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Chronique d’une expatriée en Argentine

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Positiver, mais comment positiver?

Il paraît qu’il faudrait que je positive plus. Dans la vie, il n’y a pas plus positif que moi, pourtant. Mais là, par écrit, c’est vrai que je me livre à un jeu de massacre à coup de fléchettes ironiques sur tout ce qui dépasse ! C’est volontaire. D’abord quand je parle de l’Argentine. Ce pays va mal, et j’en viendrais presque à regretter d’avoir si bien appris l’espagnol : la lecture du journal m’indignerait moins ! Rien qu’aujourd’hui, on apprend que grâce à des complices bien informés, des malfaiteurs ont dérobé une somme totalement indécente en dollars US au domicile d’une richissime héritière. Pourquoi avait-elle une somme pareille en liquide à son domicile si ce n’était pas pour échapper au fisc ? Et pourquoi des dollars US et pas des pesos ? C’est aussi vrai lorsque j’évoque les aléas de l’expatriation et je l’assume entièrement.

“Femme d’expat : l’enfer au paradis” titrait il y a peu un journal électronique très lu par les expatriés, qui d’ailleurs a repris mon blog en lien. Notre principal problème ? Nous sommes invisibles et personne ne veut reconnaître que nous sommes indispensables. La preuve ? On inaugure la fameuse usine de Gaston dans deux semaines, et je n’étais même pas invitée. Sans parler de ce bénévolat ou ces emplois de bouche-trou sous-payés dont nous sommes des professionnelles malgré nos diplômes et nos QI. A force, l’absence de reconnaissance sociale, ça rend mordante ! C’est sûr, je pourrais m’extasier à longueur de colonnes sur l’étalage de la pâtisserie à côté de chez moi, ou bien analyser les effets comparés sur la cellulite du footing et de la méthode Pilates, ou encore faire l’éloge de la remarquable prof de violon de Petit Frère. A moins que vous ne préfériez que je disserte sur l’inventaire à la Prévert du dernier vide-grenier au profit de l’orphelinat parrainé par mes copines terriennes ? Je ne suis pas sûre que ça intéresserait grand monde !


L’Argentine ubuesque : un fait divers si banal et consternant

C’est un fait divers si banal mais tellement consternant – à moins que ce ne soit l’inverse – de l’Argentine ubuesque de 2010.

Dimanche au petit matin, un couple de jeunes gens âgés de 16 ans qui se déplaçait à moto, s’est tué dans un accident de la route. Ils ne portaient pas de casques et la plaque d’immatriculation de la moto avait été arrachée. Les uns disent qu’il s’agit d’une collision fortuite, les autres que la voiture de la police municipale les poursuivait, voire aurait volontairement provoqué leur chute. La population s’est échauffée, et de véritables émeutes s’en sont suivies. Plusieurs bâtiments communaux dont la mairie ont été incendiés. Les archives de l’état-civil sont perdues.

Un haut responsable de la police municipale a démissionné.

Tant mieux disent les parents d’une des jeunes victimes, les jeunes pourront se déplacer de nouveau sans être persécutés par la police.

On apprend par ailleurs que la coutume dans cette ville est de circuler sur des deux-roues sans plaque, car on n’est jamais bien certain de ne pas être involontairement receleur d’un vol commis sur une autre commune.

Question idiote : ces deux jeunes, si jeunes, que faisaient-ils dehors en pleine nuit, sans casque, sur une moto sans plaques ?


Petits accommodements argentins

Un drame vient de confirmer ce que jusqu’ici les Argentins ne faisaient que soupçonner : la police et la justice de leur pays sont incompétentes. Tout a commencé par le banal départ en weekend d’une famille lambda un samedi soir de la mi-novembre dans la banlieue de Buenos Aires. Elle n’est jamais arrivée à destination. Il a fallu plus de trois semaines à la police pour localiser, grâce à un ouvrier agricole, l’épave du véhicule retourné et les corps de toute la famille, dans un bosquet en bordure d’une route de la pampa, celle-là même que leurs proches avaient indiqué comme leur itinéraire habituel.

Entre temps, la police avait juré avoir ratissé et survolé toutes les routes que la famille aurait pu emprunter, et ne trouvant « rien », juge, enquêteurs et journalistes se sont fait un film. La vie de la famille a été fouillée, salie, et étalée sur la place publique. Violence conjugale, pédophilie, tout y est passé, tout ce beau linge frétillant de plaisir en se roulant joyeusement dans ses fantasmes sordides tellement plus séduisants que les conclusions logiques du plus élémentaire bon sens.

