Litterature americaine. Pourquoi je déteste Noël de Robert Benchley est un petit recueil de nouvelles qui égratigne les mythes, images et clichés de Noël en mêlant une une plume talentueuse et humour noir, décalé et jubilatoire!
Ou comment égratigner l’imaginaire de Noël avec humour
Noël est, par excellence, la fête des bons sentiments où s’égraine, des plateaux de télévision aux dîners de réveillon, à l’ombre du sapin surchargé de guirlandes, tout un chapelet de propos convenus, de truismes sirupeux. Autour de la table familiale, se trouvent toujours un oncle ronchon ou une cousine sèche et nostalgique prêts à répéter, comme chaque année à pareille époque, que les Noël d’aujourd’hui n’ont rien de comparable à ceux d’autrefois. Et d’étayer leurs propos d’exemples édifiants, moralisateurs, où se bousculent en vrac la neige (forcément absente aujourd’hui), la procession sous un climat polaire (mais si sain) jusqu’à l’église pour assister à la messe de minuit, les oranges offertes comme seuls cadeaux aux petits enfants pauvres.
Les cadeaux, justement. Voilà bien le problème auquel nous sommes régulièrement confrontés. Qu’offrir à cet oncle et à cette cousine agaçants que nous ne voyons qu’une fois l’an et qui, de toute manière, ne seront jamais satisfaits et le feront savoir d’une moue plus ou moins ostentatoire ? Or, cette année, nous tenons notre revanche avec un livre de circonstance qui produira le meilleur effet dans un emballage de papier coloré. Ce n’est pas très charitable, sans doute, mais la seule perspective de les imaginer, l’un et l’autre, s’indigner à la lecture de ce petit recueil de nouvelles farci de mauvais esprit plus que la dinde ne le sera jamais de foie gras, suffit à nous réjouir.
Ce livre, c’est Pourquoi je déteste Noël (Wombat, 96 pages, 13 €), de l’écrivain américain Robert Benchley (1889-1945), qui publia ses chroniques dans des revues aussi prestigieuses que le New Yorker ou Vanity Fair et demeure l’un des maîtres incontestés de l’humour au vitriol outre-Atlantique. En douze textes inégaux, mais souvent hilarants, l’auteur nous donne une autre vision de l’Amérique, celle d’une époque ou le conservatisme forcené des « Tea Party » n’existait pas encore et où le puritanisme devait s’accommoder du poil à gratter iconoclaste qu’il distribuait généreusement dans chacun de ses articles.
Toutes les conventions et les idées communément admises sur les fêtes passent au crible de Robert Benchley dès la première nouvelle, Un bon vieux Noël à l’ancienne, où l’on voit un père de famille, à force d’ennui et d’exaspération, étrangler tous les convives. L’auteur évoque encore le calvaire des cartes de vœux, la naïveté des parents (non partagée par leur enfant) devant les cadeaux déposés par « Papa Noël », une nuit de la Nativité au cours de laquelle la (trop curieuse) petite Editha finit giflée et suspendue au lustre du salon, ou bien un vieil oncle indigne narrant à ses neveux et nièces (de véritables pestes !) des contes à dormir debout. L’un des textes les plus drôles raconte les mésaventures de parents bien-pensants ayant invité pour Noël l’affreux camarade de leur fils, trop éloigné de sa famille pour la rejoindre. Si l’on ajoute à cela un chapitre consacré à l’invention de la neige artificielle et un autre où l’auteur plaide pour l’ajout au calendrier un jour supplémentaire, destiné à récupérer de la cuite carabinée prise lors du réveillon de la saint-Sylvestre, on comprend que ce recueil fera rire jaune la plupart des bonnes âmes, des adorateurs de l’enfant-roi supposé aussi attendrissant qu’innocent, mais passer un excellent moment aux esprits caustiques.
Tout cela nous est servi avec un remarquable talent de plume et l’art consommé d’un humour à la fois noir, absurde, résolument décalé, pince sans rire, iconoclaste, aux effets dévastateurs et jubilatoires.
Extraits : « – Ça, c’est un début de conte de fées, espèce de grosse andouille ! s’écria la petite Dolly, une enfant obèse et désagréable qui n’aurait jamais dû naître. »
« « George est un petit garçon très bien, dites-vous à votre fils, tu devrais prendre exemple sur lui. » […] Or, pendant ces dix jours, George entraîne votre fils dans des expériences sur l’électricité qui aboutissent à faire sauter tous les fusibles de la maison et à brûler l’allume-cigare qu’ils avaient chapardé dans la voiture. Il le pousse aussi à traiter la cuisinière d’espionne allemande rôtisseuse de bébés, à insulter plusieurs petites filles du voisinage jusqu’à ce qu’elles pleurent et le menacent de représailles parentales, ainsi qu’à refuser de manger des épinards. Or vous savez pertinemment que Bill n’aurait jamais trouvé ces idées tout seul – il n’a pas assez d’imagination. »
Illustration « Noël » vu par Hara Kiri.
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