Le Grand Palais met à l’honneur le peintre Odilon Redon à l’occasion d’une rétrospective exceptionnelle jusqu’au 20 juin 2011 … Une exposition de peinture qui révèle bien pourquoi Odilon Redon fut surnommé le « prince du rêve ».
La rétrospective que le Grand Palais consacre au peintre Odilon Redon mérite une visite, tant les interrogations de l’artiste correspondent aux inquiétudes contemporaines.
La rétrospective que le Grand Palais consacre au peintre Odilon Redon, surnommé «prince du rêve» du 23 mars au 20 juin 2011, est remarquable à maints égards : d’abord par sa présentation qui permet au visiteur d’accéder à l’ensemble de l’œuvre, dont le parcours est atypique, allant d’un «Hommage à Goya» et aux tréfonds obscurs du monde intérieur à la «Naissance de Vénus» et à un art à la coloration fastueuse, cela de façon chronologique et thématique avec des panneaux d’une appréciable concision, ensuite parce qu’elle offre à notre curiosité des œuvres inédites qui feront désormais partie des œuvres marquantes du peintre, dont un «Hommage à Gauguin» et un autoportrait qui date de 1910.
Pour le public, qui ne connaît pas ou partiellement l’œuvre de Redon, la première découverte est l’ensemble des lithographies regroupé par séquences, dont les images ont innervé l’imaginaire du XXe siècle et inspiré le cinéma fantastique dans ce qu’il a de meilleur. D’autre part, le peintre a entretenu avec les poètes et écrivains des relations fécondes au point d’être considéré comme un peintre littéraire. Dès l’âge de 20 ans, Odilon, né le 20 avril 1840 à Bordeaux, découvre Baudelaire, Flaubert et Edgar Poe. Sa bibliothèque en témoigne. Il fut tout au long de sa vie un grand lecteur. Ses thèmes favoris puiseront leur source dans une littérature illuministe, nourrie d’occultisme, que symbolise parfaitement celle d’un Gérard de Nerval. En 1882, Redon publie un album dédié à Edgar Poe qui comporte fusains et eaux-fortes et qu’il nommera ses «Noirs». Il y traite avec subtilité, et sous l’influence toute puissante de l’inconscient, les sujets les plus divers peuplés d’êtres hybrides, d’anges déchus, d’apparitions inquiétantes, d’yeux fixant des infinis troublants. Ce lien privilégié avec le monde littéraire ne cessera de se renforcer dans les années suivantes et fera l’objet de 3 albums lithographiques inspirés de «La tentation de saint Antoine» de Gustave Flaubert.
Cependant, malgré ses relations étroites avec Huysmans, Mallarmé, Francis Jammes, l’artiste va peu à peu prendre ses distances avec le milieu littéraire au moment où il se rapproche des jeunes artistes du mouvement Nabis, dont le chef de file n’est autre que Maurice Denis. Cela, parce que l’assimilation systématique de son art au symbolisme littéraire lui semble, à la longue, trop réductrice et l’oblige à s’effacer au contact de la pensée des autres. Or la sienne évolue et entend s’imposer. Ce qui captive au premier chef Redon est l’âme humaine avec ses obscurités et ses complexités, quitte, pour en restituer l’authentique cheminement, à disloquer quelque peu les valeurs rationnelles établies par la tradition. Dès lors, la nature n’est plus ce qu’elle paraît être, mais s’érige comme le symbole et le signe d’une réalité plus profonde. A côté de la représentation des objets, il y a le sens qu’initient pour l’esprit leurs images et qui exigent des constructions libres, en mesure de satisfaire les exigences de la pensée.
En 1894, le peintre obtient de Durand-Ruel ce qu’il appelait de ses vœux depuis longtemps, que la galerie lui consacre une exposition personnelle. Cela lui permettra de se faire connaître des critiques et apprécier de plusieurs collectionneurs dont Robert de Domecy, riche aristocrate qui le priera de décorer la salle à manger de son château bourguignon. Cette réalisation au charme bucolique est entièrement reconstituée au Grand Palais et permet au visiteur d’apprécier pleinement le talent de décorateur d’Odilon Redon. Ce coup d’essai fut, en effet, un coup de maître et l’ensemble des motifs végétaux, traités en de subtils camaïeux, enchante le regard. Dans ce travail inaugural, le peintre a privilégié l’improvisation et s’est laissé emporter par son imagination, jouant sur les couleurs et l’effacement des contours pour élargir l‘espace et intensifier la luminosité. «Je couvre les murs d’une salle à manger de fleurs, fleurs de rêve, de la faune imaginaire ; le tout par grands panneaux traités avec un peu de tout, la détrempe, l’aoline, l’huile, le pastel même dont j’ai un bon résultat» – écrira-t-il.
C’est enfin le triomphe de la clarté sur les ténèbres, de la joie opposée aux inquiétudes de la nuit, de la sérénité retrouvée après les angoisses morbides. Depuis sa jeunesse, Redon s’était passionné pour la cosmogonie. A l’époque de ses «Noirs», il en avait donné une représentation pessimiste et sombre, celle d’un soleil noir annonçant peut-être une fin du monde imminente ou bien celle d’un ange déchu regagnant le monde des mortels. Mais une représentation curieusement prémonitoire avec son œil accroché à un parachute qui n’est pas sans annoncer le télescope Hubble scrutant l’univers d’aujourd’hui.
Désormais, le versant positif occupe les dernières années de son existence et n’est-ce pas la création et la vie supplantant la défaite et le chaos ? Le peintre meurt le 6 juillet 1916 après avoir reçu un accueil favorable d’un public américain séduit, lors de l’exposition qui lui sera consacrée par l’Armory Show de New York. En ce printemps 2011, le Grand Palais de Paris lui ouvre les portes d’une actualité inespérée. Celle-ci s’inscrit dans une démarche originale qui va du crépuscule à l’aube ( contrairement à la plupart des trajectoires humaines ) et dont l’ambiguïté énigmatique correspond si bien à la sensibilité contemporaine.