Souvenirs de moto
Je mentirais en faisant remonter la frénésie dès le berceau, cependant la passion des deux roues à moteur m’a pris jeune, alors que j’étais tout juste adolescent. En effet, je me souviens, âgé à peine de quatorze ans, fréquentant le lycée Ampère à Lyon, je m’émerveillais devant la 450 Honda, l’un des plus rapides bolides de l’époque, vers les années 1969. Nous habitions Saint-Fons dans la banlieue de Lyon, et je prenais le bus numéro 12 jusqu’à la place Bellecour au centre ville. Le trajet était fort long dans les embouteillages du matin. De là, à pied je remontais soit la rue de la République soit les quais pour me rendre au lycée. A l’époque le concessionnaire Honda se situait à l’angle de la place de la Charité et du quai du Rhône, à l’emplacement exact du Sud, l’une des brasseries de Bocuse. Lorsque je passais devant l’étalage de motos, la forme racée surmontée d’un réservoir bombé tout en courbe de la 450 attirait irrésistiblement mon attention. Les exemplaires exposés à la vente étaient de deux couleurs, soit noire ou bleu métallique, de toute beauté ! A l’avant du réservoir le magnifique sigle circulaire de la marque, symbolisant une aile, m’hypnotisait littéralement. Je me disais avec tristesse et impatience, qu’il me faudrait attendre encore deux longues années avant de passer le permis, et dans la foulée espérer posséder une telle bombe. Eh oui ! A cette époque le permis moto toutes catégories s’obtenait dès 16 ans, à un âge où l’on est encore qu’un gamin. Mais heureusement pour mes deux frères et moi, nos parents, même s’ils nourrissaient quelques sérieuses inquiétudes quand aux accidents qui nous guettaient, ils s’astreignaient à ne rien montrer. Donc, ils envisageaient de nous acheter une grosse moto dès que nous aurions l’âge réglementaire de la piloter. Par contre, en ce qui me concerne, lorsque j’ai eu un fils en âge de posséder une moto, l’idée qu’il en demande une, me plongeait dans un véritable état de terreur. Je savais trop par où j’étais passé et à quoi j’avais réchappé. C’est justement l’histoire que je vais vous raconter.
Ces deux longues années d’attente, je devais les mettre à profit afin de faire quelques économies, base psychologique afin de conduire mon père à rajouter le complément, c’est-à-dire au moins les deux tiers du prix, afin que ce monstre de ferraille, que je contemplais plein de convoitise tous les matins en me rendant au lycée, soit enfin mien.
Faire des économies, lorsqu’on a 14 ans ? Les moyens, on en a vite fait le tour. Essayer de travailler un peu durant les vacances et économiser sur les quelques argents de poche que me donnaient mes parents. Là, il s’agit des moyens traditionnels, mais en me creusant un peu la tête me viendraient quelques autres idées, pas toujours très honnêtes, qui plus de quarante ans après me font encore un peu honte de l’enfant que j’étais. Mais considérons qu’il y a prescription. Je vous en reparlerai.
Le travail pendant les vacances, pour un enfant qui ne rêve entre autre chose que de pêche cela n’est pas très facile. Nos voisins, plagistes sur la plage centrale de Saint Raphaël, m’embauchent pour l’été. Commencement du travail à 6 heures et fin le soir vers 18 heures. Me lever tôt n’était pas un problème pour moi, mais passer mes journées à fournir du matériel à des foules denses qui venaient se griller voire se brûler au soleil, cela a été rapidement au dessus de mes forces. L’ennui devenait insupportable. Donc au bout de quatre jours j’ai traîtreusement laissé tomber mes plagistes. Je me suis trouvé un autre travail, nettement plus pénible et physique mais qui me convenait bien mieux. Mettre des patates en filet en manipulant une grosse machine. Tout d’abord, il fallait commencer par trier les pommes de terre, car dans le filet elles devaient être calibrées. C’est là que j’ai découvert que de ces tubercules il en existait de vraiment très grosses. Donc une fois les spécimen hors gabarit écartés, je mettais en branle la machine, qui envoyait dans un grand fracas et un nuage de poussière une giclée de cinq ou dix kilos de pommes de terre, selon le réglage. Elles tombaient dans le filet, que je fermais à l’aide d’une grosse agrafe et je lançais le produit fini sur un tas qui rapidement prenait des dimensions respectables. Certes, le salaire était misérable, et si j’avais dû compter sur ce que me rapportaient les patates, il m’aurait fallu empaqueter et déplacer un véritable Mont Everest ! Mais cela faisait partie de la stratégie plus globale, qui en dernier ressort devait conduire au fait qu’en réalité la moto serait payée en grande partie par mon père.
