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Rencontres Photographiques d’Arles : Retour d’Arles

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gassian-cohen.1278852739.JPGQuatre jours aux Rencontres Photographiques d’Arles, dont les expositions durent, pour la plupart, jusqu’au 19 septembre; quatre jours de visites dans la chaleur pour 24 lieux (j’ai tout vu, sauf les deux expos de Montmajour, trop loin et pratiquement réservées aux possesseurs de voitures), 60 expositions du festival, plus quelques autres off, et des centaines de photographes, des milliers de photographies. Trop, c’est trop !

L’impression qui ressort après ces visites est un trop-plein, une absence de choix, de sélection, un tout-venant accepté par paresse ou par copinage. Il y a sept ou huit expositions de qualité, voire de très grande qualité, dont je vais parler au cours des prochains jours; il y a à trois ou quatre endroits (plus le off) l’occasion de découvrir de jeunes photographes encore inconnus (encore qu’inclure Hans-Peter Feldmann, 69 ans et hyper-connu, pour le Prix Découverte est assez gonflé), et le plaisir devrait s’arrêter là. Le reste est de trop.

pigozzi-cannes-86.1278853100.JPGLes prochains billets seront donc sur cette douzaine d’expositions qui m’ont paru justifier le festival, ce billet-ci va être consacré au superflu. Pas nécessairement au médiocre : mais qui a besoin d’une énième exposition de Fischli et Weiss ou d’un petit échantillon du travail de Peter Klasen ? Beaucoup de photographes ‘people’ (y compris dans une soirée au Théâtre antique, où, entre autres, le portraitiste des Sarkozy s’est fait siffler), des alignements de rock stars par Claude Gassian (en haut, un beau portrait de Leonard Cohen) et de stars jet-set par Jean Pigozzi (ci-dessus Cannes 1986), du Paris-Match à profusion et cinquante fois la (belle) gueule de Mick Jagger : ce n’est pas de la mauvaise photographie, mais qu’est-ce que ça fait là ?

pierre-boucher-nu-a-telouet-1936.1278854245.JPGQu’ensuite on inclue les partenaires, Picto (avec ce Nu à Telouet de Pierre Boucher, en 1936, montage à la Chirico inspiré par la kasbah du Glaoui), Télérama, VU’, l’Éducation Nationale (photos de classe), la Mission de la Photographie (autoportraits de donateurs) ou la Ville d’Arles (Tendances 2010), c’est de bonne guerre, mais ça n’a en général rien de passionnant; l’exposition Chambres Claires, transposée de l’excellent Musée Niepce à Chalon est néanmoins fort bien faite et, comme d’habitude intelligemment pédagogique. Également, une belle série d’affiches sur la vie en prison accompagne le parcours aux Ateliers, en liaison avec le rapport du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté.

campeau-berlin-2.1278853397.JPGRestent ensuite une dizaine d’expositions monographiques pas totalement dépourvues d’intérêt mais que, personnellement, j’ai jugées être à la limite de ce que je souhaitais voir ici : le travail en couleur d’Ernst Haas, formel, presque précieux; le démontage des photos retouchées de la propagande chinoises par Zhang Dali, intéressant d’un point de vue ‘investigatif’, documentaire et historique, mais où j’ai du mal à reconnaître un travail créatif; les chambres noires de Michel Campeau, artisanales au Niger, high-tech à Montréal, théâtrales à Berlin (ci-contre), comme des temples secrets de la photographie; les mystérieuses photos sibériennes de Klavdij Suban; le photoreportage sur les Iraniens de Paolo Woods (‘Marche sur mes yeux’, beau titre); et encore l’Arlésien François Halard, Patrick Bouchain, François Deladerrière, les vidéos de Fowler et Hutton : on passe vite, espérant mieux.

valansi-mad-0800055.1278853195.JPGOutre les Ferrari (père et fils) dont je reparlerai, cinq Argentins sont exposés à l’Atelier des Forges : parmi eux seul ressort le travail original de Gabriel Valansi, ses MAD (Mutual Assured Destruction; ci-contre MAD 0800055), photos de mémoires d’évènements violents, de l’instant juste avant la catastrophe, des interstices avant la destruction, de l’impression sur la rétine avant l’explosion. Face à ces photographies superposées jusqu’à former un motif voilé, on pense à Walid Raad, à Hadjithomas et Joreige, mais surtout à Renaud Auguste-Dormeuil, qui lui aussi traduit de manière très formelle la dernière seconde où on est encore en vie.

archive_5413_dadapost-11.1278852723.jpgEnfin, pour conclure mes insatisfactions, la lauréate du Photofolio Gallery 2009, Lea Golda Holterman, expose des portraits d’adolescents ultra-orthodoxes, à demi dénudés, chlorotiques, dépourvus de la moindre sensualité (Orthodox Eros); elle dit, dans ses interviews, vouloir réhabiliter l’image de la communauté hiérosolymite ultra-orthodoxe où elle a elle-même été élevée. J’ai du mal à voir l’érotisme qu’elle promet dans ces portraits tragiques de jeunes hommes frustrés recrutés par petites annonces, et j’ai du mal à voir en quoi cette exposition téléologique (mais elle dit éviter de montrer ces photos en Israël !) va changer l’image de sa communauté. C’est l’exposition la plus irritante de tout le festival.

Demain, du positif, tout ce que j’ai aimé (tout ce qui n’est pas cité plus haut, en fait), ce à quoi, à mes yeux, le festival aurait pu se réduire.

Photo de l’auteur (avec reflets…) excepté Lea Golda Holterman.

