Peu de sujets font l’unanimité en Polynésie française. Sauf un : la pension de famille. Ce Territoire un peu tricolore planté dans le bleu du Pacifique, épicentre du mythe de l’île paradisiaque et languide, bruisse au son du mécontentement.
La cherté de la vie et le pouvoir d’achat en berne. La ribambelle de fonctionnaires, de Métropole ou du Territoire. Le tourisme en chute libre. Le coût des importations, surtout de France, la lointaine mère nourricière. Gaston Flosse et ses chicanes légendaires. Le Gouvernement du Territoire qui suscite autant de controverses qu’il y a de mots pour les citer. La crise d’identité des Polynésiens. Le trafic urbain de Papeete. L’insécurité qui augmente si l’on en croit Monsieur et Madame Tout le monde qui abreuvent de commentaires acerbes les forums de discussion et les courriers de lecteur.
Un présent chaotique pour un futur incertain rend les gens nerveux.
Un sujet fait l’unanimité, pourtant :
Les pensions de famille.
A priori, elles semblent mal parties dans la pêche aux visiteurs. Les brochures des agences de voyage n’en parlent pas. Les publicités dans les revues de voyage n’en parlent pas, ou peu. Le marketing touristique les dédaigne, préférant la manne des hôteliers de luxe et leurs clichés vantant des hôtels merveilleux et « exotiques », avec leurs tentacules de pontons boursouflées de bungalows aseptisés s’étendant sur un lagon turquoise qui ressemble à un poster. Les guides « Lonely Planet » et le « Guide du routard » en parlent, toutefois, et toujours en bien. Sur ce sujet, il faut les croire.
Ce n’est jamais le grand luxe, mais c’est parfait tout de même. (Photo tirée de la pension de Benoît et Bianca à Mangareva).
En Polynésie française, les pensions de famille constituent donc le secret de Polichinelle qui fait l’unanimité.
Elles sont peu chères. Elles sont accueillantes. On y mange bien, et beaucoup. Les hôtes sont parfois réservés, toujours chaleureux et dithyrambiques sur leur île et les choses à y visiter. On s’y sent bien. Autour de la table, à 19 heures, on fait la prière avant de manger, on regarde RFO ensemble à blablater sur la politique locale. On cause météo, bons plans, pêche, poissons, nourriture, fruits, perles, recettes de cuisine, religion, plongée. On s’endort dans une chambrette simple et propre au son du silence ou des vaguelettes. On n’a plus envie de partir.
Les visiteurs y sont de deux sortes. Les habitués, fonctionnaires en « mission » – docteurs, gynécologues, préposé à la banque etc. – et les visiteurs de passage, solitaire, en couple ou avec leurs enfants. Ce petit monde se mélange et on apprend pleins de choses sur tout le monde.
Des Marquises aux Tuamotu, des Australes aux îles Gambier, les pensions de famille sont incontournables en Polynésie française. Chaque île en possède au moins une. Même la solitaire Rapa, au sud du sud, en possède une, avec une chambre.
Les hôtes connaissent tout le monde dans leur île. Ce sont souvent des puits de science sur tout. Ils aiment leur territoire, en font profiter les visiteurs, avec simplicité et chaleur humaine.
Quand on a goûté aux délices de la pension de famille, on n’a plus du tout envie d’aller payer une fortune dans un des hôtels dispendieux et standardisés tant vantés par les vendeurs de rêve.
(Article non sponsorisé)