Manger du chien en Polynesie Francaise ; voilà une pratique qui se poursuit dans certaines îles reculées de Polynésie. Une pratique culinaire étrange et qui attire encore certains touristes y compris des touristes venant de France. Un retour aux sources? Une affirmation identitaire?
Manger du chien en Polynésie, une affirmation identitaire
Dans certaines îles de la Polynésie française, manger du chien pourrait s’apparenter à un retour aux sources.
Un jour de février 2009, le Journal des Femmes a posé la question suivante : quel est le plat ou l’aliment le plus étrange que vous ayez mangé ?
Thierry, de Rouen, répond :
« Une fricassée de chien aux petits légumes. Au cours d’un séjour en Polynésie, dans les îles les plus reculées des Tuamotu et des Gambier ». Il ajoute que c’était « succulent. J’ai même eu l’occasion d’en remanger à plusieurs reprises. (…) Cela ressemble à du veau ».
S’ensuit une bordée de commentaires, dont certains virulents à la sauce tricolore, pour ou contre cette pratique culinaire que je croyais être uniquement une spécialité de certains pays asiatiques.
Oui, j’atteste ici pour l’avoir constaté de mes yeux et via mon odorat, que manger du chien est toujours au menu au Vietnam, aux Philippines, en Chine (bien entendu) et en Corée.
La veille, le chien qui rôtit dans le jardin d’une petite maison sur l’île de Mindanao aux Philippines, hurlait à la mort.
Avertissement : certaines photos peuvent heurter les âmes les plus sensibles. Elles ne sont présentées que dans le but d’informer et d’illustrer le terrible sort que peuvent encore subir les chiens en Polynésie française.
Je n’y ai jamais goûté.
Bientôt, c’est Noël et l’on va fêter enfin la fin de l’année 2012, celle de la fin du monde si l’on en croit les gazettes. Les étals de nos boucheries et de nos grandes surfaces exhibent ce bon vieux foie gras bien de chez nous, controversé dans bien des pays. Chaque année, on y a droit. Des reportages gastronomico-culturels vantant le gavage, la tradition ancestrale, le savoir-faire inégalé, l’importation de foies frais de Hongrie ou de Roumanie pour faire face à la demande. D’autres ripostent en donnant la parole à des consommateurs courroucés qui s’étranglent de fureur sur cette pratique ignoble infligée aux gallinacées de France, de Navarre ou d’Europe de l’Est.
Donc, dans certaines îles de Polynésie française, on mange du chien. Le raccourci est donc limpide : les Français mangent du foie gras et certains Français insulaires (pas beaucoup) consomment du chien.
Mais c’est interdit en Polynésie française, la loi réprouve cette dégustation culturellement incorrecte pour le législateur. Alors on le mange en catimini, derrière des haies verdoyantes, notamment lors des anniversaires ou des grandes occasions.
C’est une pratique ancienne qui remonte à l’époque pré-européenne. Le résumé d’une étude intitulée « Manger du chien à Tahiti, une affirmation identitaire » l’affirme.(1)
La rareté des animaux terrestres, l’importance symbolique conférée à la viande rouge et la stratification sociale marquée par des interdits alimentaires nombreux, ont fait du chien un aliment de choix dans l’ensemble de l’aire polynésienne avant l’arrivée des Européens. Mais le chien n’était pas mangé par tout le monde. Réservé à l’élite, c’était un un aliment destiné aux dieux et à la consommation rituelle.
Les missionnaires anglais et français ont mis le holà. La loi leur emboîta le pas. Mais « malgré les nombreux changements qui ont marqué l’évolution de la Polynésie française au cours des deux derniers siècles et le discrédit porté sur le chien comme aliment, la consommation de chien est occasionnelle mais toujours présente dans la population locale », dixit l’étude. Selon elle, on mange du chien à Tahiti et Moorea. Mais comme l’indique Thierry de Rouen, on le mange aussi aux Tuamotu et dans l’archipel de Gambier.
Il est interdit de manger du chien en Polynésie mais la pratique continue (photo tirée du site de protection des animaux en Polynésie française)
La préparation d’un plat à base de chien fait l’objet d’un choix raisonné de l’animal destiné à être abattu, d’un apprêt préalable et d’un mode de cuisson particulier.
Beaucoup de Chinois vivent en Polynésie française, et l’on pourrait penser que ce plat leur plaît. C’est ce que semble indiquer cet article. «Le chien cuisiné est un plat prisé au fenua, notamment par certains asiatiques. Bien que cela puisse choquer certaines sensibilités, il faut savoir que le saladier de chien cuisiné se vend 5.000 Fcfp ». Toutefois, un lecteur indique que ses voisins qui ne sont pas des asiatiques en consomment régulièrement, malgré l’interdiction.
Dans un texte visiblement rédigé par un Coréen en réponse à la campagne de boycott de produits sud-coréens lancés en 2002 par Brigitte Bardot, nous apprenons comment le chien est « apprêté » avant d’être mangé. Le texte cite Mavin Harris qui a écrit un grimoire sur la question. Même si la traduction est approximative, la cruauté qui s’en dégage donne froid dans le dos.
« Les habitants les nourrissent de poisson et de pâte en légume pour avoir la viande de bonne qualité. (…) Le chien est, après [avoir]enlevé l’intestin, nettoyé, brûlé pour ôter les poils, couvert du sang qui était pendant ce temps dans une coquille de coco et enfin rôti dans un four en terre. »
Alors pourquoi en cette fin du monde, certains Polynésiens consomment-ils encore du chien ?
L’étude évoque la Culture. « Réprouvée par la population d’origine métropolitaine et par les autorités politiques, la viande de chien constitue un des marqueurs gustatifs ethniques au fondement d’une identité ma’ohi en pleine reconstruction. »
En France, on a les cuisses de grenouille, les escargots, le foie gras et le cheval, autant de produits du terroir peu prisés à l’étranger. On y mange même notre emblème national, le coq. On y a aussi mangé du chien.
Ouverture à Paris de la première boucherie canine en 1910
Maintenant, on sait qu’on en mange également, marginalement, dans notre belle France des confins du Pacifique. Pour des raisons culturelles, c’est entendu.
Mais aussi et surtout parce que pour ces quelques riches gourmets insulaires, très minoritaires, le chien, c’est bon. Tout simplement.
(1) « Manger du chien: une affirmation identitaire? » Conférence: Journées d’études « Viandes et sociétés: les consommations ordinaires et extraordinaires », Paris. 2008.
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