent ainsi que des parcelles de lumières oubliées dans l’infini.

22/7 – Au réveil, surprise ! Notre annexe a disparu. Il est vrai que l’on a omis de nous remettre la chaîne et le cadenas que, prévoyants, nous avions demandés au départ. Par chance, le propriétaire d’un bateau voisin accepte de conduire l’un d’entre nous au village, d’où il téléphonera à notre agence de location. Nous ne sommes qu’à 43 km de Point-à-Pitre. Dans la journée une autre annexe nous est livrée qui, quant à elle, nous réserve un autre genre de surprise. L’un des boudins se dégonfle à vue d’oeil et on a simplement oublié de joindre les pagaies. Heureusement, il nous reste le moteur  et puis, comme nous le dira plus tard avec ironie le responsable de l’agence ( on comprend après cela l’engouement de nombreux plaisanciers français pour le sérieux des compagnies de location américaines), si le moteur était tombé en panne, vous pouviez toujours ramer avec les mains… Ah ces latins !

24 / 7 –  Réveil à 6h. La météo n’est pas mauvaise. Mer agitée et onde tropicale en formation. Houle annoncée de 2m-2m50. Nous quittons l’anse au moteur pour nous positionner au vent et hisser la voile. Parés pour la traversée. Test du bateau et de l’équipage. Là, nous prenons vraiment la mesure de la mer. Cap au 327-331 pour tenir compte du vent et de la houle 3/4 arrière. A peine avons-nous effectué quelques miles – nous en avons 33 jusqu’à Montserrat – que le vent force et que la mer, très formée, rend la barre dure mais toujours manoeuvrable ( phénomène des canaux). Le bateau se comporte bien, le barreur négocie les vagues qui s’abattent par rangs de trois, avec adresse. Nous filons à la vitesse de 5 à 6 noeuds malgré un ris et vivons quelques belles émotions à tanguer ainsi, par cette allure grand largue, à la limite parfois du vent arrière. Montserrat nous apparaît aride après la verdoyante, la fastueuse Guadeloupe. Une île pelée sans attrait particulier, offrant pour mouillage l’abri d’un débarcadère qui porte le nom présomptueux de Plymouth. Une sorte de décharge ingrate où rien n’a été prévu pour l’accueil des bateaux de plaisance venant de la Guadeloupe et faisant route vers Nevis, St Kitts et surtout St Barthélémy. Quelques maisons sans grâce, une jetée faite d’un assemblage grossier de roches, des toits en tôle ondulée, une morne vision de ces Antilles qui ont bercé nos rêves. Il nous faut cependant rester un après-midi, une soirée et une nuit sur ce mouillage rouleur, en espérant que la météo de demain matin nous permettra de poursuivre notre route vers Nevis. A terre, nous nous acquittons des formalités sous une chaleur écrasante, dans la torpeur poussiéreuse des quais où, visiblement, on n’attend guère ceux qui, par malchance, y font escale.

