A Papa Stour Island, une île dans les Shetlands en Ecosse, tout n’est que landes vides battus par le vent. Et pourtant cette destination insolite en Europe est l’occasion de prendre un bol d’air pur aux confins de l’Europe de l’Ouest…
Ici à Papa Stour Island, les chiens ne sont pas les bienvenus. Les quatre familles qui y habitent ne s’entendent pas. Les oiseaux attaquent le quidam-marcheur engoncé dans sa parka. Il y fait souvent froid et toujours venteux. Mais on y passe tout de même une excellente journée.
Papa Stour Island, l’Ile où les chiens ne sont pas les bienvenus…
La dernière île isolée que le zinzin des îles lointaines a visitée se nomme Papa Stour Island.
Déjà, le mini-ferry qui couine dans les vagues indique que l’île n’aura pas les relents de celle faisandée par les tour-operators. On s’y attendait ; on l’espérait même.
La circulation sur Papa Stour Island y est chiche : une camionnette et six visiteurs = un couple écossais bien né, âge mûr ; un couple allemand, jeune et vaillant ; un couple franco-suisse (nous) un peu entre les deux, ni trop mûr, ni trop hardi. On subodore que le bateau est subventionné à plein régime par le contribuable britannique. On part du petit port de West Burrafirth, à l’ouest des Shetland, au nord de l’Ecosse. Là où le soleil ne semble jamais briller. En tout cas, pas longtemps.
Départ vers Papa Stour Island (Photo Damien Personnaz)
Aller jusqu’à Papa Stour Island…
La traversée pour aller jusqu’à Papa Stour Island est courte mais agitée. La conversation avec le couple et son chien s’en ressent. Les épaules courbées par le froid et le vent, les pieds glissant sur le pont, on essaie tant bien que mal de se convaincre que c’est une bonne idée d’être là. Lui est né dans cette île, explique-t-il, mais il n’y est jamais revenu depuis des décennies. Il est donc relativement excité. Sa femme, résignée à lui faire plaisir, tient en laisse un labrador noir terrorisé par les tremblements de l’esquif.
Personne à l’arrivée sur Papa Stour Island. Un quai, une petite plage, une cahute avec du thé et des toilettes. Pas un arbre, pas une maison, pas âme qui vive, une mini-route dessert quelques maisons. Au fond, un temple protestant. Nous sommes au cœur de la capitale de l’île, Biggings, environ 20 habitants, dont certains se sont installés là dans les années septante.
Juste après le premier virage, le ciel est bleu. Mais juste avant le virage, un panneau invite les gentils propriétaires de chiens à éviter que leur toutou ne taquine un mouton sous peine d’être fusillé (le chien). La version originale est plus coriace, plus explicite aussi. Elle laisse traîner derrière elle comme un petit remugle de hargne qui met mal à l’aise.
« Attention: votre chien pourra être tué si vu à côté des moutons ». (Photo Damien Personnaz)
Un quad pétaradant conduit par un visage renfrogné accentue le sentiment qu’on se fiche des visiteurs. D’ailleurs, ils ne s’entendent pas du tout entre eux, a signalé le gentilhomme du couple écossais, et les querelles de clocher sont, paraît-il, légion.
Landes et falaises ; magnifiques paysages sur Papa Stour Island
Mais bon. Hardi ! Nous sommes ici sur Papa Stour Island pour quelques heures, on a envie d’air pur, de landes vides et majestueuses, de falaises déchirées par les vagues atlantiques contemplées sur un promontoire rocheux que devraient boycotter les sujets au vertige ou les étourdis. Ça tombe bien, il n’y a que ça sur cette terre désolée de 828 hectares dont la partie nord et ouest constitue un « Site d’intérêt scientifique spécial » truffé de cavernes, de falaises, d’arches et de soufflards.
La piste d’atterrissage de l’avion qui n’atterrit qu’une fois par semaine sur Papa Stour Island (il faut s’annoncer pour qu’il daigne vous y amener) est un terrain relativement plat, graveleux. C’est tout.
L’aéroport de Papa Stour Island. Un avion (six places) pas semaine. Mais pas quand il fait mauvais. (Photo Damien Personnaz)
Et toujours pas un chat, pas un arbre, pas une âme qui vive.
Réflexion faite, oui. Il y a une âme qui vit là. Le skua arctique. La terreur du marcheur solitaire qui voit débouler cet oiseau d’un mètre quarante d’envergure. Il a deux caractéristiques inquiétantes, le skua arctique: malgré sa taille imposante, sa couleur lui permet de se fondre dans la lande et de foncer à toute vitesse sur la tête du marcheur en lui frôlant le scalp. En plus, il remet ça, tant que l’inconscient se trouve sur son territoire. Et comme on passe d’un territoire à un autre, c’est simplement terrifiant. Du coup, le sobre pique-nique dévoré sur le promontoire rocheux est parsemé de coups d’œil angoissés aux alentours.
Le skua arctique transforme une paisible balade sur Papa Stour en une partie de cache-cache essoufflé entre lui et vous.
Mais ce n’est pas le skua qui va nous empêcher d’admirer le paysage de Papa Stour Island, même s’il en accélère le processus. La côte nord et ouest est effectivement magnifique et les soufflards (invisibles par temps de brouillard) sont tout simplement stupéfiants. Le ciel gris, et puis bleu, et puis gris se confond avec l’océan de la même couleur. Ici, aux confins de l’Europe de l’ouest, on se sent avalé par les éléments.
Les paysages de Papa Stour Island (Photos Damien Personnaz)
Donc, après les skuas, le vent, la pluie fine, les kilomètres de marche, les paysages grandioses et tragiques, on est tout content de se retrouver dans la maison de Dieu, aussi appelée l’Eglise d’Ecosse. Construite au début du XIXème siècle, elle est d’une austérité toute locale, plutôt grande pour les quelque 20 habitants qui peuplent les lieux (mais où sont-ils ?) avec un joli vitrail représentant Dieu le Père apaisant les flots. Et comme les lieux publics sont rares sur l’île, les murs du fond se transforment en plaquettes d’information pour le visiteur occasionnel. On y apprend que l’île a été fondée par les Vikings, qu’un îlot rocheux abritait une colonie de lépreux, que 300 habitants y vivaient au milieu du XIXème siècle.
Une méditation bienvenue calme les battements de coeur et les esprits. J’imagine les temps anciens où le pasteur, du haut de sa chaire, donnait le ton. J’imagine une foule d’hommes et de femmes, habillés de leur plus beaux atours de gens simples et pauvres, les visages ridés par les embruns et les soucis, l’écoutant avec crainte et respect. Un temps où l’océan nourrissait ces populations, mais engloutissait parfois, maléfique, les marins partis au loin. Un temps où les jeunes gens pouvaient entre ces quatre murs protecteurs se regarder, entre deux prédications, sans subir les foudres du pasteur. Un temps enfin où la jeunesse de l’île rêvait d’un ailleurs libre et plus hospitalier.
Le ferry à Papa Stour Island n’attend pas. Il n’y pas d’hôtels, et visiblement pas de gîtes, on retrouve donc les deux autres couples autour d’une tasse de thé, près des toilettes. Le labrador, malgré les injonctions et sans se faire fusiller – sinon du regard du couple allemand – n’a pas hésité une seconde à croquer six lapereaux en moins de trois minutes.
Et dans la brume de Papa Stour Island, le petit ferry accoste.
Revenir à Papa Stour island ? Hum, non, probablement pas. Mais absolument enchantés d’y être allés.