L’eau monte inexorablement sur la ville. Irène n’en finit pas d’arriver. Pourquoi toute cette attention sur New-York ? New-York n’est pas le centre du monde quand même ! On dirait pourtant que si. Parce que New-York c’est « le monde ».
Je suis venue ici pour rencontrer Agga, un moine birman, j’ai sympathisé avec Chon, un coréen, je tchatche avec Jean-Claude, réceptionniste congolais, je rigole avec une vendeuse portoricaine, c’est une philippino qui me sert mon café, un chinois qui me vend mon parapluie, un mexicain qui nettoie le trottoir, ma voisine de bar est japonaise, le cuistot est anglais, le chauffeur de taxi indien du Pendjab, la femme de ménage qui a fait tomber DSK était guinéenne. Une ville cosmopolite qui n’est pas tout à fait l’Amérique mais plutôt une sorte de capitale mondiale.
Je prends mon petit dej. Au bar de l’hotel, plus sympa que le restaurant sous la verrière. Je suppose qu’elle résistera aux assauts de la pluie et du vent, qu’elle est bien waterproof, mais on n’y est pas à l’abri du crépitement des gouttes qui frappent.
Pourquoi je ne suis pas allée au « Sunak » coréen ce matin puisque c’est ouvert jour et nuit ? La pluie sans doute, mais en courant il faut moins d’une minute pour s’y rendre, donc ce n’est pas vraiment ça….Trois jours de suite on s’est parlé le coréen et moi… Lui avec son air sévère qui ne sourit pas, avec son regard attentif en permanence sur le personnel mexicain et le jeune coréen qui tient la caisse. Moi, la voyageuse décontractée même lorsqu’elle pète de trouille… ma désinvolture, mon œil intéressé par tout ce qui est « différent »… Conversations banales, sur le coin d’un tabouret et d’une table face à la rue qui s’éveille. A chaque fois il est entre 5 h.30 et 7 heures du matin. Chon m’empêche d’écrire mais je ne vais pas laisser passer une occasion de comprendre quelque chose à cette ville particulière, vue à travers le regard de cet homme concentré, posé, scrutateur.
Hier, troisième jour, Chon me demande d’entrée de jeu : « Vous voyagez seule ? (question d’asiatique, même s’il est américain depuis 13 ans). J’explique : mon choix, petit ami thaïlandais etc… et le coréen glisse vers les confidences : « J’ai tourné le dos à la Corée il y a 13 ans. Suis divorcé depuis 13 ans. Tourné le dos à ma vie passée. A mon ex-femme. Tourné le dos aux femmes. Ici je travaille, je dors, je travaille, je dors…c’est New-York. La ville la plus froide du monde. Impossible de se créer de vraies relations ici. D’ailleurs je n’ai pas eu une seule relation avec une femme depuis 13 ans. Les femmes, c’est fini, j’ai donné »
Bon, j’ai le chic pour susciter les confidences. Si je suis bavarde, je suis aussi bonne « écouteuse »… et puis je ne le vois pas venir… ça glisse vers…. « Vous êtes seule pendant ces heures d’attente et d’angoisse durant le cyclone. J’arrête mon travail à 13 h et ne reprend qu’à 7 heures du soir. Je ne peux pas rentrer chez moi… plus de transport. Vous n’avez rien de spécial à faire non plus ? On pourrait rester ensemble l’après-midi » et…le plus touchant : « Nous sommes des êtres humains après tout, ce serait mieux d’être à deux ». Je lui ai dit au revoir. Il m’a dit « à tout à l’heure, midi ». J’ai répondu par un sourire. What else ? (dirait Clooney)
Je ne suis pas retournée à « Sunak »… Alors petit-déj à l’Holiday Inn, dans le bar à la joyeuse ambiance, quoiqu’un peu électrique : deux serveuses de nationalités différentes ont failli se crêper le chignon devant quelques clients médusés. La pluie tombe depuis 10 heures, la mer monte, un coréen est sûrement triste, je suis désolée… c’est New-York après tout ! Une ville pas comme les autres.