25/7 – Bonne traversée jusqu’à Nevis qui signifie neige. Cette image s’étant imposée à Christophe Colomb lorsqu’il découvrit l’île avec son volcan éternellement encapuchonné de nuages blancs. Cap 330 en laissant sur tribord le gros rocher de Redonda d’environ 2km2,  aride et battu par les vents, revendiqué par un certain irlandais pour son fils qu’il avait déjà surnommé Felipe Ier. L’histoire n’eut pas de suite. On s’en doute. 35 miles en six heures, à une moyenne de 5 noeuds et un vent d’est moins fort que la veille, nous menant grand largue. Vue de loin, Montserrat prend une allure plus imposante, tandis que se profilent déjà les côtes de Nevis.  Après avoir contourné le Fort Charles, nous voyons apparaître le petit port de Charlestown et ses modestes installations : une seule jetée où se trouve amarré un splendide 4 mâts- école. A l’ouest de cette digue, réservée à l’usage des vedettes et des bateaux de commerce, le mouillage est laissé libre aux plaisanciers qui ont loisir de jeter l’ancre où bon leur semble dans cette baie assez bien protégée, face aux simples et typiques maisons de pêcheurs qui bordent le littoral.
Plus à gauche, au-delà d’un hôtel bleu turquoise d’un détestable mauvais goût, qui évoque le temps où les ladies anglaises venaient prendre les eaux à Nevis, s’étend à perte de vue une immense plage, frangée de plusieurs rangs de cocotiers, qui s’adosse à la montagne et va se perdre au loin dans un halo de palmes qu’agitent faiblement les alizés. Nous ancrons à quelques mètres du rivage, alors que des pélicans rasent les eaux de leur vol puissant, si différent de celui élégant et gracieux du paille-en-queue. A Charlestown, nous trouverons presque tout, une fois que nous aurons accompli consciencieusement aux douanes, puis à la police, les formalités obligatoires : du carburant, un marché pas trop mal achalandé en fruits et légumes, plusieurs superettes, enfin de l’eau – certainement pleine de propriétés extraordinaires – mais affligée d’une odeur d’oeuf pourri ( comme toutes les eaux sulfureuses) qui empoisonnera les 200 litres de notre réserve pour le restant de la croisière. A part cela, la ville a beaucoup de caractère, un charme désuet qui allie celui de la flibuste à un passé colonial encore proche. Alexander Hamilton, principal rédacteur de la Constitution américaine et proche collaborateur de George Washington, naquit ici en 1755 ainsi que l’épouse de Nelson, au temps d’une splendeur à jamais perdue et dont les traces, encore visibles par instant, entretiennent juste ce qu’il faut de nostalgie.

27/7 – Les plus belles heures se payent chères. C’est la rude loi de la navigation. Aux innombrables corvées, aux risques de vols, aux traversées mouvementées, aux incidents divers, aux coups de chien s’ajoute parfois une panne de moteur. C’est ce qui vient de survenir en ce début d’après-midi, alors que nous nous apprêtions à aller mouiller un peu plus loin, face à la montagne, au bord de la plage solitaire, dans ce décor d’où est absent tout signe de civilisation et où des ibis blancs s’ébattent dans un marigot. Demain, probablement, l’adorable île de Nevis ne sera plus ce qu’elle est encore aujourd’hui…. si vraie, si authentique. Ici et là, on construit, on échafaude. Le tourisme pointe son nez avec ce que cela suppose de facilités relatives et d’immenses désagréments. Mais voilà le moteur se refuse à démarrer. Batteries à plat. Aurions-nous trop abusé de la voile ? En fait non, les bateaux loués sont souvent révisés avec trop de légèreté et de plus le branchement de nos batteries a été inversé. Nous en sommes quitte pour le déplacement d’un mécanicien du cru et une journée de perdue.

29 / 7 –  Réveil à quatre heures et demi et départ à 6h. pour la plus longue traversée de notre voyage : Nevis – St Barthélémy. La météo difficilement captée ( cela arrivera souvent) sur le petit poste que nous avons eu la bonne idée d’emporter ( ainsi que des lampes torches et une lampe tempête) – nous annonce un temps sans surprise, une mer agitée et bien formée, ce qui s’avère exact. Quatre à cinq noeuds de moyenne puisque, par prudence,  Yves étant le seul homme opérationnel à bord, nous avons gardé un ris. Route par les Narrows, cap 352 sur Major Baie, puis 57 sur la pointe ( alignement sur Mosquito Bluff), ensuite 350 sur St Barth. Toujours vent d’est de travers balançant agréablement le bateau sous une pluie de feu entre 11 et 15 heures. Nous longeons la partie est de l’île de St Christopher( St Kitts). Sauvage et âpre au sud, elle devient sur son flanc nord-est verdoyante et grasse, rappelant davantage les côtes irlandaises et leurs verts pâturages que les Caraïbes. Belles prairies se lovant paresseusement au-dessus d’une côte rocheuse bien découpée. Puis, au loin apparaît à bâbord St Eustache et, devant l’étrave, l’ébauche de St Barth. L’approche est magnifique mais délicate. Joliment dessinée, elle est entourée de nombreux rochers, tels le Pain de Sucre et les Saintes, ce qui n’est pas sans évoquer des souvenirs – et c’est vrai que ces reliefs verdoyants, souplement arrondis, évoquent l’harmonieuse géographie du célèbre archipel. Fatigués par nos huit heures de mer et nos 40 miles, nous préférons, pour le premier soir, un ancrage tranquille dans la petite baie de Corossol.
On nous avait beaucoup parlé de St Barth. Des navigateurs rencontrés dans les ports nous répondaient, lorsque nous les questionnions sur cette île, d’un air blasé : ça pue le fric ! Ce n’est plus ce que cela a été ! Vraiment rien n’a été prévu au port pour les plaisanciers ! Je n’y avais encore jamais accosté, mais je tiens à donner mon humble témoignage. St Barthélémy est une île ravissante, parfaitement accueillante, qui fait honneur à la France. Ce que devait être autrefois, à quelques détails près, St Tropez au temps où Colette écrivait  » La naissance du jour » et où son ami Dunoyer de Segonzac peignait les pinèdes qui n’étaient pas encore ravagées par les flammes. Quand on connaît Monte-Carlo ou Marbella, dire que St Barth pue le fric est à hurler de rire. Bien sûr, il y a quelques jolies boutiques, des maisons coquettes mais jamais tapageuses, de riches hôtels mais la plupart du temps discrets, un art de vivre bon enfant, un charme irrésistible. Non, St Barth n’est pas une femme fatale, seulement une belle fille saine qui a le souci de plaire.

