Aller au contenu

Liban 2012 (6/6) : Le cinéma de Nadine Labaki

Votre séjour en Croatie est unique ; notre expertise l’est aussi! Pour mieux préparer vos vacances, consultez le guide voyage Croatie et téléchargez les Ebooks gratuits : conseils pratiques, idées de visites et bonnes adresses.  

 

Depuis les années 1950 et l’apparition de la Nouvelle vague, il est de bon ton d’opposer le cinéma d’auteur au cinéma dit « commercial ». Encore faudrait-il s’entendre sur les définitions. Pour les tenants de l’élitisme, serait « commercial » – donc potentiellement méprisable – tout succès populaire, tandis que le cinéma d’auteur, aux valeurs élevées, viserait un public d’esthètes et d’intellectuels. Vision platonicienne s’il en est !

Il est vrai que rien ne peut mieux garantir un orgasme intellectuel à certains critiques qu’un film minimaliste en version originale serbo-croate sous-titrée en kikuyu ou qu’un austère long métrage coréen durant lequel, pendant deux heures de temps, il ne se passe rien ; en d’autres termes, un film qui ne serait pas ennuyeux à mourir ne saurait figurer dans leur Panthéon cinématographique, au sein duquel trônent, entre autres, le soporifique Rohmer et Marguerite Duras, dont le regretté Pierre Desproges disait : « Attention ! Marguerite Duras n’a pas écrit que des conneries… Elle en a aussi filmées. »

Certes, le nombre d’entrées ne garantit en aucune façon la qualité d’un film, sinon, le fort niais Fabuleux destin d’Amélie Poulain, le larmoyant Titanic ou le très politiquement correct Intouchables seraient des chefs-d’œuvre. Pour autant, ce manichéisme qui consiste à classer la production cinématographique en deux catégories opposées ne repose sur rien, si ce n’est un point de vue moins esthétique qu’idéologique. Le cinéma de l’entre-deux-guerres offre de multiples exemples de films qui ne s’appelaient pas encore « d’auteur », mais qui connurent un succès populaire. Citons, notamment, ceux de Marcel Carné (Le Quai des brumes, Hôtel du Nord, Les Enfants du paradis), de Jean Renoir (La Grande illusion, La Bête humaine) ou de Julien Duvivier (Pépé le Moko, La Fin du jour).

De nos jours, quelques réalisateurs renouent avec cette tradition et parviennent à une synthèse des deux genres, mais ils sont rares. Parmi eux, se trouve la jeune cinéaste libanaise Nadine Labaki, valeur montante du 7e Art dont les deux premiers longs métrages furent à juste titre fort bien accueillis. Peu de spectateurs ont pu voir le court-métrage qu’elle réalisa à 23 ans comme travail de fin d’études à l’IESAV (université Saint-Joseph de Beyrouth), intitulé 11, rue Pasteur. Pourtant, dès ce premier opus, apparaissait l’audace qui caractérise son approche, puisque Nadine Labaki avait choisi de filmer une vingtaine de personne déambulant ou vivant près de l’immeuble éponyme – chacune ayant son histoire – en une séquence unique qui durait 13 minutes ! Elle avait, en outre, assuré l’écriture du scénario, la co-écriture du texte et le mixage. 11, rue Pasteur obtint le Prix du meilleur court-métrage à la Biennale du cinéma arabe.

Son premier long métrage, Caramel, fut présenté à Cannes dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs. Si l’on y retrouve quelques détails déjà présents dans 11, rue Pasteur, Caramel va beaucoup plus loin, en évoquant, à travers un institut de beauté, l’histoire de sept femmes libanaises, avec leurs expériences, leurs drames, leurs bonheurs et leurs désirs encadrés par une pression sociale pesante à laquelle elles tentent d’échapper dans une volonté naturelle et légitime d’autonomisation.

Qui veut comprendre ce qu’est le statut de la femme au Moyen-Orient en général et au Liban en particulier trouvera dans ce beau film intimiste et attachant, où la sensualité de l’éclairage montre la qualité du chef-opérateur, les réponses qu’il attend. Et le spectateur sera sans doute surpris des audaces de Nadine Labaki qui, par un habile emploi du non-dit (« Le non-dit dans le cinéma de Nadine Labaki » est d’ailleurs le sujet d’une conférence que j’ai donnée au printemps dernier à l’IESAV), sut éviter la censure alors qu’elle abordait des thèmes aussi sensibles dans cette région du monde que l’adultère, le saphisme, la ménopause, l’amour chez les personnes âgées, la démence et l’hyménoplastie. Sur ce dernier sujet, la cinéaste nous montre une triste réalité quotidienne qui n’a guère à voir avec les analyses bien-pensantes d’Yvonne Knibiehler (voir l’article consacré à son essai, La Virginité féminine). Caramel, ainsi nommé par référence au produit naturel utilisé en Orient pour l’épilation, est probablement l’un des films libanais les plus connus au niveau international – succès populaire mérité, car il est très réussi, jusque dans le montage qui fait alterner (et donc met en perspectives) des scènes qui donnent au propos toute sa dimension.

