Depuis quelques années, le Salon de Montrouge, grâce à une sélection plus serrée, est redevenu l’occasion de faire des découvertes (jusqu’au 2 juin 2010). Même si le choix du jury me comble de perplexité (surtout lui), j’ai repéré une dizaine de jeunes artistes (dont deux que je connaissais déjà assez bien) qui valent la peine d’être suivis, je crois.
A l’entrée, on est aussitôt accueilli par deux grandes toiles de Farah Atassi, qu’on reverra bientôt à Dynasty, puis dans une grande galerie parisienne, et que Beaux-Arts Magazine a remarquée récemment : ces grandes pièces vides sont parmi les rares toiles dignes d’intérêt ici, le reste de la peinture présentée au Salon se complaisant dans les redites et les banalités. On peut néanmoins noter, parmi les étudiants des Beaux-arts de Lyon invités ici dans un réduit tout au bout du hall, une composition de Karolina Kazmierska, fresque noire au mur, néon au sol et grilles créant un effet assez destroy, comme une caverne, une friche terrifiante. Un autre ‘peintre’ nous présente son portrait par Titien : c’est moi, Jean-Philippe Basello, que Titien a peint, et non pas Ranuccio Farnese; messieurs les conservateurs du Louvre, messieurs les historiens d’art, merci de rectifier vos notices, vos cartels; certes Ranuccio me ressemble, mais c’est MON portrait. Voilà une forme d’appropriation plus intéressante que d’ordinaire.
Les deux ‘photographes’ les plus intéressants du Salon n’exposent pas, ou presque pas, de photographies. Isabelle Le Minh, connue pour avoir effacé avec Photoshop les personnages de photos célèbres de Cartier-Bresson, annihilant ainsi l’instant décisif, montre ici une encyclopédie anecdotique de l’art, qui dégueule d’une antique imprimante toute la mémoire du monde : son Listing délirant (”tu sais, l’artiste qui …”) est une belle interrogation sur l’histoire de l’art. Elle fut aussi la première à photographier l’envers des tableaux, idée reprise avec succès par un autre. J’aime bien ce questionnement, cette impertinence.
L’autre diplômée d’Arles qui joue loin de la photo est Isabelle Giovacchini, il y a quelque temps. Le travail présenté ici tourne autour du vol, de l’envol et de la chute. Elle travaille aux marges, dans les interstices de la réalité : ces avions, franchissant le mur du son, disparaissent dans une fente spatio-temporelle, seul subsiste leur trace éphémère. On perd pied face à sa manipulation, à sa transformation du monde, visible, sonore ou écrit.
Tout près, une installation toute en finesse d’Hakima El Djoudi qui aligne des armées terrifiantes, défilé de soldats aux uniformes colorés, qui sont en fait construits à partir de billets de banque pliés : non pas tant un discours sur l’argent et le sabre, mais plutôt, à mes yeux, volonté confinant à l’absurde de catégorisation, de déclinaison, de cartographie encyclopédique et envahissante. En parallèle, sans lien particulier, une vidéo sur la musique orientalisée de Mon amie la rose où l’image en boucle saute toutes les dix secondes, induisant un vertige très poétique et troublant.
Un autre obsessionnel des plus intéressants est Antoine Poncet, qui fait une fixation sur la ligne Maginot, merveilleux mythe ridicule de notre histoire des échecs. Cartes, maquette, sacs de sable, tout un univers se reconstruit ici, qui renvoie à d’autres murs, plus actuels et plus honteux, à d’autres imaginaires, plus offensifs et plus morbides.
Enfin, deux installations visuellement prenantes, celle de Stéphane Cauchy qui réinvente le mouvement perpétuel des clepsydres et celle de Stéfane Perraud qui explore l’univers des lucioles dans une cage lumineuse fascinante.
Sinon, encore quelques impressions positives : les photos de Manon Recordon, les dessins au stylobille de Nikolas Fouré, les sculptures minimales de John Cornu, le flou délibéré de la chef op’ Agnès Godard, le ‘noir c’est noir’ de Romain Huteau, les cannes suspendues de Mathis Collins, la destruction de la cuisine Ikea de Julie Vayssière et les sculptures visqueuses de Kirill Ukolov m’ont aussi retenu. Par contre, outre le trop-plein de peinture banale, il y a aussi beaucoup de travaux au second degré (le dossier de candidature, le texte de présentation exposé comme oeuvre, le prix des tableaux et autres propositions éculées), réflexions sans support solide, pièces sans tenue véritable.
Mais c’est un beau Salon.