Du bleu au safran à New York
La ville est devenue bleue après les assauts du typhon Irène. Un bleu profond, presque excessif. Une vapeur semble s’échapper des gratte-ciels. Décalage entre leur froideur sévère et lisse, leur fierté provocante comme des lames tranchant les profondeurs vaporeuses du ciel lavé par le typhon au non féminin. « Irène moins terrible que ce que l’on imaginait mais qui laisse des blessures derrière elle » annonce les vendeurs des journaux noirs dans les rues de Manhattan. Armageddon ce n’est pas encore pour cette fois.
Ce qui est angoissant à New-York ce n’est pas la foule ou la masse des new-yorkais en mouvement perpétuel, de jour comme de nuit, ni la hauteur impressionnante de ses buildings qui vous rabaisse au rang de nain, bien au contraire, c’est le vide qui vous embarrasse, vous met mal à l’aise au point de provoquer un oppression quasi insupportable. New-York privée du grouillement de sa population vous étouffe de son vide, vous étreint de son néant et ce n’est plus New-York. Le typhon pendant deux jours a siphonnée la vie d’une ville qui avait la prétention de ne jamais dormir. Vrai pour les « Deli » ouverts 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Pour les métros qui fonctionnent sans interruption. Pour la bouffe offerte à tous les coins de rue et à toute heure. Des laveries qui tournent nuit et jour.
Une ville toujours prête à produire, prête à rire dans ses bars ouverts et assourdissants où il faut crier pour se faire entendre. Cette ville où tout est trop grand. Regarder les pieds des mecs dans le métro m’a fait frémir. Le 43 me semblait taillée pour des géants européens, ici le 49 n’est qu’une moyenne banale. Ce gigantisme n’a pas que du mauvais. Vivant une partie de l’année à Chiang Mai et m’habillant en XL thaïlandais, j’ai ici rétrogradé au « Small » tendance « Xsmall ».
La vie a enfin repris après deux jours de confinement forcé. Comme avant, comme si rien ne s’était passé. Une vie plutôt bien huilée. On se repère facilement à New-York avec la numérotation des rues et des avenues. Une circulation avec feux rouges à chacun des croisements. Les files sages aux caisses. Pas de bousculades. Bonjour, merci, au revoir. « How are you » ? Questions qui n’attendent surtout pas de réponse. Personne ne vous écouterait si vous vous mettiez à raconter vos malheurs, les comptes rendus de votre dernière mammographie ou l’évolution de votre rhume attrapé lors de votre dernier week-end à long Island.
Dans le métro, sur la ligne qui descend de Manhattan jusqu’au sud de Brooklyn, je comprends d’un coup pourquoi il y a quelques jours, on demandait à mon ami Agga – jeune moine birman – où il avait acheté son « déguisement ». Lui avec sa robe orange de bouddhiste, son épaule nue et ses tongs aux pieds, semble vraiment porter un déguisement, comme celui des noirs aux accoutrements les plus farfelus, les plus époustouflants, à la limite de l’effrayant. La silhouette fluette d’Agga se promène à l’aise et indifférente au milieu de la masse d’obèses dont je n’imaginais pas à quelle point elle était effrayante par son nombre et sa monstruosité rarement vue en France.
Je rencontre U Pyinya Zawta le directeur de « All Burma Monk’s Alliance » au Metta Parami Monastry du sud Brooklyn. On parle de la Birmanie et de la comédie d’ouverture jouée par le gouvernement nouvellement élue. 40 des moines qui ont participé à la marche pacifique pour la démocratie à Rangoon en 2007, se sont retrouvés aux Etats-Unis dont 7 seulement ont pu garder leur statut de moine. Agga, Pyinya et Gawsita ont donné des conférences dans les plus prestigieuses universités américaines : Harvard, Columbia. Actuellement, il y aurait environ 450 moines dans les prisons de Rangoon. D’autres se cachent toujours sous des vêtements civils, quelques-uns ont eu la chance de s’échapper et vivent aux Etats-Unis.
« Tu es venu me voir ici à New-York c’est une première étape, maintenant je serais très touché si tu pouvais accomplir une deuxième étape : celle d’aller voir ma mère dans un village près de Pagan en Birmanie. Depuis 2007 je n’ai jamais pu l’entendre au téléphone directement. Je dois passer par des intermédiaires. Je ne peux pas lui écrire non plus, il n’y a pas de distribution de courrier dans les villages. Et si tu vas la voir montre lui toutes mes photos et dis-lui que je vais bien. Mais fais-attention ne dis mon nom à personne, ce serait trop dangereux pour elle.