Avec son second long-métrage, Et maintenant, on va où ?, Nadine Labaki aborde un autre sujet tabou de la société libanaise, mais dont la portée est universelle : le conflit intercommunautaire religieux. Occasion de brosser, comme dans Caramel, de beaux portraits de femmes, ce film met en lumière, dans un village quasi coupé du monde où chrétiens et musulmans se connaissent et se côtoient depuis l’enfance, la propension des hommes à vouloir, comme pendant la guerre civile libanaise, étriper leurs voisins pour des questions religieuses mineures, en dépit des efforts du curé et de l’imam pour maintenir la paix.

Lassées d’avoir perdu mari, fils et frères, les femmes s’uniront, au-delà des confessions, pour tenter de distraire les hommes de leurs instincts belliqueux, en usant des stratagèmes les moins socialement acceptés, de l’organisation d’un faux miracle à l’invitation de danseuses ukrainiennes en passant par une distribution de pâtisseries au haschisch et, pour finir, à l’échange des religions. On pourra trouver naïf ou manichéen ce partage des rôles suivant les sexes (femmes toutes éprises de paix, hommes tous prêts à en découdre et à déterrer la hache de la vengeance), pour autant, cette histoire est avant tout un conte tragi-comique qui, comme tous les contes, a recours à certains archétypes, fondés ici sur une connaissance assez fine de la psychologie masculine. Et le film, sous une apparente légèreté, soulève des questions dont la gravité n’a rien d’artificiel, puisqu’il dénonce sans ambiguïté la folie des êtres humains dès que l’irrationnel religieux est en cause – thème de plus en plus actuel, notamment au Liban. Le Festival de Cannes ne s’y est pas trompé, en lui attribuant le prix du Jury œcuménique en 2011.

Si Caramel adoptait une facture classique, Et maintenant on va où ? se montre plus insolite, puisque se succèdent à un rythme soutenu scènes comiques et dramatiques, mais aussi scènes chantées et chorégraphiées. Les cinéphiles attentifs retrouveront ici quelques réminiscences de Comencini, de Jacques Demy et d’Emir Kusturica. Cette diversité de registres, apte à surprendre, ne nuit cependant pas au film, grâce à un montage étudié et à la musique de Khaled Mouzannar (qui avait déjà signé celle de Caramel), en parfaite adéquation avec les thèmes qu’elle illustre.

Nadine Labaki, dans ses deux longs métrages, n’hésite pas à se mettre en scène (elle est Layale dans Caramel et Amal dans Et maintenant on va où ?) tout en prenant soin de ne jamais dominer celles et ceux qui lui donnent la réplique. Elle est aussi une remarquable directrice d’acteurs car la quasi-totalité de la distribution est occupée par des comédiens non professionnels dont elle parvient à obtenir une qualité de jeu assez sidérante. Emergent ainsi des personnalités surprenantes, comme Yvonne Maalouf, qui est, dans la vie, la femme du prêtre d’un village dans lequel le film fut tourné. La réalisatrice eut beaucoup de mal à la convaincre de passer devant la caméra, mais cette truculente « mamma » qui rappelle Marthe Villalonga connaît aujourd’hui, au Liban, une vraie popularité. Tel est aussi et surtout le cas de Claude Baz-Moussawbaa, absolument poignante dans son rôle de mater dolorosa.

Il n’est pas fréquent, dans ces colonnes, que je conseille de se précipiter sur un DVD. Mais ces deux longs-métrages font partie des rares films d’auteurs que j’aie eu envie de visionner à de nombreuses reprises, depuis ce petit bijou de Caroline Roboh intitulé Clémentine Tango – lui, hélas, indisponible, même en VHS ! – sorti en 1983 et qui souleva l’enthousiasme légitime d’Henri Chapier. On trouvera donc Caramel et Et maintenant, on va où ? distribués par Pathé (9,99 € l’unité), qui vient d’ailleurs de les réunir dans un coffret (19,98 €).

Illustrations : Nadine Labaki dans Et Maintenant, on va où? – Affiche de Caramel – Affiche de Et maintenant, on va où?

Thierry Savatier

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

 

  1. Accueil
  2. /
  3. Derniers articles
  4. /
  5. GUIDE CULTUREL
  6. /
  7. Critiques de livres et livres de voyage
  8. /
  9. Liban 2012 (6/6) : Le cinéma de Nadine Labaki