Les vacances terminées et les menus travaux arrivés à leur terme, l’école ayant repris, le principal moyen de thésauriser consistait à économiser le prix du bus que je prenais deux fois par jour pour me rendre au lycée. Le gain, certes n’était pas très important de l’ordre d’un franc, mais il se répétait chaque jour ouvrable. Bien entendu, mes parents ne devaient pas être au courant. Et pour cela, il me fallait partir à l’heure de passage du car. Le trajet était de l’ordre d’une dizaine de kilomètres. Je me souviens de ces courses effrénées à travers les rues de Saint Fons puis de Lyon, le long de l’itinéraire du bus numéro 12. De façon étonnante, lui et moi mettions à peu près le même temps. Dans la grande ligne droite vers l’hôpital Saint Luc, il me laissait sur place, mais ensuite dans les bouchons je grignotais la distance perdue et vers l’avenue de Saxe nous faisions route commune. Le plus pénible pour moi était de transporter mon cartable, qui était un réel frein au rythme de la course. En effet, devant en saisir la poignée dans l’une de mes mains, je ne pouvais prendre la cadence, tous les membres synchronisés, du coureur de fond. Bien souvent, cette serviette trop chargée de livres et cahiers, je la mettais sous le bras gauche puis un peu plus loin sous le droit et ainsi de suite. Dans cette position mon rythme de course était moins entravé, et j’avais moins d’efforts à fournir.
Bien évidemment un gamin qui court tous les matins sur dix kilomètres le long de l’itinéraire du bus avec son cartable sous le bras, cela finit par se remarquer. Des parents seraient-ils insolvables au point d’imposer ce calvaire à leur enfant. D’autant plus que mon père était très connu comme médecin, par conséquent certaines personnes connaissent ma silhouette. Un jour un patient, intrigué de me voir tous les matins en plein effort, est venu le dire à ma mère. Elle ne l’a pas cru. Elle m’a rapporté l’anecdote en rigolant. Bien entendu, j’ai fait l’étonné et fait mine de ne pas comprendre de quoi il s’agissait. Elle n’a pas poussé plus loin ses investigations, cela lui paraissant par trop loufoque ! A cette époque, mon « look » n’était pas terrible, mais bien à la mode de l’époque. Je portais une longue tignasse blondasse aux cheveux raides que je ne peignais jamais. Mes dix kilomètres de course matinale en tenue de ville, me transformaient en véritable fontaine chaque matin lorsque j’arrivais au lycée. Je me demande ce que pensaient les professeurs en me voyant arriver dans cet état, pour le moins lamentable. Ce n’était certainement pas la meilleure préparation pour être réceptif aux cours ! Être tout suant et collant dès huit heures du matin et ne pas se changer de la journée, n’est, pour le moins, pas très confortable. Mais outre la grande forme physique que cela m’a apporté, et qui me reste plus de quarante ans plus tard, j’en ai tiré une habitude de la rusticité qui m’est elle aussi restée.
Pour compléter quelque peu ma trésorerie, il m’arrivait de temps à autre de piquer dans la caisse à monnaie de mon père une ou deux pièces de 1 franc. En effet, son cabinet de médecine était contigu à notre appartement. Dans l’un des tiroirs de son bureau, il avait disposé une grosse boîte pleine de pièces, qui lui servaient à rendre la monnaie. Il m’arrivait donc de venir me servir, avec le raisonnement quelque peu cynique, que ce serait toujours cela qu’il n’aurait pas à débourser le jour où il achèterait la fameuse moto ! Je l’écris avec quelques difficultés et je n’en suis pas fier du tout avec le recul. Ces fautes de jeunesse, qui me laissent un petit goût d’amertume, m’ont amené à être d’une intransigeance absolue en matière d’argent, surtout quand ce n’est pas le mien.