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30/7 – Dès notre lever, toujours de bon matin, nous décidons – puisqu’il y a beaucoup de places disponibles – d’aller nous mettre à quai dans la marina. C’est chose faite en une demi -heure et nous voilà bien placés dans le décor du port de Gustavia, tant célébré par les cartes postales, avec son harmonieuse succession de volumes, ses maisons aux toits verts et rouges, ses quais bordés de boutiques et de cafés et les voiles au large. Tout est serein et calme car nous sommes à la morte saison. Il nous semble que l’île nous appartient. Les restaurateurs sont aux petits soins et, par ailleurs, un plaisancier trouve en ce lieu béni tout ce qu’il peut souhaiter : ravitaillement en eau ( il suffit de demander la clé à la Capitainerie pour que le tuyau vienne emplir votre nable pour une somme dérisoire), carburant, choix important de fruits et légumes et même de viande, ce qui nous change de nos boîtes de corn-beef – installation sanitaire correcte et propre de surcroît. Puisque nous avons l’intention de séjourner ici quelques jours, nous louons une Susuki afin de faire le tour de l’île, car la chaleur ne permet pas de crapahuter à pied. Chaque tournant nous dévoile une vue pittoresque. Ce n’est qu’une suite de collines, de vallées, d’anses, de plages nacrées, le tout cerné par l’anneau émeraude de la mer. Un chef d’oeuvre de la nature, une sorte de variation symphonique bien tempérée.