New-York est bleue, et dans un tout petit endroit perdu au fond de Brooklyn, elle a aussi un peu de couleur safran.
L’histoire d’Agga Nya Na et son lien à New York
« Insomnie, sommeil cassé »
« 6 heures du mat’ j’ai des frissons », non pas de froid, il fait plutôt déjà lourd sur NYC mais après avoir regardé les infos en continu a la TV : évacuation, état d’urgence etc… En fait, pour moi tout a commencé hier. Dans le hall de l’hotel je croise un type avec un tee-shirt « Europe 1 ». Je l’arrête. On bavarde. Il était là pour qui ? DSK of course, mais rentre sur Paris 1) parce que DSK a un rendez-vous « privé » avec le patron du FMI, donc aucune information ne filtrera, 2) l’ouragan arrive, alors mieux vaut rentrer. Quoi l’ouragan ? C’est sur la Floride ? Oui mais il monte sur New-York. Merci Europe 1, jusque-là je ne m’étais pas intéressée aux infos locales.
Un peu plus tard, c’est l’arrivée d’Agga Nya Na à l’hotel. Je sors de l’ascenseur, je le vois, lui et son épaule nue et sa robe orange comme un soleil au milieu du hall. Il a l’air un peu paumé. Il me cherche du regard et me reconnaît. Un soleil sa robe ? Ben son sourire alors ! Un éclair qui zèbre le ciel sur un fond sombre d’orages à venir. On rit. Un p’tit bout d’Asie ici. Faut s’asseoir tout de suite pour parler, pas question de sauter dans un métro ou un taxi ou de se perdre dans la foule. Il est trop content et avide de parler. Le Holiday Inn a une petite terrasse sur la rue. ON s’installe, on nous regarde. La blonde là (on me prend toujours pour une américaine) avec le petit bonhomme binoclar et sa drôle de robe orange. Ils ne sont que 2 moines de Birmanie logés dans une maison qu’on leur a prêtée à Brooklyn, une sorte de havre dont ils ont fait leur mini monastère.
Et il raconte…- autant par nécessité que parce que c’est plus facile de parler que d’écouter – avec son accent impossible : Son long chemin, son engagement la fuite dans la jungle, la Thaïlande, la peur des espions birmans infiltrés partout à Mae Sot, la police thaïlandaise qui leur demande (ils sont quelques-uns refugiés dans cette ville-frontière) de faire profil bas à cause des intérêts communs entre les deux pays. Business avant tout.
Il parle, tout juste ai-je quelques petits espaces pour poser une question. Lorsque je fais une phrase trop longue il me fait répéter, alors je le laisse raconter.
-Aung Sang Su Kyi ? Le rapprochement avec le nouveau gouvernement en place ? « Bull sheet », du vent. » « Pourquoi » ? « Comme tu le sais, les journalistes occidentaux devraient mieux s’informer. Les birmans briguent la présidence de l’ASEAN l’année prochaine alors il faut faire semblant. C’est le jeu. Rien de plus. Uniquement de la frime, du vernis. Du tape à l’œil. Faire bonne figure pour la communauté internationale pour obtenir ce poste à tout prix. Rien d’autre”.
En son temps, Agga a été une sorte de personnalité avec le Haut-commissariat à l’Onu et les ONG internationales, il était le seul moine à parler anglais. Leur interprète.
Retourner un jour dans son pays ? Oui. Dans sa famille, il en rêve.
On va enfin marcher dans la ville, prendre le métro. « Comment te regarde les gens » ? Oh ! c’est New-York, pas l’Amérique. Un homme vient vers Agga, lui sert la main chaleureusement. « Congratulations » j’ai enseigné l’anglais à des moines en Thaïlande » !
« Lorsqu’on me parle, on me dit « bravo pour le Dalai Lama », les gens ne connaissent pas vraiment le bouddhisme. Il pleut, on cherche à s’abriter sous le parasol d’un parc. Pas moyen. « Non, on n’ouvre pas les parasols à cause des vents. Trop dangereux ».
