Le livre de Pierre Goubert, publié en 1966, révolutionnait l’approche des historiens sur le règne de Louis XIV.
Pierre Goubert
est décédé au début de l’année. Né en 1915, il est devenu l’un des plus importants historiens français. Reçu à l’école normale d’instituteurs d’Angers en 1931, puis à l’École normale supérieure
de Saint-Cloud en 1935, il devient membre du CNRS en 1951. En 1956, il devient directeur d’études à l’École pratique des Hautes études. Deux ans plus tard, il soutient sa thèse très connue, qui
marque un vrai tournant dans l’historiographie : Beauvais et le Beauvaisis de 1600 à 1730. Il s’agit d’une étude de démographie historique à
l’échelle d’une région. En 1969, il est nommé à la Sorbonne. Il est l’auteur, entre autres, de L’Avènement du Roi-Soleil (1961), Louis XIV et vingt millions de Français (1966), L’Ancien Régime (deux volumes, 1969 et 1973), La Vie quotidienne dans les campagnes françaises au XVIIe siècle (1982) et Mazarin (1990).
1661-1672 : la « phase ascendante » du règne
La première partie brosse le tableau de la France à la mort de Mazarin, en 1661. Une France où l’espérance de vie est de 25 ans et où
la mort est omniprésente, une France dont l’économie n’est pas particulièrement avancée mais repose sur la paysannerie, laquelle est aussi le fondement de la société et de l’État. Quant aux
cadres institutionnels, ils n’arrivent pas à faire oublier que chaque province, chaque ville, chaque groupe social possède et conserve jalousement ses « libertés », c’est-à-dire ses
privilèges. « Le désordre régnait partout » écrit Louis XIV dans ses Mémoires de 1661.
« Le temps des hardiesses » est l’objet de la deuxième partie. Le roi se lance « à la recherche de la gloire »,
soumettant les organes responsables du désordre du royaume, en particulier les cours souveraines, restreignant son Conseil à trois ministres (Colbert, Lionne et Le Tellier), supprimant
définitivement la fonction de premier ministre, entre autres. Et en politique extérieure, il entend imposer la grandeur française en Europe.
La période 1661-1672 constitue la « phase ascendante du règne » : mise au pas des arts, réduction des parlements à
l’obéissance, application restreinte de l’édit de Nantes, enquêtes de noblesse, répression des révoltes à l’intérieur ; guerre et victoires à l’extérieur. Enfin, Colbert s’attache à enrichir
le plus possible le royaume. Mais face à la supériorité hollandaise, il ne voit pas d’autres solutions que la guerre.
La guerre contre la Hollande (1672-1679) est le premier tournant du règne. Certes, Louis XIV sort gagnant du conflit mais la guerre a
engendré un déficit financé par des impôts nouveaux et l’emprunt.
La fin du règne : les malheurs s’abattent sur le royaume
La troisième partie se consacre au « temps du mépris » : c’est la décennie 1679-1689. Un mépris qui se caractérise par
le « despotisme religieux » de Louis XIV illustré par la révocation de l’édit de Nantes, entre autres. Une révocation visant à redonner une unité à un royaume où cohabitaient deux
religions mais qui aura d’affreuses conséquences : l’édit de Fontainebleau ne sera ni utile, ni efficace et ne fera que troubler et diviser un peu plus la France.
Sur le plan extérieur, Louis XIV brave l’Europe, notamment par sa politique des réunions visant à renforcer la frontière du royaume.
Ces provocations entraînent la formation d’une nouvelle coalition contre la France et une guerre qui cesse en 1684 avec le traité de Ratisbonne.
Vers 1688, le royaume est moins solide qu’auparavant pour faire face aux épreuves qui vont suivre : certes le commerce français
est florissant mais les adultes (les personnes nées vers 1648-1663) ne sont pas nombreux. Or, ce sont eux les contribuables, qui doivent et devront payer pour les guerres à venir. Par ailleurs,
la crise de la conscience européenne atteint la France comme les autres pays.
1689-1714 : c’est « le temps des épreuves » indique la quatrième partie. La guerre contre la seconde coalition entre
1689 et 1697 laisse la France aussi affaiblie que ses ennemis et sans avoir pu réaliser ses buts de guerre. Quant au poids financier, il est démesuré. Et, pour ne rien arranger, la grande famine
de 1693-1694 fait des ravages.
Après un court répit, le royaume se relance dans un conflit avec la guerre de Succession d’Espagne (1701-1713). Bien que la défense
ait été soigneusement organisée, la guerre dure plus longtemps que prévu et Louis XIV connaît plusieurs défaites et des alliés l’abandonnent, notamment le duc de Savoie et le Portugal. En outre,
l’état des finances est catastrophique, une terrible épidémie frappe le royaume au début du siècle, le petit peuple continental souffre mille misères et le rude hiver de 1709 aggrave encore la
situation. La paix est conclue en 1713 mais à un prix très élevé.
Un bilan nuancé
Arrive l’année 1715, la dernière année. Celle des bilans. La politique religieuse de Louis XIV lors des derniers mois a suscité
hostilité et mépris à son encontre. L’état déplorable des finances publiques s’explique par les vingt années de guerre qu’a connues la France.
Cependant, l’administration royale s’est étoffée, annonçant la France ordonnée de Louis XV et même de Napoléon, même si elle est loin
d’être constamment obéie. Les révoltes ont presque disparu et le royaume connaît un début d’expansion maritime au début du XVIIIe siècle. Ces points nuancent un peu le tableau noir que l’on
brosse habituellement de la fin du règne du roi-soleil.
À l’extérieur, le roi est parvenu à repousser les frontières à l’est pour protéger Paris de l’invasion. Sa volonté de rassembler sous
sa personne artistes et écrivains s’est heurtée, à partir des années 1680, à la « crise de la conscience européenne ».
Louis XIV a sous-estimé les « forces antagonistes » : à l’extérieur, les Provinces-Unies, l’Angleterre et
l’Empire ; à l’intérieur, les jansénistes, les protestants, les provinces et les corps du royaume, si attachés à leurs privilèges. Enfin, les « forces oubliées », notamment la
conjoncture économique et les progrès des sciences, de la raison et de la liberté ont tout simplement été ignorés par le roi.
Pierre Goubert, dans ce livre, proposait une approche nouvelle de l’étude de Louis XIV. Celui-ci n’était plus étudié seul, au milieu
de sa cour, mais accompagné, expliqué même, par les « vingt millions de Français » qui formaient ses sujets – et sa seule vraie richesse. De plus, l’auteur s’attachait à comprendre le
règne du roi-soleil sans aucune « passion, amoureuse ou haineuse ». Enfin, le style de l’écriture rend le livre agréable à lire. Pas étonnant qu’il ait fait naître des vocations
d’historien.
GOUBERT, Pierre, Louis XIV et vingt millions de Français, Paris, Fayard/Pluriel,
2010.
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