Rose Valland est cette conservatrice de musée qui s’est illustrée, à sa manière, dans la Résistance au nazisme – à l’occasion de l’exposition du CHRD de Lyon en 2010 [1]. C’est justement cette exposition qui a été l’inspiration de la fiction diffusée sur France Inter le 8 mai 2010, intitulée « Rose Valland, historienne d’art et résistante ». L’intrigue se concentre principalement sur la période 1939-1944.
L’E.R.R. s’installe au musée du Jeu de Paume
1939 : la guerre éclate et Rose Valland est chargée par Jacques Jaujard, directeur des Musées nationaux, de mettre à l’abri les collections nationales du musée du Jeu de Paume, dont elle est conservatrice depuis 1932.
Mais avec la défaite française au printemps 1940 commence l’occupation allemande. La mainmise nazie s’effectue aussi dans le domaine artistique. Car rappelons que la logique totalitaire consiste à contrôler tous les pans de la société, à ne rien laisser en dehors du contrôle de l’Etat et du parti. Or, au sein du NSDAP, Alfred Rosenberg est le théoricien, l’idéologue. Ce fanatique entend débarrasser l’Europe de la « juiverie internationale », et cela passe notamment par la confiscation des objets d’art appartenant aux Juifs. Ainsi est créé un Institut qui porte son nom, l’Institut du Reichsleiter Rosenberg – en allemand Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg. L’E.R.R. est chargé d’organiser la spoliation systématique des collections appartenant aux Juifs et aux francs-maçons. L’idée de Rosenberg, notamment, est de revendre les biens ainsi pillés pour financer sa politique antisémite. Mais les trésors volés doivent aussi enrichir les collections des musées allemands et celles d’Hitler. En France, l’E.R.R. est dirigé par le colonel Kurt von Behr. Dans un premier temps il s’installe dans trois salles du musée du Louvre.
Mais rapidement, ces salles se révèlent trop étroites et, surtout, insuffisamment discrètes. Aussi, tout au long du mois d’octobre
1940, des négociations sont menées entre l’état-major de l’Institut Rosenberg et Jacques Jaujard qui lui cède le musée du Jeu de Paume. Lors de ces négociations, le directeur des Musées nationaux obtient de von Behr l’établissement d’un inventaire contradictoire : en clair, le personnel français d’un côté, et les Allemands de l’autre, devront établir un inventaire de toutes les
pièces transitant par les locaux de l’E.R.R. En réalité, cet accord ne sera pas respecté.
C’est ainsi que le 1er novembre, Rose Valland voit des dizaines d’Allemands débarquer et une multitude d’œuvres d’art
acheminées dans son musée. Ce jour-là, le colonel von Behr lui adresse la parole, ce qui légitime d’une certaine façon sa présence au musée. Officiellement, Rose Valland est chargée d’assurer la liaison entre l’administration allemande et le personnel français qui sera chargé des tâches de manutention (chauffage, entretien des installations électriques…)
Mais le même jour, Jacques Jaujard lui a donné l’ordre de se maintenir au musée du Jeu de Paume « coûte que coûte ».
C’est donc là que, pendant quatre ans et de manière clandestine, Rose Valland va effectuer l’inventaire que souhaitait le directeur des Musées nationaux. Elle dresse des centaines de fiches sur lesquelles elle note tous les renseignements qu’elle peut obtenir sur les œuvres transitant au Jeu de Paume : leur origine, leurs propriétaires, leur destination en Allemagne… Elle tente
aussi de recueillir des informations sur l’organisation et le fonctionnement de l’Institut Rosenberg. Elle qui est timide se force à faire la conversation avec différentes personnes pour compléter ses renseignements : elle s’entretient par exemple avec un chauffeur employé par les Allemands qui lui raconte l’enlèvement des œuvres d’art chez leurs propriétaires et leur
chargement dans les trains ; elle discute avec Louis Deforges, qui travaille au Louvre et lui livre des informations sur ce qui s’y passe ; elle est également en liaison avec Gaston Petite, chef du personnel de gardiennage au Louvre. Régulièrement, Rose Valland rencontre Jacques Jaujard pour faire le point sur les informations qu’elle est parvenue à collecter.
Menacée de mort
Ses activités sont évidemment risquées. À quatre reprises, Rose Valland est renvoyée du musée. Mais elle se débrouille toujours pour y revenir rapidement. Plusieurs fois, les Allemands la soumettent à des interrogatoires serrés suite à des vols ou simplement à un chauffage défectueux qui sont assimilés à des actes de sabotage.
Dans le livre [2] qu’elle a écrit bien après la guerre pour raconter son expérience sous l’Occupation,elle évoque à peine le jour où elle fut surprise en train de déchiffrer une adresse. Par ailleurs, dans ses carnets, elle note que le 8 février 1944 elle eut une longue discussion avec Bruno Lohse, l’un des nombreux experts de l’E.R.R., qui l’avait surprise lui aussi en train de déchiffrer une adresse. À cette occasion il lui fait bien comprendre qu’elle pourrait être fusillée… Pendant la guerre, les autorités allemandes ont d’ailleurs soumis une attestation aux Français travaillant au Jeu de Paume leur enjoignant de garder le silence le plus complet sur tout ce qui se déroulait au musée. Rose Valland refusa de la signer.
Le Musée du Jeu de Paume est aussi l’un des endroits de prédilection de la plus haute personnalité du Reich, après Hitler :
Hermann Gœring. En effet, ce passionné d’art y vient à de multiples reprises entre 1940 et 1943 pour choisir les tableaux ou les sculptures qui lui plaisent et qu’il s’approprie sans scrupules.
Jusqu’en 1943, c’est Gœring qui, dans les faits, est le véritable chef de l’Einsatzstab. Rosenberg n’en reprendra véritablement les rênes qu’à cette date, quand le Reichsmarschall prendra ses distances avec le musée du Jeu de Paume qui ne lui apporte plus la même qualité d’œuvres d’art.
Les services de l’E.R.R. se voient confier, à partir de 1942, la tâche d’accueillir les œuvres de qualité prises dans les
appartements vides des Juifs déportés ou en fuite dans le cadre de l’opération baptisée « Möbel Aktion ». Celle-ci consistait à déménager tout le mobilier de ces appartements pour les
confier à l’administration allemande. Plus de 71 000 appartements sont ainsi vidés.
Le travail de l’E.R.R. continue jusqu’au dernier moment, en
août 1944, alors que la libération de Paris commence. Rose Valland parvient à faire stopper un train de 51 wagons rempli de tableaux et de mobilier.
Toutes les informations que Rose Valland a accumulées pendant la guerre serviront ensuite à retrouver un grand nombre d’œuvres d’art qui avaient été volées par les nazis.
En 2005, une plaque a été inaugurée au musée du Jeu de Paume : elle rappelle en quelques lignes l’action de Rose Valland en ce
lieu durant l’Occupation. Le film de John Frankenheimer, la réédition du Front de l’Art en 1997, l’exposition du CHRD de Lyon en 2010, plusieurs livres à son sujet [3] et maintenant une
fiction radiophonique : voilà autant d’occasions de se rappeler l’action d’une résistante qui a toujours été très discrète, voire secrète.
[1] Cf. Rose Valland
[2] VALLAND, Rose, Le Front de l’art, Paris, Réunion des Musées nationaux, 1997 (première édition, 1961).
[3] Cf. la bibliographie donnée à la fin de l’article indiqué dans la première note.
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