Les enfants de Nassau, îlot coralien dans les îles Cook, ont-ils encre un avenir? Ces enfants des îles lointaines vivent au bout du monde ; un bout du monde qui est pour eux le centre de tout…
Iles lointaines : l’avenir des enfants de Nassau
Venus dire au revoir à leur institutrice, les enfants de l’île de Nassau nous ont accueillis dans leur île microscopique.
L’institutrice est en route pour Rarotonga. Elle quitte Nassau pour au moins un an.
Tout est minuscule sur l’île de Nassau, aux îles Cook. L’île n’est qu’un îlot corallien de 1,3 km². Couvert de palmiers, il est situé à 88 kilomètres au sud-est de l’atoll de Pukapuka (et non à l’ouest comme l’affirme Wikipédia).
C’est le bout du monde. Il n’y pas de port. On est transférés sur l’île par une chaloupe qui danse le yoyo sur l’océan même si ce petit matin est calme.
Il y a 70 habitants en tout. Dont au moins 40 enfants.
Habillés de leur uniforme jaune et vert, ils nous escortent jusqu’à leur école pimpante au milieu d’une lisière.
Ils chantent une chanson de bienvenue, accompagnés de leur professeur principal qui joue de la guitare.
Nous donnons un petit discours pour leur expliquer ce que nous faisons chez eux, si loin de chez nous. Ils écoutent assez distraitement. Même si les visiteurs sont exceptionnels dans cette île, uniquement ravitaillée trois ou quatre fois par an, ils ont entendu parler de la France qui avait dépêché une corvette pour secourir les habitants après le passage du cyclone Percy en 2005. Ils sont propres, bien habillés et très polis, avec un chouïa d’impertinence qui fait sourire.
La Nouvelle-Zélande, l’Australie, la France, oui, ils en ont entendu parler. Mais plutôt vaguement.
Une fille me demande à quoi ressemble la neige. Elle fronce les sourcils quand j’essaie d’expliquer et les lève en l’air quand je baragouine quelque chose qui tente d’expliquer ce qu’est une montagne. A-t-elle des envies de voyage, d’évasion, d’exotisme, d’aller dans des pays différents? Elle me dit non. Elle a envie de devenir institutrice, ou infirmière, pour pouvoir rester ici.
Nassau est à quatre mètres au-dessus du niveau de la mer.
Après, ils entrent à l’école et nous allons faire un tour. Nous ne les reverrons plus. Des cocotiers, quelques rares champs de tarot, une épave enfouie dans les arbres et des maisons pimpantes entourées de débris de coraux blancs composent le paysage de l’île laquelle, vue d’avion, ressemble à un œil de cyclope échappé de son antre.
Notre « guide » fait le tour de l’île. Si un enfant fait une bêtise, il doit nettoyer les chemins, dit-il. Les chemins sont propres comme des sous neufs. Ils doivent donc faire quelques bêtises. Je me demande bien lesquelles.
Je l’écoute distraitement. Que vont devenir ces enfants, si loin de tout, à 1250 kilomètres de Rarotonga, la plus grande des îles Cook?
– Que font les enfants ici ? m’enquis-je auprès de notre guide, un rude gaillard dont le front perle de sueur sous le soleil.
– Ils vont à l’école.
– Et après ?
– Ils font du sport.
– Et puis ?
– Et puis…heu…rien. Ils aident. Ils pêchent. Ils aident aux champs de tarot. Les filles aident leur maman. Ils font des corvées. Les plus grands s’en vont quand ils en ont les moyens. Mais c’est cher. Très cher.
Après, on attend notre compagnon Taichii qui discute avec les anciens de l’île la possibilité d’installer une centrale solaire de plus grande capacité.
On attend tranquillement sous l’ombre diaphane des cocotiers.
Des noix de coco fraîches et jeunes sont décanillées de leur arbre. Le jus fait du bien. On est bien à ne rien faire. On s’en fout si Taichii prend plus de temps que prévu. On n’a pas envie de retourner sur le bateau du capitaine Crouille, nous.
Alors, on papote avec les deux dames qui nous tiennent compagnie. De tout et de rien. De l’isolement qu’elles prennent comme il est, c’est-à-dire une prison de liberté ou une liberté conditionnelle. Des soucis pour les plus jeunes des enfants. L’une d’elles est infirmière, menacée par le diabète, qui explique qu’elle doit tout faire elle-même, de l’accouchement jusqu’à habiller le défunt pour son dernier voyage.
Et les enfants ? Ont-ils envie de partir ? Que font-ils sans ordinateur, réseaux sociaux, portables & Cie ?
Les enfants vont bien. Ils sont en bonne santé. Oui, ils vont parfois à Pukapuka, mais c’est tout. Les réseaux sociaux, pour quoi faire Seigneur ? Il n’y a pas de portable ici. A la limite, il suffit de hausser la voix pour communiquer avec les autres.
Comme tous les insulaires des îles lointaines, celles-ci ne sont pas très bavardes. Elles sourient, oui. Elles répondent oui ou non, mais on ne sait pas très bien si elles ont bien compris le sens des questions. Elles meublent les silences, seulement ponctués par la douce brise marine qui chuchote dans les cocotiers, en tendant une autre noix de coco.
Après, il faut partir. Encore les « please come again ». Encore le yoyo dans la chaloupe. Encore le capitaine Crouille.
Le diesel qui se remet en marche. L’île s’éloigne. Disparait. C’est fini.
Je songe aux enfants dans leur école.
Pour eux, leur île éloignée de tout est au centre de tout.
Après l’école, que font-ils ?
Et que feront-ils demain ?