Oui mais voilà, la famille avait tout simplement fait un tonneau et faute de ceintures de sécurité, tous éjectés par le choc, ils sont morts. La maman a semble-t-il survécu, quelques heures, voire quelques jours, avant de rendre l’âme à quelques mètres des corps de ses fillettes, sur le corps de son mari auprès duquel elle s’était traînée, et sans que jamais sans doute la police n’ait effectué le moindre ratissage de la zone. Et que dire de cette juge qui a attendu deux semaines pour vérifier les mouvements sur les comptes bancaires des conjoints !

Voilà qui jette une toute autre lumière sur bien des affaires ayant fait la une des médias argentins. Que penser par exemple du non-lieu tout frais prononcé au bénéfice de la présidente et de son ex-président de mari dans une affaire d’enrichissement personnel ? Et que dire de ce juge qui disposant en tout et pour tout d’un profil ADN incomplet (comprendre mal prélevé) « d’un homme de la famille du mari de la victime » a inculpé de viol et d’assassinat le propre fils adolescent de la pauvre femme ? Sans parler de la disparition d’un témoin clé dans un procès lié à la dictature, ou bien encore celle de cette fillette volatilisée dans un camping.

Pendant longtemps j’ai cru les Argentins victimes de leur histoire – péronisme et dictature – et de leur classe dirigeante corrompue. Mais plus le temps passe et plus le bon sens m’indique qu’après tout, les citoyens de ce pays ne sont victimes que d’eux-mêmes et de leurs propres accommodements individuels avec la morale.

Jardinage en musique

Neuf heures du matin dans une rue ombragée tout près du Rio, dans les beaux quartiers de la banlieue nord de Buenos Aires. Le jardinier, comme toutes les semaines, sonne à la grille de l’imposante villa.

Personne ne répond.

Il insiste.

Toujours rien.

La mucama n’est-elle pas encore arrivée ?

Ou bien lui intime-t-on de laisser poireauter le negro, accaparée qu’elle est par le service du petit-déjeuner ?

Ou bien encore a-t-on négligé d’informer le Péruvien qu’on resterait au campo ?

Il a tout son matériel dans sa guimbarde, il ne veut pas avoir complètement perdu sa matinée. Alors, il attrape un sécateur, grimpe sur le muret, et entreprend de tailler les branches de la haie qui dépassent à travers la grille.

Las ! Il est bientôt détecté par les caméras de sécurité, et l’alarme se déclenche… Le voisinage en est quitte pour plusieurs minutes – ou plusieurs heures- de sonnerie stridente, mais le jardinier, lui, placide, poursuit sa tâche comme si de rien n’était.

PS : Et ne croyez surtout pas que j’exagère la morgue et le racisme des Porteños, ces habitants de la Capitale descendant en droite ligne de la bourgeoisie blanche qui a fait souche sur les bords du Rio de la Plata au début du siècle dernier. Récemment encore, une amie brésilienne me contait la discrimination dont elle est régulièrement victime à cause de sa peau mate.

(mucama : femme de ménage – negro : homme de type non-européen à la peau mate – campo : campagne)

Chronique de la couardise argentine ordinaire

Que fait un automobiliste argentin qui grille une priorité à droite et fait lourdement chuter une mère de famille à vélo (moi…) ?

Réponse : il se barre !

De peur qu’au mieux, elle lui soutire quelques centaines de pesos, ou qu’au pire, elle le fasse chanter pendant des mois ou le traîne au tribunal.


 Un vieillard ou le regard sur la dictature des généraux argentins

Les médias français évoquent régulièrement la dictature chilienne de Pinochet et ses trois mille morts, et beaucoup moins, me semble-t-il, la dictature des généraux argentins pourtant responsable de la disparition de trente mille personnes, parmi lesquelles des français. Au Consulat de France à Buenos Aires figure d’ailleurs en bonne place un avis de recherche reproduisant leurs noms et leurs portraits.

Les Argentins évoquent assez facilement ces années de plomb dont le souvenir est encore bien présent dans la vie de tous les jours.  Il suffit de circuler par l’avenue Libertador au nord de la capitale pour que se glace le sang du passant à la vue des silhouettes humaines accrochées par des militants aux grilles de la tristement célèbre Escuela de Mecanica de la Armada. Elle vient d’ailleurs tout juste de rouvrir ses portes, transformée en lieu de mémoire.

