On se souvient de ce qui s’était passé en Irak, lorsque les troupes américaines avaient pénétré dans Bagdad. Certains avaient profité du chaos qui régnait dans la ville pour piller les musées et faire sortir du pays une série de pièces antiques de haute valeur, afin de les revendre au marché noir. Les Irakiens avaient autre chose à faire, j’imagine, que de surveiller leurs musées et les troupes d’occupation aussi. Ceci dit, il aurait suffit de placer quelques « Marines » devant l’entrée du musée, mais bon, peut-être a-t-on laissé faire volontairement.
Ce qui s’est passé en Irak s’est évidemment reproduit en Libye et se passe actuellement sous nos yeux en Syrie. D’un côté il y a des pilleurs et des voleurs qui profitent du chaos pour s’emparer de tout ce qu’ils peuvent et de l’autre il y a les tirs aveugles, de l’un ou l’autre camp, qui détruisent irrémédiablement un patrimoine inestimable. Sans compter que les musulmans salafistes ne doivent pas avoir un respect très marqué pour les églises chrétiennes du début du christianisme.
La situation est si grave, qu’une réunion s’est tenue à Amman, en Jordanie à l’initiative de l’Unesco afin que les états voisins ne se rendent pas complices malgré eux d’un trafic illégitime.
Quant à ce qui se passe réellement sur le terrain, il est difficile d’en avoir une idée. On sait qu’en février 2012, la ministre syrienne de la Culture, Loubana Mouchaweh, a révélé qu’au moins 18 mosaïques représentant l’Odyssée ont été volées dans le nord-est du pays. Une statue araméenne de bronze plaqué or a également été volée au musée de Hama (centre) Elle a jouté que les possessions des musées syriens ont été placées en lieu sûr. Si c’est vrai, tant mieux. Elle soutient que les musées sont « bien gardés » et que « leurs possessions précieuses pour toute l’humanité ont été archivées et placées dans des lieux très sûrs. »
Par contre, pour ce qui est des sites historiques (plus de 10.000 en Syrie !), elle reconnait qu’il est impossible d’en assurer la protection.
La responsable des musées de Syrie, Hiba al-Sakhel, avait quant à elle affirmé que « depuis trois ou quatre mois, les pillages se sont multipliés. Nous avons reçu une vidéo qui montre des gens arrachant des mosaïques au marteau-piqueur à Apamée ».
En faisant quelques recherches sur Internet, j’ai trouvé un texte en français, d’origine iranienne (donc peut-être mensonger, car il visera à discréditer les djihadistes, mais sans doute pas plus mensonger que notre presse occidentale, qui elle, essaie de faire porter le chapeau à Bachar el Assad à tous les coups, même pour ce que son armée n’a pas commis) :
« L’opération de l’armée syrienne lancée dans la ville historique de Tadmar a laissé, au moins, 100 morts chez les terroristes. L’armée nationale visait à protéger les monuments antiques de la ville. 180 miliciens (= djihadistes), bien occupés à détruire et à piller les oeuvres historiques de la localité Tadmar, à Homs, ont été liquidés. Les miliciens trafiquent des objets de valeurs et des oeuvres antiques de la ville vers l’Irak. Les soldats syriens ont, également, empêché les Qaïdistes (= membres d’Al Quaïda) de voler les camions de transport d’essence, à Hassiya, et ont tué, au moins, 7 d’entre eux. L’armée se concentre, davantage, désormais, sur la sauvegarde du patrimoine culturel de la Syrie, depuis que les terroristes ont décapité la statue de l’une des plus célèbres figures de la littérature syrienne, le poète Abou Alla Moari.
Une autre presse, pro-occidentale et donc anti-Assad, celle-là, dit exactement l’inverse :
« Les militaires en opération ne sont pas réputés pour faire dans le détail. S’ils n’hésitent pas à bombarder un immeuble habité par des civils, à plus forte raison rien ne les arrête s’il s’agit de monuments historiques stratégiquement situés dont ils connaissent rarement la valeur ».
Notons toutefois que l’armée américaine n’a pas fait beaucoup mieux en Irak, mais passons. La seule chose à retenir, c’est que le patrimoine architectural antique subit de lourds dommages et peu importe finalement quel camp en est à l’origine.
Or, on ne peut oublier que la civilisation est née dans cette région du monde (croissant fertile) et que différentes cultures se sont succédé sur ces terres d’Orient, chacune laissant une trace de son passage (Assyriens, babyloniens, Grecs, Romains, premiers Chrétiens, etc.). Ce sont tous ces témoignages qui risquent aujourd’hui d’être partiellement détruits par ce conflit.