PS J’ai acheté des chaussures de sport eh oui, je ne suis pas Carrie Bradshaw, les stilettos ce n’est pas pour moi. Elles me font encore plus mal que les anciennes. Bon si je “suis” bien la mété :, soit on reste planqués a l’hotel, soit il faudra nager ! Alors on verra bien
Monastère ou prison ?
Qu’est-ce qui relie Agga à son pays sinon le fil de ce récit qui le hante et qu’il a répété maintes et maintes fois aux représentants du Congres américain, aux journalistes, aux étudiants des universités où ils sont invités, U Pyinya et lui ? Chaque instant est gravé dans sa mémoire.
Donc, après des jours, moines et étudiants ensemble, marchent dans les rues de Rangoon, sous l’œil de la junte médusée qui n’a pas encore réagi. Et qui ne leur a même pas barré le chemin jusqu’à leur ennemie jurée de toujours : l’icône de la lutte pour la démocratie : Aung San Suu Kyi. Une situation qui bien sûr ne pouvait pas durer.
« Le 23 septembre, alors que nous cherchons à rejoindre sa maison, les militaires nous barrent le passage. Ils sont nombreux autour de sa maison, Nous décidons d’aller marcher plus loin, A présent, les civils se joignent à nous. Nous sommes de plus en plus nombreux. Le 25, les militaires imposent le couvre-feu, un couvre-feu annoncé par la télévision d’état et qui recommande vivement aux gens d’arrêter de défiler. La nuit tombée, des tanks sont postés tout autour de la ville, hurlant à travers leurs haut-parleurs « qu’il y a une loi qui interdit a plus de 5 personnes de se réunir, A quelque endroit que ce soit, à quelque heure que ce soit ».
En arrivant au temple Shwedagon le 26 septembre, les soldats sont déjà là. Ils nous disent qu’ils ont ordre de tirer sur tous ceux qui défilent. Ils demandent : « Vous préférez retourner dans vos monastères ou aller en prison » ?
La situation etait très tendue et nous nous attendions à ce que quelque chose explose. Notre leader tenta une négociation tandis que nous continuions de prier. Les soldats essayèrent de nous disperser en lancant de gaz lacrymogènes. Je m’enfuis vers le lac Kandawgyi suivis d’autres moines. J’avais le visage en feu. Des gens nous donnèrent de l’eau.
Nous nous remettons en route en deux groupes, l’un marchant vers Rangoon ouest et l’autre vers la rue Anawattha et Sule. Des moines avaient été battus et arrêtés. A Sule, les soldats avaient installé des barrages et nous attendaient armés. Ils tiraient sur les immeubles pour nous intimider mais nous étions environ 1500 et nous continuèrent de marcher jusqu’au soir. Toujours en psalmodiant : « Que tous les peuples de l’univers soient libres, délivrés de toute peur ». La nuit suivante j’appris que des soldats avaient fouillé le monastère de mon ami au milieu de la nuit et qu’ils avaient battu des moines. Je tentais de me rendre à l’intérieur pour savoir comment allait mon ami… les soldats étaient toujours là.
« Tu comprends » me dit Agga, « nous sommes un pays bouddhiste, les militaires ne pouvaient pas forcer la porte des monastères et arrêter des moines. Les moines sont respectés par tout le peuple mais je savais que les militaires n’étaient pas de vrais bouddhistes, ils voulaient simplement garder le pouvoir et se prétendaient bouddhistes uniquement pour plaire au peuple. S’ils avaient été de vrais bouddhistes ils ne se seraient pas conduit de cette façon. Même lorsque nous étions sous la domination britannique, ces colonisateurs n’ont jamais été aussi brutaux que les militaires et jamais ils ne violèrent nos monastères. Jusqu’à ce jour je ne sais toujours pas ce qui est arrivé à mon ami…
De retour au monastère, nous nous réunirent pour savoir quelle attitude adopter. Nous avions peur. Nous parlions avec les étudiants et leur demandâmes de nous prévenir si les soldats arrivaient. J’appris plus tard que des moines continuaient de défiler, que des gens avaient été abattus et qu’un journaliste étranger avait été tué… »
Illusion de liberté
Je lisais récemment dans le Herald Tribune, qu’en Birmanie, des jeunes, bâillonnés par la dictature, devenaient de véritables hooligans dans les stades « parce que là, nous sommes libres de crier ce qu’on veut ». Le prix d’entrée est volontairement maintenu bas par le gouvernement (1/2 euro) « pour laisser échapper la vapeur ». L’illusion de la liberté avec des cris « va te faire f… » ou le lancer de bouteilles sur les arbitres. Tout plutôt que de crier « Démocratie ».