Plusieurs procès de tortionnaires viennent de se clore, ou bien sont en cours ou en passe de commencer, et le travail d’identification des bébés – aujourd’hui des adultes d’une trentaine d’années – retirés à leurs mères ayant accouché en captivité avant de disparaître, se poursuit. Un article indiquait récemment qu’à ce jour quatre-vingt-dix d’entre eux avaient retrouvé leur véritable identité. Au prix de quels déchirements ? Il en resterait encore plus de trois cents, principalement adoptés alors par des familles de militaires. Enfin, des témoins sont ouvertement menacés, voire tout simplement escamotés.

Nestor Kirchner, l’ancien président péroniste qui a transmis – par la voie des urnes, lui – le pouvoir à son épouse en décembre dernier, avait été très décrié pour être revenu sur les lois d’amnistie promulguées par ses prédécesseurs. Sur ce sujet au moins, je ne crois pas qu’on puisse lui donner tort : bien des personnes ayant du sang sur les mains se promènent librement en Argentine. Il est normal qu’elles répondent de leurs actes, même si les fringants officiers des années soixante-dix sont aujourd’hui devenus des vieillards.

Je jurerais avoir un jour été mise en présence de l’un de ces hommes que leur conscience devrait tenailler.

Nous venions d’arriver en Argentine, et on me faisait visiter des maisons à louer, certaines vides, d’autres occupées. Celle-là était habitée par ses propriétaires, m’avait-on dit. En traversant le salon, j’eus l’impression d’avoir pris pied dans un intérieur resurgi d’une autre époque  et plein d’ostentation: meubles anciens, tentures bourgeoises tombant du plafond, lustre de cristal et argenterie. Mon attention a été très vite attirée par les bibelots qui occupaient le moindre espace libre et parmi lesquels figuraient d’innombrables bondieuseries et des photos d’enfants modèles, notamment en costumes de premiers communiants à l’ancienne – gants blancs, mains jointes angéliques, chapelet, missel et brassard de ruban – sauf que les clichés étaient récents : ces enfants-là étaient encore des enfants, ceux-là même qui rentraient goûter en ces lieux chaque jour après leur journée de classe. Sur quoi fonder ce sentiment diffus qui m’a alors enveloppée d’être de passage dans l’intérieur d’une petite tribu qui se voulait bien propre sur elle, lisse, disciplinée et sans reproche, exemplaire même ?

Dans le bureau cossu à l’image du salon d’où je venais, un homme travaillait, un homme de mon âge. Autour de lui, je remarquai d’innombrables objets militaires : sabres, maquettes de bateau, compas, fanions, photographies… : à l’évidence dans cette famille, on était officier de marine de père en fils. L’homme m’a à peine saluée.

Il est déjà gênant de faire irruption dans l’intimité d’une famille et de visiter un logement mis sur le marché en compagnie de ses occupants, ça l’est encore plus lorsqu’on est guidé par un professionnel, en présence des habitants. Aussi, je n’étais vraiment pas à mon aise en commençant l’ascension de l’escalier menant aux chambres, plus exactement de l’escalier de maître, car il y avait un second escalier, de service, à n’en pas douter pour l’usage exclusif de la mucama croisée dans la cuisine.

Il y avait plusieurs chambres dont je n’ai gardé aucun souvenir précis. En revanche ce que j’ai vu dans l’une d’elle s’est imprimé dans ma mémoire. Ayant passé la tête par l’embrasure, je l’avais d’abord crue vide d’occupants, mais un chien s’y trouvait, un bouledogue agressif qui m’a fait reculer en  sautant brusquement de derrière le lit sur l’édredon bleu. Une voix l’a alors stoppé dans son élan. C’était celle d’un vieillard, terré dans un fauteuil disposé à côté de la fenêtre mansardée et à demi dissimulé par une poutre de la charpente. Jamais je n’oublierai le regard de bête traquée que l’homme voûté aux cheveux blancs m’a alors jeté, avant de m’ignorer superbement.

Je n’ai pas demandé mon reste et me suis efforcée d’abréger la visite.

Je reste persuadée qu’au fond de cette maison, cet homme espérait se faire oublier pour toujours et qu’il préférait regarder le monde de sa fenêtre dans la seule compagnie d’un chien méchant perçu comme un rempart, plutôt que de sortir et de risquer de croiser le regard de sa conscience dans celui de l’homme de la rue.


L’enlèvement virtuel : nouvelle “mode” en Argentine?