Ceux qui me lisent régulièrement savent ce que j’en pense. Pour moi c’est l’Occident qui a armé des djihadistes enragés venus des quatre coins du monde pour renverser le régime d’Assad. Celui-ci soutenait le Hezbollah, présentait une menace militaire pour Israël et surtout il « empêchait de faire des affaires » puisque l’économie était en gros aux mains de l’Etat. Donc, pour plaire à Israël et pour que nos entrepreneurs et nos financiers puissent avoir de nouveaux marchés, on n’a pas hésité à créer un conflit, lequel a déjà fait 70.000 morts et qui en plus (même si cela peut sembler accessoire à côté du drame humain) est en train de dévaster des sites historiques de premier plan.
On trouve en Syrie des palais, des monuments, des forteresses, des églises, des mosquées, des villages anciens et des œuvres d’art. Toutes ces richesses sont de diverses origines puisqu’elles remontent aux Babyloniens, aux Assyriens, aux Hittites, aux Phéniciens aux Grecs, aux Romains, aux Byzantins, aux Sassanides (qui représentent l’apogée de la civilisation perse avant l’arrivée des Arabes et de l’Islam), aux Perses, aux Arabes, aux Omeyyades, sans oublier nos croisés et l’empire ottoman.
Mais les nouvelles venant de Syrie sont alarmantes. Malgré un appel solennel de l’Unesco, on apprend que trois des six sites syriens classés au patrimoine mondial par l’Unesco ont été atteints par des bombardements:
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les cités mortes du massif calcaire à l’ouest d’Alep, où se trouvent de nombreuses églises délaissées vers le VIIIe siècle
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Bosra, dans le djébel druze, ancienne ville romaine qui possède un vaste théâtre de 15.000 places, parfaitement conservé
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Le Krak des chevaliers (construit par nos croisés), qui domine la trouée de Homs et est apparemment occupé par des opposants au régime syrien.
Des tirs ont également été signalés à Palmyre. On les attribue à l’armée, laquelle aurait tiré sur des personnes traversant les ruines (peut-être des djihadistes armés…). On dit aussi que des fouilles clandestines ont lieu dans ces ruines.
On sait aussi que le vieux quartier d’Alep a été détruit par les flammes. Apamée (qui fut construite sur un promontoire en bordure de l’Oronte par Seleucos, l’un des généraux qui recueillirent l’héritage d’Alexandre le Grand) serait intacte, mais le site de la citadelle voisine, Qalaat el Mudiq, habité depuis le néolithique (il y a dix mille ans), a été frappé par des tirs d’artillerie, selon l’Institut français du Proche-Orient, qui y effectuait des travaux de restauration depuis 2004. Selon l’IFPO, « une partie des fortifications médiévales a été atteinte et une voie a été creusée au bulldozer sur les flancs de la colline, dans les niveaux archéologiques ».
A Ebla (Tell Mardikh), dans la région d’Alep, cité-Etat qui rivalisait avec l’Egypte et la Mésopotamie, on avait découvert un palais datant de 4.500 ans, ainsi que 17.000 tablettes cunéiformes révélant une langue sémitique inconnue. Toutes ces œuvres avaient été transportées aux musées d’Idlib et d’Alep. Mais on sait que c’est à Alep qu’ont lieu les affrontements les plus durs, ce qui ne présage rien de bon. De plus, des combats auraient eu lieu sur le site même d’Ebla.
Je ne parle ici que des sites connus, mais il existe une multitude de sites plus modestes, non encore explorés par les archéologues. Ceux-ci sont également au cœur des combats et les pillards s’en donnent à cœur-joie pour emporter tout ce qu’ils peuvent. Ces pillards ne sont généralement pas des amateurs. Ce sont des groupes criminels organisés, qui bénéficient de relais internationaux. On peut donc s’attendre à retrouver chez quelques riches industriels occidentaux une partie de ces vestiges antiques inestimables. Ceux qui auront déclenché la guerre seront encore ceux qui en tireront tous les profits.
A côté des bandes organisées, quelques habitants auront sûrement profité des troubles pour s’emparer de tout ce qu’ils auront pu afin d’arrondir leurs fins de mois particulièrement difficiles ces derniers temps.
Adel Safar, lorsqu’il était Premier ministre de Bachar el Assad, a averti que « des groupes organisés sont prêts à entrer en Syrie, où ils ont déjà introduit des équipements technologiques perfectionnés et des moyens de communication satellite afin de dérober notamment des manuscrits et des antiquités et de s’attaquer aux musées ». Propagande ? J’en doute, car d’autres sources font état de ces pillages. De plus, on sait que le patrimoine syrien n’est pas le seul de la région à avoir souffert des révoltes arabes. En janvier 2011, des pillards se sont introduits dans le Musée du Caire, ont fracturé une dizaine de vitrines qu’ils ont vidées et ont brisé soixante-dix objets. Heureusement, la population s’est interposée et a réussi à attraper quelques pillards.
