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« Nouilles de riz traversant le pont »

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Si tous les chemins mènent
à Rome, pour moi, en Chine, tous les chemins mènent à Kunming, nœud ferroviaire,
routier et aérien du Yunnan.    J’ai
largué mes deux petits frères, et  vais
saluer mes copines étudiantes du fameux restaurant Mama Fu’s.  Leur anglais est super : américanisé
avec une pointe d’accent indécelable. Of course, pour étudier la langue de
Shakespeare elles ont eu tour à tour, un prof philippin, un coréen et  un américain.

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Après la misère du
Guizhou, la pauvreté, le froid, les routes dangereuses, ce vrai petit coin de
Chine  me charme à tous les coups. Il est
point de repère et point d’ancrage, port de départ et d’arrivée, et puis j’y ai
mes habitudes : magasin de sport ou de photos,  banque, restaurant.   C’est réconfortant et sécurisant. Pourtant
la ville est gigantesque, un petit Singapour de cinq millions d’habitants.

 

« Etiez-vous là hier ?
il a neigé toute la journée… » me demande une étudiante…

 

La ville de
« l’éternel printemps » vêtue de blanc… Non, malheureusement, je n’y
étais pas.  Alors, si ce soir le Mama
Fu’s est déserté de ses clients, c’est que, 
peu habitués à un tel froid, ils sont 
très vite rentrés chez eux après le travail au lieu de flâner dans la
douceur familière de la ville dont les larges avenues et les parcs se prêtent
si bien au vagabondage.

 

Je n’avais pas revue
Yangyang depuis mon dernier voyage à Pékin, il y a 6 mois, Pékin  où elle travaille. Elle habite actuellement à
Kunming,  chez ses parents originaires du
Yunnan… 

 

Je suis toute excitée à
l’idée de voyager avec elle.  Enfin, je
vais entendre du vrai mandarin avec ses finales en « er » et non  un dialecte Sichuanais. On s’embrasse, on se
prend dans les bras l’une de l’autre, ou plutôt c’est moi qui la soulève de
terre, telle une plume, elle est si menue et si rigolote avec ses longs cheveux
attachés bizarrement, tel un énorme postiche. Tout cela sous le regard presque
réprobateur de mes  petits frères étonnés
par la démonstration. On s’entasse dans la Cheerokee bourrée jusqu’à la gueule
de bagages, de cadeaux que les deux garçons ont acheté sur la route pour leur
famille ou leurs petites amies, et même de tout un matériel de camping, pour le
cas où…. (Ahahah ! c’était écrit sur le contrat que l’agence m’avait
envoyé de Chengdu : « camping éventuel ».  J’avais fait rectifier, pensant qu’il
s’agissait d’une blague…) et c’est parti pour 400 kilomètres  de Highway jusqu’à  Dali. 

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L’aventure à quatre
démarre en douceur. Les deux garçons sont discrets, un peu sur leur garde,  Xiao Miao parce qu’il est bien élevé et Xiao
Chen parce qu’il est intimidé par Yangyang, l’artiste peintre qui a déjà exposé
ses  tableaux  dans une galerie californienne. On s’arrête à
Chuxiong pour déjeuner. La quête d’un restaurant nous prend  plus d’une heure,  mais ce superbe « across the bridge  noodles » (« nouilles par dessus le
pont ») choisi par Yangyang en vaut la peine. C’est un plat populaire
typiquement yunnanais composé de viandes ou de poissons coupés en petits
morceaux et de légumes variés… le tout disposé dans des coupelles autour d’un
bol de soupe brûlante à base de poulet. 
Vapeur et chaleur sont bloquées sous la couche de gras. On verse tous
les ingrédients dans la soupe,  en
commençant par la viande. On mélange jusqu’à ce que le  tout soit cuit  « à point ».

Ma copine me raconte la
légende à l’origine de cette spécialité….. « Sur le bord d’un lac,  dans le comté de Mengzi, Yang, un étudiant
qui préparait son « examen impérial », avait l’habitude d’aller lire
dans un pavillon au milieu du lac. Sa femme lui apportait chaque jour à manger,
mais Yang était si profondément plongé dans ses études qu’il en oubliait de se
nourrir, et sa femme retrouvait invariablement la nourriture intacte et froide,
ce qui l’inquiétait beaucoup.  Un jour,
elle eut l’idée de cuire un poulet dans la soupe, et comme d’habitude, la porta
à son mari. Le soir venu, elle constatait que le gras du poulet avait formé une
pellicule sur le dessus du potage. Du coup, les ingrédients  bloqués à l’intérieur  étaient restés chauds.  Plus tard, cette méthode fit beaucoup
d’adeptes dans la région.  Comme la femme
de Yang traversait chaque jour le petit pont qui reliait la terre ferme à la
villa du lac,  cette façon  d’accommoder le riz et les légumes prit le
nom de : « Guo Qiao Mi Xian » : « nouilles de riz
traversant le pont ».

La chevauchée en jeep
était jusque là très gaie.  Avec la
présence féminine de l’originale 
Yangyang, c’est un vrai bonheur. Je suis ravie de voir que la mayonnaise
prend entre l’artiste pékinoise et mes deux guides. Je les écoute parler  mandarin avec délectation. Lorsque je réagis
à certains de ses commentaires, Xiao Miao est tout étonné : « Comment…
tu comprends ? Mais alors…. » Je le rassure  avec un : « 
Je comprends Yangyang, mais  je n’ai
jamais compris un traître mot de votre dialecte sichuanais à Chen et à
toi… » .

