Ce matin, je me suis réveillé tôt le jour de mon anniversaire. Je me souviens de mon île bleue.
(…) Des oiseaux passent, l’aile ouverte,
Sur l’abîme presque joyeux;
Au grand soleil la mer est verte,
Et je saigne, silencieux,
En regardant briller les cieux.
Je saigne en regardant ma vie
Qui va s’éloigner sur les flots;
Mon âme unique m’est ravie
Et la sombre clameur des flots
Couvre le bruit de mes sanglots.
Qui sait si cette mer cruelle
La ramènera vers mon cœur?
Mes regards sont fixés sur elle;
La mer chante, et le vent moqueur
Raille l’angoisse de mon cœur.
Bientôt l’île bleue et joyeuse
Parmi les rocs m’apparaîtra;
L’île sur l’eau silencieuse
Comme un nénuphar flottera.
A travers la mer d’améthyste
Doucement glisse le bateau,
Et je serai joyeux et triste
De tant me souvenir bientôt! (…)
Il fait chagrin, et froid, et pluvieux. En bas, le beau lac exhale des volutes grises qui s’effilochent sur les cimes bleutées de la grande montagne. Le chien gambade, les merles sifflent, des gouttes de pluie tombent des hêtres.
Mon anniversaire coïncide avec la plus longue journée de l’année, celle du crépuscule sans fin et du potron-minet lascif.
J’aime bien cette chanson-poème que j’ai étudiée quand mes joues étaient roses et les rides, une réalité abstraite. La prof de français, que l’on surnommait Mémé dans les années post-yéyé, voulait à tout prix que l’on associât le « la » de la troisième strophe comme le mot clé de ce poème.
Je trouvais cela mièvre. Il était entendu, selon moi, qu’une « mer cruelle » n’allait pas me « la ramener vers mon cœur ». A cette époque, je ne « la » connaissais pas.
Et cette « la » n’était pas du tout ma priorité.
Ma priorité était « l’île bleue » cette « île sur l’eau silencieuse » qui « comme un nénuphar flottera ».
Poème de l’amour et de la mer op. 19, une composition pour voix et orchestre d’Ernest Chausson, écrite entre 1882 et 1892). Extraits.
Photos Damien Personnaz/Mangareva/2009