En 2007 et encore aujourd’hui, réclamer la démocratie est puni d’emprisonnement, Agga s’est réfugié dans un temple en cette fin de septembre 2007. Une nuit, des civils viennent le prévenir qu’il doit se cacher : « Alors, j’ai quitté la robe » dit Agga « et je l’ai changée contre un « longyi » et une chemise et me suis caché dans les buissons aux alentours du monastère, C’était la pleine lune et je pouvais distinguer les patrouilles de soldats. Des moines s’étaient cachés dans les arbres, d’autres dans les plafonds du temple, moi j’étais dans les bosquets sans me rendre compte que j’étais bouffé par les moustiques et les sangsues. Le lendemain matin le sang coulait sur mes jambes. Je trouvais refuge dans une maison amie non loin de la gare et après 2 jours je réalisais que non seulement je n’étais pas en sécurité mais que je mettais mes hôtes en danger. Un ami m’offrit un ticket de bus pour aller jusqu’à Hpa-An dans l’état Karen. Arrivé là, je revêtais à nouveau la robe et restais 1 mois dans ce monastère de village.
Les militaires continuaient de fouiller les monastères, principalement ceux de Rangoon. Je décidais alors de fuir en Thaïlande. J’arrivais à Mae Sot en novembre ou j’étais accueilli dans un monastère thaï. Il y avait déjà des moines birmans dans ce temple ou l’on me suggéra d’échanger la robe rouge birmane contre l’orange thaïlandaise. Des militants me recommandèrent de contacter le Haut-Commissariat aux réfugiés (UNHCR) afin d’obtenir le statut de réfugié. Ils m’accueillirent dans leur maison ou vivaient déjà 3 autres moines.
D’autres moines continuèrent d’arriver jusqu’à fin décembre. Certains avaient trouvé refuge en Inde, d’autres au Bengladesh, d’autres étaient restés en Birmanie ou ils avaient été battus et emprisonnés. Après 2 mois on me demanda si j’étais d’accord pour témoigner devant une délégation du congrès américain à l’ambassade des Etats-Unis de Bangkok. Je choisis 2 autres moines qui avaient été témoins des évènements à Rangoon et nous avons témoigné devant 12 représentants qui enquêtaient sur les évènements de Birmanie. Un officier de l’ambassade nous proposa de venir vivre aux E.U. J’y suis arrivé en janvier 2009. De tous les amis qui sont entrés au monastère avec moi en 1988, je suis le seul qui n’a pas échangé la robe contre des vêtements civils. J’ai entendu dire qu’il y avait encore de nombreuses restrictions sur la « Sangha » (Communauté des moines bouddhistes) en Birmanie. Je suis triste pour eux. Nous vivons ici dans la liberté.
Ce qui a changé ? Depuis 2007, la communauté internationale est mieux informée de la brutalité du régime militaire birman. Je suis heureux de pouvoir parler librement ici. En Birmanie nous ne le pouvons pas. Tout le temps que je serai vivant je me battrai pour la liberté et la justice dans mon pays
Beaucoup pourrait me demander s’il est facile de se promener en tenue de moine dans les rues de New York… Au moment d’acheter nos tickets pour la statue de la liberté, la fille du guichet salua Agga d’un « Namaste » (salut en Inde), certains dans la rue lui demandaient s’il était un moine kung-fu (référence aux moines Shaoling chinois), d’autres criaient « Vive le Dalaï Lama !» Le plus amusant est ce noir, chargé de la sécurité dans un magasin, qui demanda très sérieusement à Agga « où il avait acheté son déguisement ». Beaucoup s’inquiétaient de savoir s’il s’habillait de la même façon en hiver (Il fait très froid à New York en hiver).
Depuis 1 semaine Agga a rejoint l’université et il est en train de chercher un vélo afin de pouvoir s’y rendre de façon plus confortable qu’en métro et bus. Bon courage Agga mon ami qui marchait si vite dans les rues de Manhattan tandis que je plantais mon objectif sur les murs lisses et fiers des gratte-ciel, et avec qui j’ai fait 2 heures de vélo dans Central Park. Je n’oublierai jamais cette semaine à New York et pas seulement a cause de cette p… d’Irène !