Donc mon « chiffre en banque » augmentait doucement à coup de pièces par-ci, par- là. Durant les deux années que dura cette période d’économie, je ne suis pas resté à pied, vers les quinze ans, j’ai récupéré la mobylette de mon frère aîné. Il s’agissait d’une Peugeot trois vitesses. Cet engin m’a permis de faire mes premières armes sur la route. Bien que la vitesse atteinte ne fût pas énorme, dans les parcours sinueux, je m’amusais déjà bien. Très rapidement on décide de se confronter aux copains, et c’est ainsi que commencent les premières courses. Nous avions un lieu privilégié, un circuit mythique, la route de la corniche entre Cannes et Saint Raphaël. Je me souviens des départs de Cannes même, les sept premiers kilomètres le long des plages, pratiquement en ligne droite. Avec nos engins qui atteignaient le soixante à l’heure maximum, nous étions à fond, en groupe serré, cinq ou six. Les choses sérieuses commençaient en bout de ligne droite, après la longue plage dessinant la baie, avec le premier virage à 90 degrés. Là débutait la route de la corniche à proprement parler. Bien entendu, dans le groupe compact chacun voulait être le dernier à freiner, et surtout ne pas être le premier. Un jour arriva ce qui très logiquement devait arriver. Personne ne ralentit, et le premier du groupe partit en dérapage de la roue arrière et s’étala. Les autres collés derrière ne purent pas faire grand-chose, et tout le monde finit sur les fesses au milieu du terrain-plein de l’autre côté de la chaussée. Heureusement comme ce fut très souvent le cas, à part quelques petites éraflures sans gravité, personne n’était blessé. Ce genre d’incident se terminait dans des éclats de rire de notre part et dans la stupéfaction des automobilistes qui avaient assisté au spectacle.
Une autre fois sur cette même corniche, étant seul, mais je roulais, comme d’habitude, le plus vite possible. Du côté d’Agay dans une longue courbe en oméga, je me laisse embarquer par la vitesse et me retrouve derrière la ligne jaune à essayer de ne pas être trop déporté. Face à moi arrive dans ce virage serré un panier à salade. Je lui fonce droit dessus, sans pouvoir modifier ma trajectoire. Le gendarme au volant a le bon réflexe de faire un écart brutal et nous nous évitons de justesse. Je me souviens d’avoir vu tous les gendarmes en train de hurler en levant les bras au ciel dans le véhicule. Mais le temps qu’ils fassent demi-tour dans cet endroit dangereux j’étais déjà loin.
Je me souviens aussi de la descente de la nationale 7 du côté des Adrets dans l’Estérel, roue arrière en dérapage, plus ou moins saccadé dans tous les virages d’une chaussée en mauvais état. Je finissais par prendre l’habitude de ce genre de conduite et j’en éprouvais un vif plaisir. A cette époque, nous n’envisagions même pas l’idée de mettre un casque, alors que nous terminions assez fréquemment à traîner sur la route au milieu des gerbes d’étincelles de la ferraille qui frotte sur le goudron.
Un jour avec un camarade dénommé Jean-Luc, nous avons effectué notre premier voyage à mobylette de Saint Raphaël jusqu’en vallée d’Aoste. Ce périple a duré deux jours par certains grands cols des Alpes, comme le Mont Cenis et le Petit Saint Bernard. Nous avions dormi dans une cabane en pente en bordure de route et le matin au-dessus de nous dans la lumière du soleil levant, la pointe acérée du Mont Pourri nous dominait du haut de ses 3700 mètres. Cette aventure de courte durée m’a profondément marqué, et peut-être est-ce pour cela que maintenant je me lance dans de grands périples à vélo ? Cette nuit au bord de la route du col du Grand Saint Bernard, a sans doute été le facteur déclenchant (à très long retardement) du plaisir fou que j’éprouve durant les périples au long cours, à ne pas savoir où je vais coucher la nuit à venir.