2/ 8 – L’onde tropicale, qui s’annoncait depuis plusieurs jours, se précise. En fait d’onde, on parle ce matin à la Capitainerie, où nous allons nous enquérir de la météo, de tornade cyclonique. Elle est prévue pour la nuit prochaine et le responsable du port nous suggère de partir dès maintenant, car Gustavia n’assure pas un ancrage suffisammant protégé en cas de tempête. Bonne route jusqu’à Simsonbaaï à l’île Saint-Martin où on nous a conseillé de nous réfugier. Ce conseil a dû être donné à beaucoup d’autres navigateurs car, à midi, ce sont déjà plusieurs dizaines de bateaux qui stationnent ou font des ronds dans l’eau, en pleine canicule, en attendant la levée du pont qui leur permettra d’entrer dans le lagoon. Nous jetons l’ancre et déjeunons, tandis que l’affluence s’accroît. Nous nous approchons pour prendre rang. C’est alors la grande pagaille. Dans ces cas-là, hélas ! la courtoisie marine ne paraît plus de mise. Quand le pont se lève enfin à 17 heures, c’est la ruée de 200 bateaux, un infernal entremêlement de coques, d’étraves qui se heurtent – certaines annexes sont littéralement broyées- et la panique est bientôt à son comble… car un bateau ne se manie pas comme une automobile. L’élément liquide ne permet pas de stopper net. De plus, le vent qui souffle nous fait dériver, soit sur les cailloux, soit sur les autres bateaux. Jacques, au moteur, a heureusement un bon réflexe. Il avance et force le passage, en repoussant doucement mais fermement les autres quilles, au lieu de se laisser entraîner à reculer et à s’éventrer sur les rochers. Patricia et moi nous chargeons – autant que faire se peut – d’amortir les chocs en courant d’un bord à l’autre. Enfin nous parvenons à nous dégager et à passer sans avoir rien abimé, ni cassé. Un bateau fait même son entrée en marche arrière sous les applaudissements de la foule massée sur les rives pour ne pas manquer le spectacle… Nous mouillons vers le fond du lac, à l’abri d’un petit tertre verdoyant, sous une pluie soudain torrentielle. Le ciel a la couleur de l’encre, l’ambiance se fait menaçante. C’est une veillée étrange avec au-dessus de nos têtes une onde pathétique, un ciel plombé, lourd, traversé d’éclairs. Puis une paix comme si le ciel lui-même se mettait à l’écoute de ce qui allait survenir, tendait sa grande oreille cosmique. A la radio locale, on prévoit le cyclone pour minuit par 19° nord et 63° ouest. Il est demandé aux habitants ( alerte n° 2) de s’enfermer chez eux, d’éteindre électricité et batteries, de ne pas se promener sur les routes, de ne pas circuler en quelque endroit que ce soit. Puis, le ministre termine son allocution par : que Dieu protège nos familles ! Il n’y a plus qu’à attendre. Nous dînons en silence, rangeons, calons les objets, ne laissant rien traîner. A 21 heures, un léger souffle, comme si Poséidon s’amusait à nous agacer l’oreille. Mais la journée a été si fatigante, nous obligeant à une telle tension et vigilance, que je sombre dans un profond sommeil jusqu’à 6 heures le lendemain matin.

3/8 – DIN a finalement dévié de son trajet initial. Il est passé plus au nord et a épargné St Martin et St Barthélémy où on l’attendait sur le pied de guerre. Le vent a soufflé mais sans excès. La nature ne nous a offert qu’un décor de tragédie sans acteurs. C’est probablement mieux ainsi car, de l’avis des marins bretons qui viennent nous saluer dans la matinée en apercevant notre pavillon malouin, il y aurait eu beaucoup de casse. Mais nous voici néanmoins coincés pour un moment, si bien que le projet de se rendre à Anguilla s’anéantit au fil des heures. A nouveau le vent force. DIN laisse derrière lui quelques turbulences, que nous ressentirons  encore cinq jours plus tard, lors de notre retour en avion. Une journée complète de pluie tropicale rend cet étang plus mélancolique que ceux de la Sologne à la fin de l’automne.
Notre nuit du 4 août ? Pour nous, point de privilèges à abolir. Yves qui, chaque nuit, ne dort que d’un oeil est resté en alerte. Une intuition. Avec des rafales de 35 à 40 noeuds, ses craintes sont fondées. Le bateau tire sur les ancres, craque, s’agite comme s’il voulait se cabrer. Oh10, on dérape. Il faut reprendre les alignements. Pas de doute, nous filons vers la côte. Nous ne sommes plus qu’à une vingtaine de mètres d’un gros bateau blanc. Branle-bas ! Il faut secouer les endormis. Debout ! Moteur en marche. Yves relève les ancres, le vent force encore. Nous slalomons entre les bateaux ( environ 500 au lieu des 250 habituels). Nous reprenons un mouillage. Opération réussie. Nous laissons filer les chaînes au maximum, car nous sommes sur un fond de sable et d’algues. Tandis que l’équipage retourne aux bannettes, Yves poursuit son quart qui se transforme en quatre quart, son équipage ne s’étant pas proposé pour la relève… Deux heures -quarante- cinq, ça recommence. Les deux ancres décrochent. La tension est telle qu’il nous aurait fallu une ancre supplémentaire. Nous ferons sans. Cinq heures du matin, après une troisième alerte, nous tenons enfin. Le jour lève une pauvre face chiffonnée. Ouf ! le vent faiblit. Yves en aura été quitte pour une nuit blanche et quelques émotions.
Tant bien que mal, nous allons, durant quarante -huit heures, nous tenir informés de l’évolution du temps. C’est chose rendue difficile si par malheur vous ne comprenez pas l’anglais ou si vous êtes distrait, car la radio locale semble davantage affectionner la chansonnette et le reggae que l’information météorologique. C’est avec bien des difficultés que nous parvenons à capter quelques bribes sur une radio anglaise. Puisque nous n’avons plus guère de provisions, hormis des boîtes de corn-beef et des pâtes – le bateau étant à l’arrêt, ainsi que le moteur, le frigidaire ne fonctionne plus et nous devons jeter de la nourriture qui, au propre comme  au figuré, a déjà viré de bord. – il nous faut donc aller chercher à terre, ne serait-ce que quelques vivres. Mais impossible d’utiliser, pour un aussi long parcours et avec ce clapot,  notre annexe dégonflable. Une barque, hélée au passage, accepte d’emmener deux d’entre nous au bourg de Marigot. Il nous en coûtera 120FF. C’est payer cher la baguette de pain.
Le vent s’est apaisé. Le ciel se dégage, les oiseaux sont de retour. Autant de signes annonciateurs du beau temps. Demain matin, il nous faudra profiter de la levée du pont à 6 heures pour quitter cet étang où nous nous sentons prisonniers et gagner l’anse Marcelle, au nord de l’île, où il est convenu que nous laissions le bateau. Le passage sous le pont est moins encombré qu’à l’aller et s’effectue dans la sérénité. La mer reste agitée jusqu’à la pointe du Canonnier, puis elle s’apaise progressivement et nous longeons la côte sous un ciel redevenu clément, avec juste ce qu’il faut de brise pour gonfler le gênois. Ce qui nous attend à l’arrivée au port de Lonvilliers est une surprise, de celle que l’on aimerait avoir souvent.