Feu à volonté (Arles 2)

shoot-beauvoir-sartre.1278867139.JPGL’exposition dont tout le monde (et Le Monde) parle à Arles est celle de Clément Chéroux consacrée au tir photographique, passe-temps de fête foraine du début du XXème siècle, où l’analogie du tir au fusil et de la photographie est mise en évidence. L’attraction en est d’abord le stand de tir à l’entrée, où tout bon tireur atteignant le centre de la cible se verra remettre son portrait (pour voir le mien, aller du côté des ‘réseaux sociaux’), mais, au-delà de l’amusement, comme on pouvait s’y attendre, c’est une exposition qui interroge la pratique même de la photographie. La présence de Jean-Paul Sartre accompagnant Simone de Beauvoir au tir en 1929 (il a 24 ans, elle 21, et tous deux ont des yeux bien étranges) permet de gloser sur l’existentialisme de la photographie, l’accomplissement photographique étant ici intrinsèquement lié à l’autodestruction symbolique, au fait non pas tant de faire feu sur soi-même que de se trouver tiré alors qu’on tire. L’artiste israélien Omer Fast avait, dans un registre plus tragique, utilisé cette ambiguïté du mot ‘Shoot’, entre cinéma et extermination.

shoot-man-ray-lee-miller.1278867159.JPGLa première partie de l’exposition est plutôt historique et documentaire : célébrités venues tirer (ici Man Ray tirant et son assistante-maîtresse Lee Miller serrant contre elle l’appareil photographique que Man Ray vient sans doute de lui confier; ont-ils rencontré Sartre et Beauvoir Porte d’Orléans ?) et, parmi les anonymes, un militaire allemand en 1944 ou des officiers italiens en 1940. Il y a aussi une série de photographies montrant la hollandaise Ria van Dijk tirant année après année depuis 1936 (aujourd’hui âgée de 90 ans, elle est, paraît-il passée tirer sur le stand à Arles, mais je n’ai pu en avoir la trace), vieillissant d’année en année, s’adaptant aux modes vestimentaires, entourée d’amis, de vieilles copines, puis de curieux venus la voir, constituant en fait au fil des ans une histoire sérielle qu’Erik Kessels a découverte et publiée (’In almost every picture#7′).

shoot-jf-lecourt-2.1278867491.JPGPlusieurs artistes contemporains retravaillent le tir photographique. Jean-François Lecourt tire sur ses propres autoportraits avec une grande violence : impacts multiples, acharnement destructif sur la photo, impacts groupés sur son visage et son sexe, destruction de son appareil photo. De Niki de Saint-Phalle, est montré un petit film (Tir) où elle tire sur des poches de plâtre d’où s’échappe de la peinture, mais ‘Daddy’, son règlement de compte au fusil avec son père incestueux, n’est qu’évoqué ici.

shoot-steiner-3.1278867171.JPGEmilie Pitoiset (dont les tirs étaient montrés au Palais de Tokyo il y a quelques mois) s’interroge davantage sur le geste photographique, sur la vérité et l’illusion qu’il induit. Rudolf Steiner réalise sans doute le travail le plus expérimental : sa balle perce un trou dans un sténopé, créant ainsi un objectif par lequel la lumière peut impressionner le film; le film lui-même étant aussi percé par la balle, l’empreinte lumineuse et celle de la balle se superposent, le trou du film se trouve à l’emplacement du canon du fusil. Dans ces photographies, les formes floutées, indistinctes pivotent autour du canon du fusil, point physique et lumineux à la fois, axe de la composition. Agnès Geoffray (dont la vocation d’artiste est due à la mort de ses parents écrasés par une sculpture de Chris Burden à la Biennale de Lyon) flirte avec sa propre mort en mirant le canon d’un fusil tenu à bout de bras.

1979174-27289611.1278867113.jpgOn arrive enfin à une pièce d’où viennent les bruits de fusillade qui nous ont accompagnés pendant toute la visite. Cernés par quatre écrans, nous sommes la cible de tireurs en tout genre, au pistolet ou à l’arme automatique, soldats, gangsters ou cow-boys, tireurs couchés, debout ou en position, froids assassins ou tueurs compulsifs. Ce sampling de scènes frontales de tir, fait par Christian Marclay en 2007 (Crossfire) image11.1278867127.jpgterrifie d’abord, et plusieurs spectateurs sortent aussitôt. Si on tient pendant les dix minutes, criblé de balles, le souffle coupé, assourdi (manque l’odeur de la poudre), on atteint en fait une sorte de nirvana post-mortem, de sérénité jouissive, de climax (Quel est le titre de ce film où, dans la scène finale, les trois gangsters gringos, s’échappant d’une banque au Mexique après leur hold-up, sont accueillis par les salves de centaines de soldats qui tirent à volonté ?). Marclay a réalisé là un montage remarquable qui parfois s’accélère et parfois se calme, respirant, scandé, rythmé, hallucinant, fascinant, nous tenant à sa merci.

C’est une exposition à la fois distrayante et profonde. J’aurais toutefois aimé qu’elle soit étendue du côté de la prise de photo automatique, quand le photographe n’intervient pas directement sur la prise de vue, ce qui ouvre des pistes de réflexion tout à fait congruentes. J’ai par exemple pensé à la photo de mariage de Jeff Guess, prise par un radar routier; mais ce n’est pas un tir, même si la police est aussi impliquée. On pourrait aussi élargir le propos sur les liens entre photographier et tirer, avec le fusil de Marey ou les cinémitrailleuses des bombardiers allemands.

Photos de l’auteur, excepté Geoffray et Marclay.

Marc Lenot
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