Y a-t-il dans ce monde un Prince qui gouverne qui n’ait dans ses projets la création d’un musée ? Pour ne regarder qu’en France, Pompidou a fait Beaubourg, Giscard d’Estaing Orsay, Mitterrand le Grand Louvre, Chirac Branly… Et Sarkosy travaille sur son musée de l’Histoire de France… (Ce sont des réalisations de l’époque « Avant Bilbao ».) Et la fréquentation suit : succès garanti ! Politiquement c’est porteur.
Mais il y a aussi l’après Bilbao ! Depuis la réalisation architecturale remarquable de Franck Gerry on construit des musées, non plus pour y exposer des œuvres, mais pour eux-mêmes : le musée est dédié à lui-même, œuvre d’art conçue d’abord pour elle-même comme une sculpture. Et si le nouveau musée abrite quelques expositions temporaires d’Art contemporain, éventuellement complétées par de gigantesques installations (comme les plaques d’acier d’Usinor – signées Serra – qui occupent le grand hall du Guggenheim de Bilbao), ce n’est que concession à la tradition. L’important c’est l’œuvre architecturale elle-même dont l’originalité, l’audace et les prouesses techniques se doivent d’épater le monde – et attirer le chaland – pour la plus grande gloire du commanditaire, des mécènes et des heureux donateurs anonymes ; ce qu’on y présente est finalement secondaire, et on a parfois le sentiment qu’on ne sait trop qu’y mettre. Mais il y a des variantes, l’imagination des conservateurs semble inépuisable : à Dubaï on refait un Louvre (ce qui permettra de sortir quelques pièces des réserves parisiennes) ; ailleurs c’est un néo-Beaubourg ; des Guggenheim il y en aura pour ceux qui en veulent (et peuvent se les payer), etc.
Et malgré ce foisonnement de projets, il me semble que l’on passe à côté d’un problème important qui est celui de la présentation des œuvres majeures (peinture et sculpture) au plus grand nombre. Si l’on s’en tient, à titre d’exemple, aux seuls musées du Louvre, du Prado, de la Sixtine et des Offices, il est évident que l’on ne peut que souhaiter que tous les habitants de la planète y passent un jour pour voir les authentiques chefs-d’œuvre des grands maîtres. Voir les œuvres qui y sont exposées, telles qu’elles sont (c’est-à-dire à échelle 1), c’est une autre perception que celle que peuvent donner des reproductions de la taille d’affiche ou de cartes postales, notamment pour des peintures de grande dimension ; si l’on peut avoir des reproductions commerciales à échelle 1 pour des Vermeer (tableaux de petits formats) cela est impossible pour des tableaux de grande dimension comme La Fusillade de Goya, par exemple. Ce n’est pas tant le regard porté sur l’original qui fait l’émotion que celui qui le fait de voir l’œuvre dans sa vraie dimension. Une reproduction en 20×30 centimètres de ce dernier tableau peut être considéré comme une injure au peintre et à la peinture. Cela s’applique évidemment à des œuvres récentes : par exemple l’immense One : number 31 de Pollock qui fait 2,7×5,3 mètres ne se laisse pas regarder sous forme d’affichette ; le choc de l’original ne tient pas seulement au fait qu’il s’agit de l’original (en dehors de spécialistes) mais bien dans sa dimension vraie, tel qu’il est exposée au MoMa de New York.
Par ailleurs quel que soit le musée concerné, il est impossible d’y accueillir un trop grand nombre de visiteurs – question de taille de l’édifice et de bonne conservation des œuvres. La fréquentation est donc limitée : la Sixtine ne peut voir passer sous ses voûtes toute une génération ! C’est ce que les conservateurs de Lascaux ont constaté en relevant que le passage des visiteurs avait un impact sur les peintures rupestres : la formation de champignons, l’altération des dessins etc. résultaient de la trop grande fréquentation du site. Le site a donc été fermé après qu’une copie en vraie grandeur en eût été faite : la visite continue !
Pourquoi ce qui a été fait à Lascaux ne pourrait-il pas l’être pour des œuvres majeures ? C’est-à-dire l’exposition, dans des musées spécialement construits pour cela, des copies – à échelle 1 – des ces peintures et sculptures des grands maîtres. On dispose des techniques pour réaliser de très bonnes copies à des coûts relativement bas. Pourquoi ne pas refaire le plafond de la Sixtine sur une voûte construite pour sa copie ? Et ainsi d’autres œuvres considérées comme majeures. Economiquement c’est jouable.
Le « Musée des Chefs-d’œuvre » – le musée des copies -, voilà bien un complément aux grandes institutions que sont le Louvre, le Prado etc. Des études de marché diront à quelle taille de ville répond un tel investissement culturel. Des villes de plus d’un million d’habitants, il y en a plus de mille dans le monde ; cela fait beaucoup de musées ! Bien sûr ces musées constitueront un réseau et les œuvres circuleront des uns aux autres… (il faut s’en remettre à l’imagination des conservateurs). Et la grande peinture, la grande sculpture seront, sinon accessible à tous, du moins offertes à beaucoup ! Culturellement c’est positif.
Et cela donnera aux architectes du grain à moudre et satisfera le goût du Prince pour la chose, en plus des réhabilitations forcément bienvenues, comme celles faites par François Pinault à Venise, par exemple, pour exposer sa collection d’Art contemporain. Et ce qui en passera à la postérité rejoindra le réseau des « Musées des Chefs-d’œuvre », éternellement ouvert sur la création.