« Vous allez voyager dans le pays des merveilles. L’étonnement, la stupéfaction seront probablement l’état habituel de votre esprit. » Les merveilles annoncées par le capitaine Nemo à Pierre Aronnax, dans le fameux roman de Jules Verne Vingt mille lieues sous les mers (1869), ne sont pas seulement naturelles… Au cours de cette odyssée de dix mois qui fascina des générations de lecteurs, le professeur Aronnax, hôte accidentel du sous-marin Le Nautilus, peut observer des épaves et même des monuments reposant dans les silencieuses profondeurs du domaine de Neptune.
Depuis des siècles, les ruines englouties font rêver les hommes. Elles ont inspiré des mythes, des œuvres littéraires et des films. En réalité, de nombreuses ruines gisent effectivement sur les fonds marins. On pourrait mentionner le phare et le quartier royal de l’ancienne Alexandrie, en Egypte ; la cité grecque de Pavlopetri (qui eut sa plus grande activité entre le XVIIème et le XIIème siècle avant J.-C. et serait la plus ancienne ville engloutie connue actuellement), le port du centre religieux et commercial hellénique de Délos, de millénaires édifices de la ville sacrée hindoue de Dwarka, ou encore l’établissement de Port Royal, qui fut le siège du gouvernement britannique en Jamaïque et s’enfonça dans la mer des Caraïbes en 1692.
J’évoquerai aussi des vestiges archéologiques plus discrets mais qui nous entraînent plus loin dans le passé de l’humanité, par exemple : l’énigmatique cercle de bois de Holme 1, situé sur une plage anglaise régulièrement submergée par la marée et datant de la fin du IIIème millénaire avant J.-C ; le site de Tybrind Vig, occupé du VIème au IVème millénaire avant J.-C. et localisé aujourd’hui à 300 m des côtes danoises ; et les établissement paléo-indiens (parmi lesquels certains ont plus de 10 000 ans d’âge) de la baie d’Apalachee, en Floride.
Plusieurs phénomènes peuvent expliquer l’insolite destin de ces lieux : l’élévation du niveau des mers (qui fut de plusieurs dizaines de mètres à l’issue de la dernière grande glaciation, il y a quelque 10 000 ans), des éruptions volcaniques, des tremblements de terre (comme dans les cas d’Alexandrie et de Port Royal), des glissements de terrain, l’érosion ou l’affaissement du sol.
Les sites subaquatiques présentent d’intéressantes caractéristiques. Dans la mer, la main destructrice du temps agit plus lentement et même de fragiles objets de bois ou de tissu peuvent traverser les millénaires. Dans certains cas, l’étude d’établissements qui se trouvaient jadis sur le littoral permet de mieux documenter les premières sociétés humaines qui se sont développées dans une région. D’autre part, les agglomérations côtières eurent, aux diverses époques historiques, un rôle actif dans le commerce et les relations internationales, ce qui favorisait leur prospérité et leur prestige. Ajoutons que les ruines des ports de l’Antiquité livrent de précieuses indications sur les variations du niveau de la mer.
Le patrimoine sous-marin, toujours plus menacé par la pollution et les déprédations, éveille aussi un intérêt croissant dans le monde. Il convient de souligner qu’au début de cette année est entrée en vigueur la Convention sur la Protection du Patrimoine Culturel Subaquatique, qui avait été adoptée par l’Assemblée Générale de l’UNESCO en 2001 ; et dans plusieurs régions de la Planète Bleue ont été créées des réserves archéologiques subaquatiques (on trouve 11 de ces réserves en Floride, sur les lieux d’anciens naufrages).
En 2010 pourraient commencer, dans la baie d’Alexandrie, les travaux de construction d’un projet particulièrement ambitieux : un musée sous-marin, dont les plans ont été dessinés par Jacques Rougerie, un architecte français fasciné par l’œuvre de Jules Verne.
Sébastien PERROT-MINNOT
Docteur en archéologie
Article publié le 29 octobre 2009 dans El Nuevo Herald (Miami).
(Traduit de l’espagnol par l’auteur)