L’accordeur de silences (Jesusalem) est un roman de Mia Couto, auteur mozambiquais d’origine portugaise et descendant de colons. Mia Couto plonge le lecteur au coeur d’un Mozambique dévasté par les guerre, dans un monde de désolation où cinq hommes ont établi un camp isolé de tout.
Littérature africaine : L’accordeur de silences de Mia Couto
Une famille uniquement masculine, le père, ses deux garçons, un domestique et, épisodiquement, un oncle s’exile dans la forêt mozambicaine, dans un ancien camp militaire, Jesusalem (Jésus et alem, au-delà) comme le père l’a baptisé, où Ils doivent construire un monde nouveau vierge de tous les vices que l’ancien connaissait. « A Jesusalem, il n’y avait pas d’église, pas de croix. C’était dans mon silence que mon père érigeait sa cathédrale. C’était là qu’il attendait le retour de Dieu ». Le père perd un peu la tête, il ne se remet pas de la mort de sa femme, se comporte comme un véritable dictateur, décrète que le monde a disparu, qu’ils sont les seuls survivants de l’humanité, qu’il n’y a plus de passé. Il entraîne ses deux garçons dans cette réclusion pour fuir le monde, la guerre et ses malheurs, il quitte la ville croisant les gens qui fuient les campagnes ravagées par la guerre.
Le père ne sait pas aimer ses enfants qu’il emporte dans sa folie destructrice, les traitant sévèrement, comme un dictateur d’opérette. Le cadet des fils, le narrateur, apprend à lire sur des manuels militaires russes et à écrire sur les espaces vierges d’un jeu de cartes à jouer, en cachette du père qui ne veut pas que ses fils connaissent le passé, le monde extérieur, l’existence et la mort de leur mère. « Les Ventura n’avaient ni avant ni après ».
Il n’y a pas de femme au campement, la seule femelle est une ânesse qui satisfait les mâles besoins du père, jusqu’au jour où une femme blanche s’introduit dans le campement, dans ce monde d’hommes reclus, retirés du monde, recherchant le mari qui l’a abandonnée depuis longtemps déjà. Le huis clos est ainsi brisé, il y a un monde extérieur avec des femmes, des femmes dont le fils aîné a tellement envie et peut-être même besoin. L’exode n’a plus de sens, la famille regagne la société et les problèmes qu’elle y a abandonnés. « ….la laborieuse construction de Sylvestre Vitalicio volait en éclats. Finalement, il existait bien dehors un monde vivant et l’un de ses envoyés s’était installé au cœur de son royaume ».
Cette histoire un peu rocambolesque, à la limite du roman fantastique, fortement allégorique et symbolique est avant tout une ode à la beauté originelle d’un pays massacré par la folie des hommes, mais aussi une condamnation de la dictature et des pouvoirs autoritaires, un voyage initiatique vers un retour à une africanité mâtinée de saudade portugaise. Un texte qui traite de l’apparence des choses et des personnages (les faux noms par exemple) qui masquent une réalité que le père ne veut pas, ne peut pas, assumer cherchant à constituer un monde faux plus vraisemblable que le monde réel trop incroyable, trop inacceptable, qui l’a vécu.
Ce roman entre la légende et le conte africain, entre le témoignage et fiction fantastique, construit sur un échafaudage de paradoxes, d’oxymores, d’images, d’allégories, d’aphorismes, révèle une grande voix qui s’élève au sud-est de l’Afrique, une voix qui recrée une langue portugaise accommodée à la sauce mozambicaine, une langue poétique, riche, flamboyante pour un texte puissant, jouissif et novateur.
Genre : Roman – Littérature africaine Mozambique
Auteur : Mia Couto Titre français : L’accordeur de silences (Jesusalem, titre original)
Traduit du portugais Mozambique par Elisabeth Monteiro Rodrigues.
Editeur : Métailié
Parution : 25 Août 2011 Prix editeur : 18€53
Pages : 240p. |