Irene, dépêche toi qu’on en finisse
En rentrant après une longue journée de marche avec Agga, moine birman réfugié aux States, pour cause de « révolution safran » en 2007 à Rangoon et après la visite (obligatoire) à la statue de la liberté (contrôle aussi strict que dans les aéroports), enfin, après un trip de 70 étages en 57 secondes montre en main, au Rockefeller Center et un coup de soleil sur le ferry… je trouvais le message suivant glissé sous la porte de ma chambre d’hôtel :
« Nous vous informons qu’un ouragan arrive sur NYC et les environs dans les 36 heures à venir. Nous vous recommandons – si vous en avez les moyens – de quitter l’hotel et de vous reloger dans une région qui ne sera pas affectée par la tempête. Si vous désirez un moyen de transport, vérifiez maintenant vols, bus ou trains, ou location de voiture pour cette opération. Si vous ne pouvez pas quitter l’hotel, sachez que l’hotel restera opérationnel mais avec des services réduits pendant la durée de la tempête, à moins d’une évacuation obligatoire décidée par les autorités afin de rejoindre un endroit plus sûr. Soyez prévenue qu’il y aura des vents violents et des pluies très fortes qui pourront provoquer des dégâts. L’hotel déterminera quels services resteront effectifs pour assurer votre sécurité pendant la durée de la tempête. Nous aurons un service d’étage limité pendant toute la semaine, et nous ne changerons pas les serviettes de toilettes. Nous vous informerons de tout changement ou informations de la part des autorités fédérales concernant l’ouragan Irène. Les télévisions locales diffuseront des informations point-par-point »
Plutôt effrayant, même si des nouvelles rassurantes (« cet ouragan ne serait plus que de force 1 » !) alternent avec d’autres, beaucoup plus inquiétantes au fur et à mesure que la journée et maintenant la nuit avancent. Cette apparence de non danger, après des jours de mises en garde, pousse de nombreux curieux à se promener dans les zones déclarées dangereuses : le sud de Manhattan entre autre. Je suis sur Chelsea, juste au-dessus. Pas d’évacuation obligatoire pour le moment.
La veille, alors que déjà Irène frappait dans des zones plus au sud des Etats-Unis, le temps était beau sur New-York et je me promenais avec mon ami Agga. Un moine bouddhiste en robe safran dans la ville de New-York, ça soulève la curiosité forcément. « Des » curiosités devrais-je dire : de « namaste» (salutations bouddhistes en Inde), à « bravo pour le Dalaï Lama », à « êtes-vous un moine kung-fu » ? Le plus drôle se déroula dans une boutique où j’hésitais à entrer en compagnie d’un moine, mais Agga me dit : « pas de problème je te suis ». Nous nous apprêtions à sortir un peu plus tard, lorsque le garçon de la sécurité, un géant noir, tel un joueur de base-ball professionnel, arrêta mon ami et lui demanda : « où as-tu acheté ton déguisement ? Tu penses que je pourrais trouver le même » ? Il n’avait jamais entendu parler de bouddhisme ou de moine et n’en avait jamais vu, à l’inverse de la vendeuse portoricaine qui elle, « avait déjà vu un documentaire avec des moines ».
Une belle partie de fou-rire…grave. « Revenez nous voir après la tempête » réclamèrent-ils en chœur. Agga ne donne pas sa part aux chiens pour ce qui est du fou rire (hummmm moi non plus)et pourtant il n’a pas arrêté de me raconter des horreurs sur sa situation passée en Birmanie. Comment il lui était arrivé de dormir dans les arbres la nuit. Parce que la junte ne chassait pas les moines dans la journée, trop de témoins. Mais la nuit. Alors certains dormaient dans les arbres ou sous les feuilles dans la jungle, n’importe où sauf dans leur famille ou chez leurs amis qu’ils risquaient de compromettre.
