« Seules les traces font rêver » René Char
Depuis qu’adolescente j’ai découvert Les Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar, l’empire romain du IIe siècle de notre ère n’a plus cessé de me passionner. Tivoli, où l’empereur avait fait construire la villa de ses rêves, conforme à ses goûts d’esthète, m’est dès lors apparue comme un lieu d’exception, un de ceux qui hantent à jamais l’imaginaire. Mais qui était cet Hadrien, dont le souci constant fut la République et l’éternité de Rome ? L’actualité nous le rappelle opportunément en lui consacrant une exposition au British Museum, un film de John Boorman et une biographie savante de Yves Roman*.
D’après les documents juridiques de l’époque, l’empereur, qui avait succédé à Trajan en août 117 grâce à une adoption orchestrée par Plotine, était un soldat aguerri qui aimait l’armée et les grandes manoeuvres, un amoureux de l’architecture, un esthète qui savait s’inspirer de ses prédécesseurs grecs, enfin un voyageur impénitent qui, avant d’être empereur, avait parcouru une bonne partie de l’empire et on sait que l’empire d’alors était immense. Une fois devenu son souverain, il restera un homme à cheval. On peut le considérer à ce titre comme le premier vrai touriste, quelqu’un qui n’hésitera pas à monter au sommet de l’Etna pour contempler le paysage et de s’accorder maints détours pour le seul plaisir d’admirer un site ou de chasser l’ours ou le lion.
On sait qu’il a construit à Rome un Panthéon encore visible et impressionnant avec sa coupole en forme d’hémisphère de 43,30 mètres de diamètre, le temple de Rome et de Vénus ( le plus grand de la ville éternelle ), le temple de Patidie du nom de sa belle-mère et un mausolée qui l’obligea à faire ériger un pont sur le Tibre et qui est l’actuel château Saint-Ange. Enfin on se souvient qu’au cours d’un de ses voyages il rencontra un jeune Bithynien du nom d’Antinoüs et que ce favori, beau comme un astre, finit, dans des conditions obscures, noyé dans le Nil. Ecrasé de douleur, Hadrien en fit un dieu, le dernier dieu du monde antique, et fonda en son honneur une ville sur le lieu même de sa disparition, Antinoupolis. C’est donc un être riche et complexe qui régna de 117 à 138 de notre ère sur le plus grand empire du monde. Un homme surdoué, habile dans tous les arts, dévoré d’orgueil, asocial, autoritaire, interventionniste et dominateur, probablement moins séduisant que dans le portrait brossé par Marguerite Yourcenar.
La romancière voyait en lui une préfiguration du prince de la Renaissance, juriste et artiste, stratège et politique, sage et cynique, savant et voluptueux, lucide et tolérant, en quelque sorte un humaniste avant la lettre. La réalité est plus sombre
et l’approche de l’historien Yves Roman sans doute plus vraisemblable. Il n’en reste pas moins que l’empereur Hadrien était d’une stature assez rare, de celle d’un François 1er, d’un Charles-Quint ou d’un Louis XIV, personnalités qui ont marqué leur temps d’une trace indélébile.
Si François Ier eut son Chambord, Louis XIV son Versailles, l’empereur Hadrien a eu sa villa Adriana. Un lieu unique à quelques kilomètres de Rome, dans une campagne ombragée de cyprès, où la lumière, parfois, semble se cristalliser comme un diamant. C’est dans ce palais que se dévoile le mieux l’âme du monarque et son amour immodéré de l’architecture. Dans cette demeure et les prouesses architecturales qui la composent, l’historien lit » la croyance en l’existence d’un dieu cosmique« , la preuve que le souverain était » un guetteur de tous les au-delà, au-delà dont il crut avoir maîtrisé de nombreux secrets « . Ce besoin d’ériger avait à faire avec l’espace et le temps et exprimait la volonté de l’emporter toujours et partout, de se mesurer à l’éternité. L’empereur aimait les défis et sa villa en est un. Belle et majestueuse, elle allie tous les arts, évoque toutes les grâces, initie tous les rêves. On voudrait s’y attarder au bord de ses eaux dormantes, y évoquer la gloire et le malheur, y charmer le sommeil, y convoquer les muses. Socrate disait que l’amour est le désir de renaître par l’entremise de la beauté. Et n’était-ce pas le vœu intime d’Hadrien que cet hymne d’amour écrit dans le marbre et le porphyre soit le reposoir d’une seconde vie ?
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
* de Yves Roman : Hadrien, l’empereur virtuose ( Ed. Payot )
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