 

 

Brian l’américain a retenu une chambre
pour moi au « Lan Lin Ge Hotel » de Dali où il réside avec sa femme
Jenny et ses deux garçons. C’est l’hôtel 
le plus luxueux depuis mon arrivée en Chine : suite de cours
traditionnelles et de chambres courant autour de galeries d’époque Qing. La
salle de bains est  contemporaine avec
vasque  intégrée dans une table de verre,
cabine de douches également en verre,  le
tout pour 180 yuan (18 euros) y compris le buffet  chinois du matin.  Yangyang loge chez une amie et mes deux
petits frères ont trouvé une guest-house de l’autre côté de la rue.

 

 

 

 

Dali est un endroit hyper
touristique pour  Chinois. La vieille
ville grouille de groupes qui flânent, parlent et rient  très fort, s’apostrophent, s’attardent et
marchandent de boutiques en boutiques où sont exposés bijoux, jade, cassettes,
broderies tibétaines. Le long des rues piétonnes, fleurissent des petits bars
signalés par des lanternes de papier rouge. A l’intérieur, on entend les
vibrations d’une musique pop chinoise ou américaine. Sur les conseils de Brian,
je dine au « Café de Jack » : décor tibétain, ambiance rouge et
jazzy, jeunes chinoises, cigarette au bout de leurs doigts de danseuses,
touristes qui arborent des airs supérieurs de « j’suis un habitué  des
lieux »…   Le long des ruelles,
courent de petits canaux d’eau 
cristalline,  tout droit descendue
des   montagnes Cangshan qui servent
d’arrière plan  à ce décor
d’opérette.  Quelques backpackers
traînent leur mélancolie dans cet endroit unique, en train de devenir petit à
petit un lieu de rencontre pour voyageurs, comme  Goa en Inde ou Bali en Indonésie il y a
très  longtemps.  Je pense toutefois que le gouvernement veille
à ce que cette promiscuité « occidentalo-chinoise » ne glisse pas des
apparences pseudo artistiques vers de vraies 
tendances contestataires.  On est
encore loin de l’ambiance de  « Khao
San » road à Bangkok où  se
retrouvent tous les tatoués, piercés, rastas, 
jeunes ou moins jeunes, fauchés – ou jouant à l’être – occidentaux.  Certains serveurs chinois  arborent 
déjà  cheveux longs, pantalons
larges, vêtements ethniques bariolés  et
on dit que la ganja circule la nuit derrière les volets de bois.

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Avant le dîner, je décide
de m’abandonner entre les mains d’un médecin 
traditionnel tibétain. Il m’amène chez lui, dans une petite rue sombre.
Dans la nuit, les maigres lumières créent des jeux d’ombres  dansantes presque lugubres. On traverse deux
pièces minuscules, une petite cour sale et enfin on s’arrête  dans une salle plus grande encombrée  de cinq grabats recouverts de draps supposés
blancs, tout comme le nom de la femme du médecin, une solide  Baï, (Les Baï sont l’ethnie dominante de
cette région, et baï en chinois veut dire « blanc »)  Elle me laboure le corps avec la force d’un
rouleau compresseur et la précision d’un chirurgien. Docile,  je me laisse aller, je suis une plaine qu’on
malaxe, une terre en friche qu’on assouplit … j’en ai bien besoin après
ces milliers de kilomètres. La gaillarde, après ces premiers échauffements  – elle souffle un peu –  se met à faire claquer tous mes tendons. Aïe
aïe….Mais pas question de jouer les douillettes car je suis entourée de  curieux 
nez collé sur moi. Ils sont attentifs autant au  travail de la masseuse qu’à mes réactions
occidentales. Je soupçonne ma tortionnaire de profiter de ma faiblesse relative
pour  administrer un cours magistral à
ces trois jeunes gens vêtus de sombre. Bigre… Je suis toute seule. J’aimerai
qu’il arrive un autre client aussi inconséquent que moi…Pendant ce temps,  le médecin tibétain à la peau grêlée  s’attaque à ma cheville en mauvais état. Il
tire de son côté, pendant qu’on me broie de l’autre.  J’ai envie de crier d’arrêter la torture tout
en essayant de me convaincre que d’une telle douleur naîtra sûrement  un doux bien être. Oh la !  Je sens plus de quatre mains sur mon corps
avachi sur la table de massage. Les invités-élèves ne seraient-ils pas  passés du « learning by watching »
(apprendre en regardant) au « learning by doing » ?   (Apprendre en faisant).  Ils mettent tous la main à la pâte, et moi
bonne pâte justement, je ne dis rien. Ils sont 
plein de bonne volonté et s’acharnent qui sur mon dos, qui sur mes
jambes. Au bout d’un moment, submergée par la fatigue, résignée, je me laisse
glisser dans un sommeil léger, preuve que ce pétrissage est bien efficace.
Alors  qu’importe leurs méthodes,
familiales ou pas !…surtout pour 50 yuans (5 euros).

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Dali, c’est aussi l’histoire du peuple Bai en opéra-ballet

Michèle Jullian

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