L’imagination des délinquants est sans limite. Parce que la pauvreté s’accroît à mesure que le tissu social argentin se rétracte – c’est à dire à la vitesse de la marée descendante au Mont Saint Michel – les faits d’arme des délinquants argentins constituent un catalogue chaque jour plus effrayant. Le nombre de personnes abattues sur le pas de leur porte ces dernières semaines par des voleurs de voitures mineurs totalement intouchables en est une preuve parmi d’autres.

Un autre délit est à la mode à Buenos Aires depuis déjà plusieurs mois : le secuestro virtual, c’est-à-dire l’enlèvement virtuel. Les cerveaux en sont paraît-il des détenus, car un téléphone cellulaire et un complice en liberté suffisent à le commettre.

D’une part, l’enlevé virtuel reçoit un appel sur son cellulaire. La compagnie de téléphone lui demande de couper son téléphone pour une opération de maintenance. S’il obéit, il devient donc injoignable.

D’autre part, un proche de l’enlevé virtuel reçoit un coup de fil affolant. Les scénarios sont multiples. Parfois c’est la police qui annonce qu’un grave accident est arrivé mais très vite les menaces arrivent. Entre autres celle de torturer (ou pire) la personne soi-disant enlevée si l’on tentait de la joindre sur son cellulaire.

En contrepartie de la libération de la personne en question, il faut aller déposer une certaine somme d’argent et tous les objets de valeur dans un lieu qu’on vous indique, où un complice passera les récupérer. Lorsque le proche rejoint son domicile ou téléphone le plus naturellement du monde et qu’il dit qu’il n’a jamais été menacé, il est trop tard pour récupérer ce qu’on a naïvement trop vite donné.

Bien des gens s’y sont laissé prendre, puis les autorités ont donné une certaine publicité à l’arnaque et aux mesures prises dans les prisons, si bien que plus grand monde ne s’y laisse prendre. Sauf, entre autres, les familles expatriées pas encore au fait de l’imagination et de l’ampleur des complicités dont bénéficient les délinquants en Argentine. Deux familles françaises en ont été victimes ces dernières semaines, sans conséquence grave heureusement, mais dans les deux cas, il était évident que les auteurs des appels étaient très, très bien renseignés, et jouissaient manifestement de complicités y compris dans l’administration, rendant leurs menaces particulièrement crédibles.

Ce qui est finalement le plus inquiétant, et le plus révélateur de l’état du pays.


Par amour du tango

Tous les professeurs de danse crient pour se faire entendre par-dessus la musique. Aussi, ce n’est pas le ton de la voix de Christine Versé qui surprend quand on franchit la porte de son studio, mais qu’elle corrige ses élèves en trois langues. Comment une danseuse belge qui parle anglais sans accent ouvre-t-elle une école de danse classique, fréquentée par les expatriés de toutes origines et les Argentins, dans la banlieue nord de Buenos Aires ? Paradoxalement, par amour du tango.

Christine Versé passe sa jeunesse à Bruxelles, entre un institut religieux et l’Ecole de Lilian Lambert où elle étudie la danse classique. On est loin des milongas. Elle délaisse un temps la danse pour poursuivre ses études de langues à Londres puis Madrid, avant de rejoindre Washington en 1971. Elle s’y forme à la danse contemporaine avant de s’envoler en 1980 vers Los Angeles où vivent sa sœur et le mari argentin de celle-ci. Elle y travaille huit ans. Au milieu des années 80, son beau-frère et sa sœur déménagent à Buenos Aires. Christine hésite, puis en 1988, décide de les suivre.

Entre temps, Christine avait été fascinée par le spectacle Tango Argentino de Claudio Segovia et Hector Orezzoli. Elle arrive donc à Buenos Aires à un moment où, comme au début du siècle, l’intérêt pour le tango est relancé par le succès qu’il connaît à l’étranger.

Un jour, elle se rend dans une milonga. Captivée, Christine consacre bientôt toutes ses nuits au tango entre cours et milongas, tout en continuant à enseigner la danse classique dans la journée. Elle se passionne et suit les enseignements de différents professeurs, prend des cours particuliers et apprend le rôle du partenaire masculin. En 1991, un imprévu la conduit à organiser une série de stages de tango à Bruxelles. C’est un tel succès qu’aujourd’hui encore, chaque année pendant les grandes vacances argentines, elle retourne dans l’école de danse de ses débuts pour apprendre le tango aux bruxellois.

