Dans Pénélope prend un bain, Gohar Marcossian, romancière arménienne de langue russe, évoque l’Arménie, terre de fantasmes, ayant subi bien des malheurs… Une plongée dans l’Arménie post-soviétique où rien ne marche vraiment!
A Erevan, pendant la guerre du Karabakh, Pénélope voudrait prendre un bain mais elle n’a pas d’électricité pour chauffer l’eau, alors elle le tour de ses connaissances pour éventuellement pouvoir prendre ce bain et chemin faisant, elle raconte dans un long monologue son histoire, celle de l’Arménie, ses fantasmes, ses divagations, … et tous les malheurs que subissent les Arméniens.
Nul besoin de se munir d’une bière, d’un whisky ou d’un pastis pour lire ce livre, Pénélope se chargera bien de vous saouler tout au long de ce long monologue verbeux et torrentueux de près de trois-cent-cinquante pages au cours duquel elle raconte comment, pour espérer prendre son bain quotidien, elle a dû faire le tour de ses parents et amis à Erevan.
Découverte de l’Arménie post soviétique
Pénélope ne supporte pas d’être sale aussi prend-elle, chaque jour, un bain mais en ce jour précisément l’électricité est coupée et elle ne peut pas faire chauffer l’eau du bain. Elle entreprend alors le tour de ses parents et amis qui devraient pouvoir l’accueillir dans leur salle de bain. Et, elle meuble ce périple par un long monologue où elle mêle ses tribulations, ses divagations, ses fantasmes, ses envies, ses craintes, ses rêves et tous les malheurs qui frappent ses concitoyens dans l’Arménie postsoviétique. Cette Arménie où rien ne marche : le courant électrique est coupé régulièrement, le facteur distribue le courrier quand ses autres emplois lui en laissent le temps, la télévision passe des programmes débiles quand elle marche, … Cette Arménie où règne la corruption, la concussion, la débrouille, le piston, l’influence, … Cette Arménie qui perd ses racines dans la nuit de l’histoire mais qui n’est qu’une jeune et frêle république face aux ogres qui ne lui laissent que des miettes … et encore. « La démordratie des uns est tombée sous la pression de la démerdratie des autres. Les démerdards en ont démontré à ceux qui ne voulaient pas en démordre. »
Pénélope n’est plus une toute jeune fille, elle est déjà une jeune femme, comme l’Arménie, mais elle vit toujours avec ses parents car le logement est un véritable problème à Erevan en ces années de pénuries. C’est une jeune femme un peu insouciante, exubérante, un brin excentrique, un tantinet espiègle, moderne, libre, énergique, cultivée et équilibrée. Elle enseigne le solfège à des enfants imperméables à la musique. Elle préfère Dumas à Joyce et on la comprend, elle aime l’opéra mais chante des airs de ténors comme son père chanteur lyrique. Pénélope/Arménie est encore une jeune femme/république qui plonge ses racines dans une tradition ancestrale et qui n’a pas les moyens de nourrir ses ambitions et ses rêves.
Tout au long de son long monologue, elle dresse un réquisitoire virulent contre les années soviétiques mais aussi contre ceux qui ont profité de la libération en instaurant un régime qui laisse une place trop belle à tous les vices et trafics. Elle déplore la véritable débâcle qui a suivie l’indépendance avec l’épuration, la démolition des structures sociales, la crise économique et les pénuries qu’elle implique, l’apparition miraculeuse de fortunes nouvelles, une véritable chienlit, … Et que dire de la langue ? Celle des parents n’est pas celle des enfants mais sera peut-être celle des petits-enfants, une pagaille générant des incompréhensions préjudiciables au sein des familles. Devant une telle débandade, elle met tout le monde dans le même sac, communistes d’hier, droite et gauche d’aujourd’hui et les hommes qui séduisent les femmes pour les laisser tomber sans vergogne.
Ce monologue très riche, plein de verve, pétulant, souffre toutefois d’hypertrophie verbale. Pénélope/Gohar abuse sensiblement des remarques puériles, des digressions inutiles, des jeux de mots lourds à en devenir balourds, des associations d’idée envahissantes et encombrantes, « laisse ces associations d’idées douteuses », et surtout de la patience du lecteur avec des paragraphes qui font dix, vingt et même un trentaine de pages. Au secours, on asphyxie ! Dommage car toute cette verve et cette créativité pourrait évoquer Pierre Dac, par exemple, et nous emmener dans un tourbillon sarcastique plein de dérision car ce livre qui dénonce beaucoup ne se lamente jamais. Il pourrait, peut-être, tout juste penché s’incliner vers la résignation « …en cherchant une solution à un dilemme insoluble : rester pauvre et honnête, ou bien… Ce dilemme, …, n’avait pas été engendré par la nouvelle réalité capitaliste, il avait toujours existé en Arménie. » Comment choisir entre la fidélité à l’amant intègre et le confort offert par l’amoureux sans scrupule ?