Un peu plus tard, Agga rentrait chez lui à Brooklyn en métro, tandis que je tentais de trouver un taxi pour rentrer à mon hotel a Chelsea. Un cyclo-pousse proposa de me ramener pour 20 dollars. J’étais si épuisée et agacée de ne pas trouver de taxi, et face à ses arguments – il avait fait une très mauvaise journée – j’acceptais et je descendais la 5e avenue en cyclo en super touriste ! Décidément, l’Asie me colle à la peau, sauf qu’en Thaïlande, les conducteurs de cyclo sont très âgés pour la plupart et tendent à disparaître, tandis qu’ici, c’était un grand gaillard noir, bavard, plein d’humour et jeune. A peine descendue devant l’hotel il me proposa de me prendre en photo. J’acceptais, ça semblait tellement lui faire plaisir…
Horreur, humour
Que faisiez-vous le 11/09/01 ? Pour nous qui n’avons pas été confrontés directement à l’indicible, peut-être nous souvenons-nous de cette journée et de ces premières heures qui ont été l’écrin de l’horreur absolue pour des millions d’américains. Il était presque 9 heures du matin à New-York, le milieu de l’après-midi à Paris. J’avais rendez-vous avec une journaliste pour une courte interview sur les orphelins de Udon en Thaïlande « Baan Tawan » la maison de « soleil », du nom de cet ex DJ reconverti, pour le pire, dans l’accueil d’enfants des rues. (lire mes notes précédentes sur le sujet : « « La maison du soleil », « Som’o », « Deux couleurs deux cultures », « Tout est vrai tout est faux, donc tout est vraisemblable »)*
Tous ceux qui ont travaillé ou ont été un jour invités à une émission de Radio France (France Inter, culture, info ou RFI) connaissent le « café des ondes » – « les Ondes » – rendez-vous obligé d’avant ou après émission, bar qui a épongé toutes les angoisses « d’avant », les regrets, les jubilations ou les soulagements « d’après ». Matin, après-midi ou soir, c’était (je crois que ça l’est encore aujourd’hui), la pause-café ou le coup de rouge.
Ce jour-là, je ne manque pas au rituel. La TV tourne en permanence et les premières images arrivent. Les conversations continuent. Il s’agit sûrement d’un lancement de film ou d’un canular. Mais la répétition en boucle du spectacle de l’épouvante et les commentaires de Pujadas scotchent tous les regards sur l’écran. Chacun se consulte, comme si le regard de l’autre avait le pouvoir d’apaiser, de réconforter, de rassurer. Et c’est bien ce que l’on attend de cet échange avec de purs inconnus. Le mien croise celui d’une petite nana binoclarde : c’est Sophie Forte. Certains vous diront « je me souviens de la naissance de mon fils ce jour-là », ou « c’était l’anniversaire de ma femme » ou c’était ma première interview pour un job »… moi je croisais le visage d’une humoriste affolée. On continue de regarder l’écran « en pair ». « Est-ce que tu as vu ce que je vois » ? « Ce n’est pas possible » ? »Est-ce que c’est une déclaration de guerre mondiale, ou la fin du monde » ?
Ces premières émotions hallucinées auront été vues avec les commentaires de quelqu’un qui me faisait habituellement rire. Humour. Horreur. Nous nous quittons, elle vers son studio, moi vers le mien. Elle avec son humour traversé par des avions transperçant des « tours-lego », avec les cris de « Oh my God ! » un dieu qui n’aura jamais été autant invoqué ou évoqué – des deux côtés de la barrière – dieu, le leur et le nôtre. Celui des kamikazes et celui des victimes.
Dans le silence cotonneux du studio, la journaliste m’interroge « les orphelins de Udon… » J’éclate en sanglot. Faut recommencer.
Et Sophie Forte a-t-elle fait pleurer de rire ses téléspectateurs ou auditeurs qui ne savaient pas encore ce qui était en train de se tramer de l’autre côté de l’atlantique ?
Y aura-t-il eu victoire et défaite totale ? Il n’y a que le temps qui passe et l’oubli… un jour.
Et New-York continue de fasciner ou de faire fantasmer. Ville magique à laquelle j’avais résisté des dizaines d’années et que j’ai visitee a cause d’un petit moine birman refugié à Brooklyn, venu d’un pays torturé par une poignée de militaires – en uniforme ou pas – qui martyrise tout un peuple ou plutôt ses peuples : Birman, Shan, Karen, Kachin, Rohyghias, Pa’O…
*Taper michele jullian et les titres dans « google »
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