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L’Opéra de Zurich reprend cette saison Madame Butterfly de Puccini dans une mise en scène de Grischa Asagaroff datant d’octobre 2009, avec Adina Nitescu dans le rôle-titre.
Photo Suzanne Schwierz |
Madame Butterfly par Grischa Asagaroff à l’Opéra de Zurich
Grischa Asagaroff a opté pour une mise en scène efficace qui recourt à un ordre symbolique simple, clairement défini et parfaitement lisible. Lors de l’ouverture et pendant les intermissions, un rideau d’avant-scène reçoit des projections vidéo d’animations stylisées en noir et blanc: d’abord un vol de papillons, puis des bambous, enfin une pluie d’ailes de papillons morts tombant entre des bambous brisés. Le décor et les costumes jouent sur trois couleurs, le blanc, le noir et le rouge, là aussi avec une symbolique épurée et immédiate, avec la prédominance d’une des couleurs au cours de chaque actes: le blanc de la pureté et de l’innocence de Cio-Cio San domine tout le premier acte, le noir de la séparation, de l’absence et de la disette du deuxième acte se teintera encore du rouge du coeur brisé et du sang du hara-kiri du troisième acte. La mise en scène colle à l’action et en renforce la lisibilité, elle souligne de manière appropriée et sans outrance la progression du drame. Une sobriété intelligente et efficace tout au service de l’énoncé tragique et surtout de la musique.
Si les décors participent d’une esthétique plutôt contemporaine, les costumes gardent quant à eux des références stylisées à la tradition avec parfois le recours à la caricature par exemple pour celui de l’oncle bonze ou encore celui de Yamadori . La maison de Butterfly est ingénieusement esquissée par l’armature d’une tour blanche à deux paliers dont on ne voit que l’ossature , un escalier à colimaçon menant à la chambre de Suzuki au premier étage, et à celle de Butterfly au second. Des stores blancs, comme le bois de l’armature ou le mobilier du premier acte, et qui peuvent se lever ou se baisser, évoquent les shōjis. La modernité du décor peut se comprendre comme un soulignement discret de l’actualité et de l’universalité du drame que vit Butterfly, la traite des femmes sous couvert de mariage n’ayant malheureusement pas disparu de la planète depuis l’époque à laquelle Puccini a écrit son opéra. La sobriété du décor de base permet des changements d’atmosphère par le jeu des couleurs et de quelques éléments ajoutés: au deuxième acte les fauteuils blancs sont devenus noirs comme les vêtements que portent à présent la jeune femme abandonnée et Suzuki, et deux statues de la Vierge Marie occupent les pièces de réception et la chambre de Cio-cio San, avec des photos encadrées de Pinkerton qui sont placées devant les statues comme pour implorer la protection de la mère du nouveau dieu de Butterfly. Une statue du Bouddha continue d’orner la chambre de Suzuki. Des drapeaux américains viennent un moment souligner l’amour et la fierté patriotique ingénue de Cio-Cio San qui insiste pour qu’on l’appelle de son nom américain, Madama Pinkerton.
Des figurants en pagne blanc, enfarinés des pieds à la tête et silencieux déplacent quelques parois, plus tard ils hanteront la maison en costumes de Pierrots portant collerette se passant un bateau de papier blanc d’un étage à l’autre ou se feront porteurs d’un palanquin aux parois transparentes quand le riche Yamadori arrive pour faire sa cour. Leurs mains changeront de couleur pour se teinter de rouge ou de noir. Ils contribuent à donner une atmosphère poétique , étrange, et un peu fantastique à la tragédie, témoins silencieux et furtifs sur lesquels viennent s’imprimer les marques colorées des intrigues et des bassesses du drame et des épreuves et des souffrances de la délaissée. C’est sans doute là l’empreinte de Reinhard von der Thannen, le créateur tant des décors que des costumes. Sa création de l’oncle Bonze en vieux sorcier échevelé dans sa rage orangée est aussi fascinante que l’exquis kimono brodé de Suzuki. Le costume doré de Yamadori qui souligne l’arrogance de sa richesse n’est pas en reste pas moins que son crâne de vieux dandy portant une coiffe d’un bleu hallucinant. L’officier de marine Pinkerton est quant à lui flanqué d’un mousse avantageusement musclé tout droit sorti du Querelle de Brest de Fassbinder ou d’une création de Pierre et Gilles.
Avec Carlo Rizzi au pupitre et Adina Nitescu en Butterfly ce sont deux grands passionnés de la musique de Puccini qui se rencontrent pour le plus grand bonheur du public, et spécialement dans la deuxième partie. Rizzi, dont la maîtrise du répertoire italien est connue, soutient le travail des chanteurs avec un doigté attentif et s’attache à transmettre une vision unifiée de l’oeuvre. On sait que le rôle de Butterfly nécessite un jeu d’actrice délicat: alors qu’il exige une performance vocale inconcevable sans une technique confirmée qui ne s’acquiert souvent qu’à la maturité. Il s’agit d’interpréter au premier acte la pureté et la pudeur fragilisée d’une toute jeune femme, presque une enfant encore, quinze ans à peine. Adina Nitescu, qui a chanté Cio-Cio San de Paris et Toulon à Moscou et de Toronto à Tokyo, a plus que l’expérience du rôle, mais donne un premier acte plutôt retenu, très juste, mais sans éclat, sans parvenir à incarner la jeunesse et les espoirs brûlants d’une geisha que la vie a déjà livrée à un cruel destin. Dès le deuxième acte, elle développe une puissance à laquelle on ne s’attendait plus et incarne avec passion tant les certitudes de Butterfly que son désespoir et les affres d’une femme reniée à la maternité cruellement outragée. Un même réveil caractérise le Pinkerton de James Valenti, qui a quant à lui parfaitement le physique de l’emploi et joue fort bien les bellâtres machos à la sensualité égocentrée: sa prestance s’accompagne d’une belle voix du premier acte, qui ne révèlera cependant toute sa puissance qu’au trio du troisième acte. Judith Schmid est brillante en Suzuki de la première note à la dernière, et fait une prestation en tous points remarquable, récompensée par des applaudissements très nourris, avec une belle pénétration psychologique du personnage qu’elle traduit tant dans le chant que par le jeu de l’actrice. Ruben Drole fait des débuts remarqués à Zurich en donnant un très beau Sharpless, alors que le Goro d’Andreas Winkler manque de consistance, d’ampleur et de puissance. En ajoutant que les seconds rôles sont bien occupés, on passe une excellente soirée italienne à l’opéra de Zurich, et plus particulièrement dans la deuxième partie, ce qui correspond bien à la progression dans l’intensité du drame.
Prochaines représentations de la saison: le 30 mars et le 6 avril 2013
Tickets via le site de l’opéra de Zurich.
Tickets via le site de l’opéra de Zurich.
Qui est l’auteur de cet article?Luc Le Belge est expatrié à Munich, en Bavière et vous fait découvrir la belle ville de Munich aux multiples attraits et à l’actualité culturelle très dense, mais aussi la société bavaroise, qui est si particulière en Allemagne…Découvrir le blog MUNICH AND CO…
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