En 1992, se crée à Buenos Aires le Centro Educativo del Tango de la Ciudad de Buenos Aires. Christine Versé fera partie de la seconde promotion. Pendant cinq ans, trois soirées par semaine, elle étudie tout ce qui se rapporte au tango, histoire et technique, mais aussi histoire de l’Argentine, sociologie, poésie, etc. Elle enseigne toujours la danse classique, à l’Instituto Universitario Nacional del Arte où elle donne encore classe à ce jour.

Elle met le pied en zone nord en 1996 quand l’école Lincoln cherche un professeur de danse parlant anglais. Elle ouvre bientôt son premier studio à La Lucila. Sa rencontre avec Daniela Aimar Baud et un déménagement forcé la conduiront à fonder en 2001 La Danse and More à San Isidro. On y enseigne la danse classique et le jazz dance. Mais le samedi après-midi, c’est tango.


I cry for you, Argentina

Une expérience récente me pousse aujourd’hui à tenter de formuler pourquoi, après quatre années en Argentine, je préfèrerais partir. C’est que je supporte de plus en plus mal l’abîme qui sépare les riches des pauvres dans ce pays, et le fatalisme – ou la passivité, je ne sais – des classes moyennes prises en étau entre les deux.

D’un côté il y a donc une classe dirigeante, opposition – divisée – et majorité confondues, corrompue, riche à millions, arcboutée à la fois sur les rênes du pouvoir politique et économique. Des virtuoses du pot de vin, du rideau de fumée et de la tempête médiatique dans un verre d’eau, qui scrutin après scrutin, se maintiennent au pouvoir moyennant des achats de vote directs ou indirects, en finançant les « bonnes » organisations populaires. Un frigo, une route bitumée ou une conduite de gaz et voilà le maintien au pouvoir assuré.

De l’autre côté, des pauvres, très pauvres, dans les villas (dire ‘vijasse’), ces favelas argentines présentes jusqu’au cœur de Buenos Aires, ou bien encore dans les réserves indigènes comme dans le Chaco où on laisse les populations de villages entiers sans services élémentaires, mourir à petit feu du mal de Chagas. Un véritable crime contre l’humanité, commis dans une province dont le gouverneur est un favori du pouvoir en place et dont la mise dégouline d’arrogance et de pesos à chacune de ses apparitions télévisées.

Au milieu, prise en étau, une classe moyenne qui se fait plumer méthodiquement, par le biais d’une foultitude d’impôts et de lois iniques comme celle qui il y a dix-huit mois nationalisait les fonds de retraite privés. A chaque fois, on se dit que les bornes sont dépassées, que les gens vont réagir, descendre dans la rue, puisque leurs votes ne font rien changer… Mais, après quelques gesticulations, c’est retour à la case départ et statu quo, comme lors de la crise du Campo il y a deux ans. Alors on se regarde le nombril, et on court chez le psy – profession surreprésentée en Argentine – ou bien on se scrute dans le miroir, et on se précipite cette fois chez le chirurgien esthétique. Fatalisme diront certains. Passivité diront d’autres. Ce que j’ai cru moi observer, c’est que tous ces gens préfèrent ne pas trop bousculer le pouvoir en place de peur qu’on les empêche de vaquer à leurs occupations et petites fraudes habituelles, en commençant par les feux rouges et la TVA.

Voilà pourquoi je veux partir : ce pays ne changera pas et j’en ai ras le bol d’être la seule de la rue qui n’envoie pas ch… la cartonera (voir Les gens de Buenos Aires ) et ses sept gosses à la peau trop sombre, qui, semaine après semaine, reviennent sonner chez moi pour une boîte de lait en poudre.

Malgré tout l’Argentine va nous manquer.

Les empanadas d’abord, les pâtes fraîches, la glace de mousse de chocolate (dire moussé dé tchocolaté), les submarinos, les alfajores, le café, le vin de Mendoza.

Les caricatures et la photo qui parle de Nik dans La Nación, et puis le chat Gaturro.

Le couturier au coin de la rue et les livraisons à domicile, du pain, du yaourt et des légumes, et même des croquettes du chat !

L’espagnol savoureux des Argentins, histoire de ne pas oublier qu’ils ne sont jamais que des Italiens parlant castillan, che ! (« tché » comme disait aussi un Argentin célèbre du nom d’Ernesto Guevara)

Les immensités inhabitées et les paysages grandioses de fin du monde en Patagonie.

Et puis la lumière.

Et le soleil d’hiver. Car comme le disait Fille Aînée tout à l’heure : à Buenos Aires, il fait presque plus beau en hiver. Et en plus ça rime…

I really do cry for you, Argentina.

Anne Delacharlerie
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