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Une petite baie ravissante, nichée au creux de sa verte montagne, avec une plage corallienne ombrée de palmiers, un décor digne d’un film de James Bond. Hôtels de luxe, marina confortable au long de laquelle s’alignent quelques magnifiques yachts, jardins, boutiques, profusion de fleurs et de papillons et, qui plus est, ni foule, ni bruit, ni affluence, ni encombrement. Comme si le caméraman ébloui avait, un instant, stoppé le moteur. Deux jours ici pour nous reposer comme le font les milliardaires désoeuvrés : bains, farniente, p’ti-punchs, on oublie tout et on recommence. En fait, cela n’a pas si mal marché ! Point-à-Pitre / St Martin, ce n’était pas rien Yves pour ton baptême du feu ! Skippeur pour la première fois sur une mer que tu ne connaissais pas, avec un 10m40, le plus souvent par fort vent, et un équipage aussi peu reluisant , bravo ! Certes le First 325 est un bon bateau, ardent, rapide, qui a de l’influx. Mais tu as été presque seul pour tirer sur les winches, barrer jusqu’à six heures d’affilé, régler les voiles et veiller lors des ancrages forains. Ton visage a pris la patine des jours où tu as sué sous le soleil. Tu es heureux, car tu rends ton bateau  » en l’état » et aucun bobo n’est à déplorer.
Salut, marin, depuis l’Atlantique sud !

20 juillet- 10 août 1989

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2 commentaires sur “Lettre océane, croisière de la Guadeloupe à Saint Martin”

  1. Par ailleurs, je t’ai recommandé à plusieurs reprises de bien lire le mode d’emploi au moins une fois ce que tu n’as hélas pas encore fait. Ce serait plus simple, surtout si tu retiens les trois réflexes et les trois choses à ne jamais oublier, qui sont en réalité très basiques:
    les photos doivent être centrées et surtout ne doivent jamais dépasser 500 px de largeur sous peine de déborder du cadre de publication et de rendre la page difficilement lisible… Sinon, il est possible de facilement les réduire en cliquant sur la photo et sur le bouton avec une image puis en choisissant un % de réduction.
    Merci de bien vouloir procéder aux quelques modifications dans l’intérêt de ton article.

  2. Armelle, il te faut mettre un chapeau, c’est-à-dire quelques mots ou quelques lignes au dessus de la ligne « more » que tu as créée…

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