Le site bien connu de Saqqarah, près du Caire (célèbre pour ses pyramides à degrés et ses mastabas) a été victime de fouilles sauvages. Et le 17 décembre 2011, l’Institut d’Egypte, fondé en 1798 lors de l’expédition de Bonaparte, a brûlé, avec ses inestimables archives comprenant 200.000 ouvrages. Parmi les pièces les plus précieuses, se trouvait une édition originale de la monumentale Description de l’Egypte. Une véritable catastrophe culturelle, qui n’est pas sans nous rappeler l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie, dans l’Antiquité.
En Irak, Donald Rumsfeld, avait défendu le ministère du Pétrole, mais pas le musée archéologique de Bagdad. Celui-ci avait immédiatement été pillé (15.400 objets avaient été volés)
A Babylone, cité d’Hammourabi et de Nabuchodonosor, les troupes américaines et polonaises avaient creusé des tranchées en pleine zone archéologique et y avaient installé un héliport. Depuis, dans l’Irak « libéré », c’est un oléoduc qu’ont a construit à travers le site archéologique. On ne s’y prendrait pas mieux pour effacer la culture et les racines d’une nation. Il faut dire que les Américains ont l’habitude. Ils ont déjà pu s’exercer aux Etats-Unis-mêmes sur les Indiens, dont ils avaient volé les terres et massacrer la population.
Et que dire d’Ur, en Chaldée (où selon la Bible Abraham serait né), où des bulldozers ont nivelé des terrains et où des tranchées ont été creusées dans la zone archéologique pour la protection des troupes américaines ?
Si on ajoute à ces destructions liées aux conflits guerriers toutes celles qui ont été faites systématiquement et de volonté délibérée, cela commence à faire beaucoup de pertes.
Je pense aux bouddhas géants détruits par les Talibans en Afghanistan alors qu’ils avaient plus de mille cinq cents ans. Je pense aussi aux mausolées de Tombouctou.
A ce sujet, je voudrais faire deux remarques.
D’abord je me demande jusqu’à quel point notre bonne presse occidentale (qui est aux mains de la classe sociale dominante, celle qui veut aller faire des affaires dans ces pays arabes) ne met pas en évidence ces destructions systématiques (par ailleurs scandaleuses et c’est bien ce que je dénonce ici) pour nous émouvoir et justifier ainsi l’intervention de nos troupes. C’est quand même curieux qu’on ait beaucoup parlé des bouddhas juste avant l’intervention américaine en Afghanistan. Même chose pour Tombouctou. Nul n’ignorait la destruction des mausolées quand la France a envoyé son armée au Mali. Curieusement, on a moins parlé des autres destructions comme les musées pillés en Irak, l’incendie de l’Institut d’Egypte, etc. C’était comme si on mettait en avant certaines destructions et pas d’autres, pour cautionner l’invasion américaine en Afghanistan ou justifier l’envoi des troupes françaises au Mali.
En détruisant ces œuvres d’art, les musulmans intégristes savent ce qu’ils font : ils effacent la mémoire d’un peuple et tentent d’éradiquer ce qui à leurs yeux est une hérésie. On pourrait donc se demander si les bonnes troupes d’occupation des armées occidentales ne pratiquent pas la même politique : en ne protégeant pas les musées des pays conquis, en autorisant les pillages par laxisme, en participant elles-mêmes à la destruction partielle de certains sites sous couvert de motifs militaires (construction d’un héliport, etc.) ne visent-elles pas elles aussi à effacer les origines historiques du pays conquis et donc à détruire sa mémoire ? Le but ultime n’est-il pas de faire de ses habitants de futurs clients de McDonald, des futurs adeptes de la société de consommation et de « l’american way of live » ?
Qui sait ?
En attendant, pour revenir en Syrie, je voudrais terminer cet article en parlant du Krak des chevaliers, situé près de la frontière du Nord-Liban (la frontière est perméable puisqu’elle laisse passer dans uns sens des combattants armés qui entrent en Syrie et dans l’autre des oeuvres d’art qui en sortent). Ce patrimoine n’appartient pas au gouvernement de Bachar el Assad, il appartient à tous les Syriens. Que dis-je ? Il appartient à l’humanité entière car il est un symbole par excellence des rapports historiques (à vrai dire assez belliqueux) entre l’Orient et l’Occident. Or les opposants au régime de Damas (ASL) se sont emparés de ce Krak des chevaliers et ils en interdisent l’accès. Le Figaro se réjouissait cet été de cette occupation par l’ASL, regrettant juste que l’armée régulière tirât sur la citadelle. On aurait pu tenir le raisonnement inverse et dire que les djihadistes feraient mieux de trouver d’autres cachettes que des monuments historiques, mais bon, s’emparer d’une citadelle réputée inexpugnable, c’est toujours tentant lorsqu’on est en guerre. Reste à savoir dans quel état on retrouvera le Krak des chevaliers quand tout sera terminé.
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