Lectures francophones au Canada
Nous pourrions encore séjourner aux Etats-Unis pendant plusieurs semaines et jeter un regard sur
la littérature juive américaine, sur la littérature du Montana, sur la littérature indienne, etc… Mais, comme Kérouac, la route nous appelle et nous nous dirigeons toujours vers le nord pour
entrer cette fois au Canada et faire une première pause avec la littérature canadienne francophone qui ne concerne pas seulement le Québec mais d’autres provinces comme l’Acadie ou des provinces
anglophones où séjournent encore des Canadiens d’origine française ou francophone. Pour cette étape, à tout seigneur tout honneur, nous réserverons notre premier rôle à Michel Tremblay qui a si
bien écrit sur Montréal en particulier. J’ai choisi de vous présenter « Le trou dans le mur » car je l’ai lu récemment et, surtout, parce que j’ai beaucoup aimé ce livre un
peu, et même beaucoup fantastique, mais tellement réaliste sur le fond. J’aurais pu aussi vous parler d’une autre de mes lectures de cet auteur : « La nuit des princes
charmants » qui est très connue mais que j’ai un peu moins aimée, un peu seulement. Et, pour compléter ce tour d’horizon, nous resterons en compagnie d’auteurs confirmés :
Gabrielle Roy qui peut paraître désuète aujourd’hui mais à qui je trouve beaucoup de charme et de tendresse malgré la noirceur du roman dont je vous parle, Antonine Maillet que l’on ne
présente plus mais qui est la véritable ambassadrice de l’Acadie et enfin le plus Montréalais des Canadiens Yves Beauchemin.
Le trou dans le
mur
Miche Tremblay (1942 – ….)
« Il ne voyait pas la porte ! La porte n’existait que pour moi ! »
François Laplante qui erre sur la Main, à Montréal, pour meubler un dimanche après-midi d’ennui, remarque pour la première fois une porte dérobée sur la façade du Monument National et il ne peut
résister à la tentation de l’ouvrir et de descendre l’escalier qu’elle dissimule. Au bas de celui-ci, il trouve un étrange tableau composé de tous les anciens traîne-misère qui ont vécu sur la
Main à la grande époque où ce quartier était à la mode. A son approche ce tableau s’anime et les personnages lui demandent d’écouter leur confession car sans celle-ci, ils ne pourront pas obtenir
la rémission de leurs péchés et accéder à leur paradis, celui des fantômes du théâtre, à l’étage supérieur. Tous veulent y aller car « en haut c’est l’avenir, la vie qui
continue » et quitter ce sous-sol « parce que là se trouve la pire punition de ce maudit endroit on y vieillit comme ailleurs, mais sans espoir de jamais mourir. » Et
ainsi, il va recevoir la confession d’une chanteuse ratée, d’un joueur de « ruine babines » miséreux, d’un comédien déchu, d’un travesti lamentable et pathétique et de leur cruel
bourreau, celui qui les a expédiés dans ce purgatoire avant d’y être lui-même envoyé.
Avec cet habile procédé littéraire qui mêle fiction et fantastique, Tremblay évoque, à travers
ces cinq portraits, le quartier de la Main, à Montréal, à l’époque où la vie y grouillait, animée par tous les marginaux, les « nobodies » de la ville, ceux qui vivaient de tous les
trafics possibles, y compris de la vente de leurs charmes, ou de celui des autres, que souvent ils n’avaient plus et, parfois, n’avaient même jamais eus. « Tous des pauvres hères, filles
et garçons, qui se sont sauvés de chez eux trop jeunes et qui croient atteindre la liberté en tournant le coin de la Main et de la Catherine, alors que c’est la plupart du temps dans l’esclavage,
celui du cul, celui de la drogue, celui de la boisson, qu’y plongent. »
Ce livre évoque aussi avec adresse le problème de la faute, du péché, du pardon et de la
rédemption qui passe nécessairement par la confession. Mais ce livre va un peu plus loin et traite aussi d’une certaine fatalité, comme une forme de déterminisme, qui affecte les plus démunis ou
ceux qui n’ont pas reçu le petit coup de pouce de la chance au moment nécessaire et qui basculent dans la marginalitéet tout ce qu’elle implique. Ou ceux qui ont voulu provoquer la chance en
cherchant une gloire artificielle comme revanche sur la vie.
En tout cas, un excellent livre construit avec une grande habilité, sur un très bon rythme, et à
l’aide d’une langue goûteuse qui fait revivre intensément tout un quartier et toute une époque, on se croirait sur les « Fortifs » à l’époque de Maurice Chevalier, à travers ces cinq
scènes qui sont comme cinq petits films en noir et blanc ou en couleur selon qu’on évolue dans la vie réelle ou dans l’autre vie. Et la vie finalement n’est-elle pas un film dont le scénario
serait écrit à l’avance et nous échapperait totalement ?
Bonheur d’occasion– Gabrielle Roy (1909 – 1983)
Gabrielle Roy est née dans le Manitoba mais après un passage en Europe, elle s’installe à
Montréal où elle écrit ce premier roman qui sera publié en 1945, pendant la guerre. C’est un roman de la misère et de la pauvreté qui raconte l’histoire de ces pauvres hères qui vivaient en marge
de la société et aux marges de la ville, fournissant de la chair à canon pour la guerre qui se déroulait en Europe. C’est aussi un roman sur les femmes qui, seules, ont pu maintenir un semblant
d’humanité dans ces quartiers. Beaucoup de misère mais aussi beaucoup de tendresse pour ces déshérités dans ce roman.
Pélagie-la-Charrette– Antonine Maillet (1929 –
….)
Difficile de parler de ce livre qui a tellement défrayé la chronique et qui parle de la
déportation par les Anglais qui convoitaient leurs terres, « le grand dérangement », des Français du Québec vers la Louisiane. En 1755, Pélagie se révolte et décide
d’entreprendre, avec quelques autres, un long périple qui devrait les ramener sur leurs terres d’origine. Un périple épique, rempli d’aventures et d’avatars que vous dégusterez dès que vous aurez
domestiqué le français ancestral utilisé par Antonine Maillet.
Le matou– Yves Beauchemin (1941 – ….)
Une histoire étrange, truculente et un peu fantastique que celle de ce jeune couple qui achète
un restaurant en plein cœur de Montréal avec l’aide financière d’un étrange personnage qui s’avère en fait être un type néfaste et méchant qui verra finalement ses plans échouer face à la malice
du matou de Monsieur Emile, un enfant pris en affection par ce couple. Un livre goûteux comme la cuisine de « La Binerie », le restaurant de Florent et Elise.
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