Avec London River, Rachid Bouchareb s’attaque à un sujet délicat : celui des attentats qui frappèrent Londres en 2005…
Deux parents, inquiets après avoir appris la nouvelle des attentats, se précipitent à Londres pour retrouver leurs enfants, dont il n’ont pas de nouvelle. Plongée au coeur de l’oppression et de l’angoisse que peut éprouver tout parent dans ce genre de drame, avant que la réflexion sur le deuil et les traditions religieuses commence à se dessiner…
Prévu pour la télévision et pour Arte, “London River” a non seulement été sélectionné en compétition officielle à la Berlinale 2009 mais y figure aussi au palmarès via le prix d’interprétation remis à Sotigui Kouyate. Le nouveau long-métrage de Rachid Bouchareb (”Indigènes”) connaîtra finalement l’honneur des salles (sortie le 23 septembre 2009) mais aura d’abord été diffusé sur Arte.
7 juillet 2005, quatre attentats simultanés en plein coeur de Londres endeuille la Grande-Bretagne. Elizabeth vit isolée sur la petite île britannique de Guernesey, au large de la Normandie. Elle apprend la tragique nouvelle des attentats par son poste de télévision et téléphone immédiatement à sa fille, étudiante à Londres, pour prendre des nouvelles. Sa fille ne répond pas, ne rappelle pas. Elizabeth rejoint Londres sur les traces de son enfant, et l’inquiétude la gagne légitimement. Sur place, elle fait la rencontre d’Ousmane, un père africain en provenance de Paris et qui selon une démarche similaire cherche à retrouver son fils.
London River nous touche instantanément. Cela tient à la justesse et à la pudeur du regard de Rachid Bouchareb mais aussi à l’interprétation de Brenda Blethyn (Secrets et mensonges, Little Voice, Reviens-moi). On assiste d’abord à la naissance d’un mauvais pressentiment, et le traitement est absolument brillant. Elizabeth ne s’inquiète pas plus que cela, dans un premier temps. Lorsqu’elle rappelle une seconde fois sa fille, elle est impatiente. La troisième fois, l’appréhension la gagne. Ce silence est pesant et insupportable.
La première idée du film est celle-ci. Toujours lorsqu’un drame survient, on est certain d’être épargné, que ça n’arrive qu’aux autres. Les statistiques sont là pour nous le prouver, nous n’avons que peu de chance de périr dans un accident d’avion ou dans un attentat. Sauf que lorsqu’un tel évènement survient, l’injustice frappe soudain un noyau de personnes souvent anonymes et le drame intime est forcément impossible à vraiment concevoir. De fait, Elizabeth n’envisage pas immédiatement le drame, car il est évident pour elle que la probabilité que sa fille fasse partie des victimes est faible. Dans son parcours dans Londres, on lui répètera à plusieurs reprises, à elle et à Ousmane, que cette probabilité est ridicule.
Elizabeth fait la rencontre d’Ousmane. Le drame les réunis dans une quête commune mais sinon, tout semble les séparer. Elle est une catholique protestante, il est musulman. Ces différences culturelles pourraient peser et c’est d’ailleurs un peu le cas tant la communication entre les deux tarde à s’établir vraiment. Ce n’est pas tant les différences culturelles qui expliquent cette incommunicabilité, juste Elizabeth est obsédée par sa quête intime.
Mais justement, Elizabeth et Ousmane ont une trajectoire en tous points semblable. Elle est veuve, il vit seul à Paris loin de sa famille restée en Afrique. Elle est isolée car sa fille unique suit ses études à Londres, lui n’a plus de relation avec son fils depuis un long moment. Le film raconte aussi ça, la fracture qu’il peut y avoir entre parents et enfants. L’émancipation des uns conduit à l’isolement des autres mais, ce que le film montre pour le cas de ces personnages, c’est que ce processus est invisible, n’est pas la conséquence d’une colère, mais juste le résultat d’une communication qui se délite en même temps que les enfants deviennent adultes, indépendants, responsables, et construisent leurs vies parfois loin de ceux qui les ont mis au monde et élevés.
London River ne se contente donc pas d’aborder des questions comme le deuil ou les traditions religieuses et se révèle bien plus profond. L’émotion qui en découle et sincère car Rachid Bouchareb construit son récit avec retenue, distance, sans artifice. L’émotion naît de la trajectoire des personnages, de leurs façons simples de réagir, de passer de l’espoir aux faux espoirs, de traverser un doute profond qu’ils ne peuvent affronter qu’avec la force de la conviction qui les animes, d’un besoin de réponse qui est indispensable. Dans son schéma narratif, son cheminement à hauteur des personnages, London River rappelle un peu Sous les bombes, un autre film produit par Arte, diffusé sur la chaîne et finalement exploité en salle. Les deux films se rejoignent aussi pour leurs sensibilités, leurs force émotionnel et la qualité du parcours introspectif de ces anonymes victimes collatérales d’un drame qui évidemment leurs échappe et les frappe sans prévenir.
Le jury du festival de Berlin a vu juste en récompensant Sotigui Kouyate (que Rachid Bouchareb a déjà dirigé dans Little Senegal). Brenda Blethyn est tout autant bouleversante et le duo qu’ils forment fait toute la richesse, toute la force de London River.
Benoît Thevenin
London River – Note pour ce film :
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