Asli, Meltem et Gul sont trois amies d’enfance. Elles habitent à Usküdar, quartier populaire et traditionnel au bord du Bosphore, face à la Tour de Galata. Elles se connaissent depuis l’école primaire et ont eu la chance de se retrouver étudiantes à l’Université d’Istanbul. Toutes les trois portent le türban, ce voile habilement ajusté par de fines épingles autour du visage et du cou qui ne laisse pas passer les petits cheveux. Asli le porte par tradition familiale, comme sa mère, ses tantes et sa grand-mère, originaires de Konya, Meltem le porte par conviction religieuse et Gül, parce que son fiancé le lui a demandé.
Chaque matin, elles traversent le Bosphore en vapur, le ferry maritime, puis prennent le tramway qui les dépose près de l’entrée de l’Université. Toutefois, avant de franchir les imposantes portes ottomanes de cette institution, elles passent chez leur amie Canan … pour échanger le voile contre une perruque, en cheveux synthétiques, mi-longs et bruns. Avec le voile en effet, elles n’auraient pas l’autorisation de pénétrer sur le campus. Décision des militaires lors de leur dernier coup d’Etat, en 1981 !
Or la semaine dernière, les députés ont pris une décision qui pourrait leur faciliter la vie : ils ont approuvé, par une majorité de 404 voix sur 505, l’autorisation du port du voile dans les universités. Un symbole vient de tomber, ce qui provoque de vives réactions comme en témoignent les marches de protestation de centaines de milliers de personnes à Ankara les deux derniers week-ends. Certains appellent la Cour Suprême à invalider cette loi dangereuse … ce qu’elle ne fera probablement pas.
Dangereuse, cette loi ?
A première vue, elle lève une discrimination en ne mettant plus de barrage à l’accès aux études pour une certaine catégorie d’étudiantes : plus de libertés donc plus de démocratie. Mais de plus près, la situation est plus complexe qu’il n’y parait … comme c’est souvent le cas en Turquie. Pour faire voter cette loi, le parti AKP de Recep Tayip Erdogan s’était assuré du soutien du MHP, parti d’extrème droite, farouchement opposé au projet de Constitution civile en cours de rédaction qui accorderait plus de droits et de libertés au citoyen par rapport à l’Etat et à la nation.
Ensuite, comme le fait remarquer Cengiz Aktar, directeur du Centre d’Etudes Européennes de l’Université de Bahcesehir (Istanbul), dans un edito du Turkish Daily News, cette décision est très maladroite et souligne une tendance du gouvernement qui se dessine depuis les élections du 22 juillet et que l’on pourrait résumer par « j’ai la majorité et je gouverne comme je le veux ».
Si cette décision avait été prise en 2002-2004, quand de grandes réformes transformèrent en profondeur les lois du pays et permirent l’ouverture des négociations avec l’UE, elle serait passée dans ce vent démocratique qui soufflait alors et n’aurait pas provoqué les durcissements et les fortes tensions que l’on perçoit aujourd’hui. Et ce d’autant plus, qu’une grande partie des intellectuels, y compris laïcs, considère qu’il ne devrait pas y avoir de problème de voile à l’université. Si le gouvernement avait auparavant modifié l’article 301 comme il l’avait promis et alors que l’anniversaire de la mort de Hrant Dink, le 19 Janvier dernier, mettait cet article infamant pour la liberté d’expression sous les feux des projecteurs, cette décision de lever l’interdiction du voile n’aurait pas été perçue comme une préférence donnée à la majorité de son électorat.
Enfin, en ne montrant pas de volonté politique forte pour faire abroger l’article 301 mais en montrant une volonté politique forte pour abroger ce voile sur les campus, Erdogan semble plus soucieux de « moralité publique » que de «démocratie » et favorise la loi de la majorité plus qu’une montée du pluralisme.
Mais peut-être nos trois étudiantes seront-elles plus heureuses?
Rien n’est moins sûr car cette loi définit strictement la façon de porter le voile : non pas habilement ajusté mais juste noué sous le menton (on ne parle alors plus de türban, mais de basörtüsü) comme le veut la tradition populaire … Nul doute qu’elles devront continuer à passer chez leur amie Canan pour ajuster leur coiffe. Et y boire le thé.
mis en ligne sur www. rue89.com
- Rentrée littéraire dans le monde littéraire franco-turc - Juil 5, 2014
- L’hiver à Istanbul : Tschitir tschitir … - Juil 5, 2014
- Kyoto, la capitale ancestrale, entre le Zen et les plaisirs terrestres - Juil 5, 2014
j’avais oublié
à quand une loi pour le satanisme
à quand une loi pour l’église de scientologie?
les témoins jehova
et j’en passe
à quand un loi permettant aussi la burqa?
à quand une loi permettant la barbe jusqu’au ventre?
à quand une loi pour les 5 prieres par jour?
à quand une loi pour la fermeture de l’université le vendredi?
Article très intéressant, merci