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Malraux à Boulogne ; la maison du Musée imaginaire

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La maison d’un écrivain recèle toujours une part du mystère de celui qui l’a habitée puisque, le plus souvent, il a contribué à lui donner une âme. Celle, surprenante et délirante, de Pierre Loti, à Rochefort-sur-Mer (Charente Maritime) en offre un exemple frappant. Et l’on ne serait pas autrement surpris de voir, à Vulaines (Seine et Marne) le chat de Mallarmé se promener encore aujourd’hui sur les tuiles du toit.
André Malraux racontait une amusante anecdote à son sujet. Le poète, aimait-il à dire avec un regard malicieux, confiait qu’il se mettait parfois le soir à sa fenêtre pour entendre son chat parler dans la gouttière avec d’autres chats et qu’un jour, il leur avait dit : « Je feins d’être chat chez Mallarmé »…

Malraux, justement – autre amateur de félins domestiques – avait habité, de 1945 à 1962, une bien curieuse demeure à Boulogne-sur-Seine, située avenue Robert-Schumann et qui fut construite dans la seconde moitié des années 1920 par l’architecte Jean-Léon Courrèges. Un essai vient d’être publié, qui lui est consacré, Malraux à Boulogne (Bartillat, 109 pages, 18 €). L’auteur, Françoise Theillou, l’a fort justement nommée « la maison du Musée imaginaire ». Il y composera en effet la quasi-totalité de ses écrits sur l’art, notamment la Psychologie de l’art, les Voix du silence, le Musée imaginaire de la sculpture mondiale et la Métamorphose des dieux.

Sans doute cette grande bâtisse de style Art déco aux réminiscences hollandaises, où régnait la lumière, fut-elle la seule maison que Malraux eût vraiment habitée. Bien sûr, il y eut plus tard Verrières, mais ce château restait avant tout celui de Louise de Vilmorin. Comme Baudelaire – mais très différemment – l’auteur de La Condition humaine vécut longtemps en nomade. Pourtant, lorsqu’en 1945, le Général l’appela aux affaires, comme ministre de l’Information, il lui fallut bien se sédentariser. La maison de Boulogne devint sa résidence.

Il y vécut avec Madeleine, la veuve de son frère et leurs enfants respectifs. Avec ses volumes généreux, l’endroit lui plaisait assez pour qu’il proposât à la propriétaire de lui payer dix ans de loyer d’avance ! Si Madeleine avait choisi le lieu, l’écrivain l’investit totalement ; il y accrocha des tableaux, originaux (des toiles de Fautrier, d’autres de Dubuffet, de Braque) et copies (Le Moulin de la Galette de Renoir), y ajouta des œuvres d’arts premiers.

Il faut imaginer l’écrivain, à genoux dans son salon, d’innombrables reproductions d’œuvres éparpillées sur le sol, les découpant à l’aide de ciseaux, les classant. Cette scène, décrite par l’auteur, m’a d’ailleurs récemment été confirmée par un commissaire-priseur fort érudit avec lequel je donnai une conférence sur Gustave Courbet et qui avait travaillé avec Malraux dans sa jeunesse.

Françoise Theillou, qui, cela se sent, se passionne pour son sujet, a mené l’enquête auprès des proches de Malraux et effectué de sérieuses recherches. A travers la maison (dont les plans et des photographies, y compris de l’intérieur, figurent dans le cahier d’illustrations), elle aborde surtout la vie quotidienne et assez austère de ses habitants, le travail de l’écrivain dont elle dessine un portrait attachant, les succès et les drames qui se succédèrent durant près de vingt ans. Le dernier, un attentat à l’explosif de l’OAS en février 1962, obligea Malraux à quitter son hâvre boulonnais.

Agréablement écrit, ce livre, complété d’une notice biographique de l’architecte Courrèges, d’une bibliographie et d’un index alphabétique, offre un intéressant éclairage sur l’homme de lettres en nous montrant tout simplement l’homme, dont l’intimité finit par se confondre avec celle de cette maison.

Illustrations : André Malraux dans sa maison de Boulogne, photo DR.

Thierry Savatier

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