Les deux années se sont écoulées. A 16 ans j’ai passé le permis de conduire. Dans ces temps reculés, ce n’était vraiment pas ruineux. L’investissement consistait en l’achat du code Rousseau et de ne pas oublier le jour du permis de se munir d’un timbre fiscal à 15 francs. Par contre le code il était indispensable de le connaître sur le bout des doigts. On se présentait à l’endroit indiqué avec une moto. Bien entendu, il était hors de question de s’y présenter en la conduisant, mais accompagné par un camarade ou un frère. En ce qui me concerne, ça se présentait mal. Le copain qui devait venir avec sa 180 Yamaha, a fait défaut sans prévenir. Par la suite il s’est excusé, désolé que sa moto ait refusé de démarrer ce matin. Et il n’y avait pas de téléphone portable dans ces temps déjà lointains pour informer des contretemps.
L’examen se décomposait, d’ailleurs comme actuellement en deux parties, théorique et pratique. D’abord le code, assis dans la voiture de l’examinateur, je débite ma leçon par cœur, les X cas de ceci et les Y cas de cela. Je réussis brillamment, on savait à l’époque ce qu’apprendre par cœur signifiait. Cent fois sur le métier passer l’ouvrage. Il me faut ensuite affronter la phase pratique de conduite. Heureusement, un second candidat s’était présenté avec une 250 Suzuki. Il est réticent à me la prêter pour mon test de conduite. Le moniteur s’y met et lui ôte ses dernières hésitations. Me voilà parti, sur un engin que je considérais déjà comme une grosse cylindrée. L’examinateur me demande de faire le tour de la place qui se trouve devant nous. Nous sommes jour de marché. Je pars doucement parmi les ménagères, sac à la main, qui traversent un peu partout. La 250 Suzuki a la particularité de posséder six vitesses, ce qui est quand même beaucoup, pour une moto qui n’est pas vraiment une grosse cylindrée. Bien entendu je n’y suis pas habitué. Très rapidement je n’ai plus aucune idée du rapport sur lequel je me trouve. Surtout ne pas caler et ne pas renverser une ménagère. En jouant sur l’embrayage, je fais mon tour de place et reviens me positionner devant l’examinateur en débrayant, car je ne trouve pas le point mort. D’un tour de poignet rapide je coupe le contact et mets la béquille. Emballé c’est pesé, je suis reçu !
Cette formalité effectuée, il ne me restait plus qu’à avoir la moto, ce qui n’a pas tardé. Quelques mois plus tard, bien entendu grâce à mon père je deviens propriétaire d’une splendide T500 Suzuki et non d’une 450 Honda. En effet, nous avions un camarade qui avait ce type de moto et il en était très satisfait. De plus elle était plus puissante que la Honda. Il n’en fallait pas plus pour s’engager vers cette option. C’est ainsi que j’ai fait connaissance des gros deux temps, contrairement à Honda qui fabriquait des moteurs quatre temps. La première particularité d’un moteur deux temps : la puissance n’est délivrée que quand le régime moteur devient important. On a donc l’impression, le temps que les tours montent, que la moto « ratatouille » et puis d’un coup la puissance arrive, et là on reçoit un véritable coup de pied aux fesses ! La sensation est absolument prodigieuse. Le second rapport s’envolait jusqu’à 120 et le troisième à 160. Le tout dans un hurlement de moteur en surrégime, ce qui nous transportait de joie. La seconde caractéristique de ce type de moteur, il n’y a pas de frein moteur. Ce qui modifie la technique de conduite. De plus la T500 était une machine réputée pour la très mauvaise efficacité de ses freins. Donc vous avez compris tout l’avantage d’un bolide qui n’a ni frein ni frein moteur, adrénaline assurée ! En effet, très rapidement le réflexe fut non de freiner en cas d’obstacle mais de chercher à esquiver.
Passer sans transition de la mobylette à ce genre d’engin puissant, l’un des plus rapides de son époque comporte pour le moins quelques risques, dont je ne vais pas tarder à faire les frais. Trois jours après avoir eu ce cadeau fabuleux, je circule sur une petite route de campagne dans les environs de Lyon. Je ne roule pas très vite, mais de toute évidence trop vite pour la maîtrise que j’ai de mon cheval d’acier fougueux. Arrive une intersection en Y, j’hésite, à gauche ou à droite ? En finale, l’absence de décision aidant, la moto bondit entre les deux routes. Elle plonge dans un petit ravin et je percute de face le talus opposé. Je suis projeté la face sur le compteur, que je casse d’un prodigieux « coup de boule », plutôt coup de nez. Je suis pour le moins sonné. Je reste certainement un certain laps de temps dans mon ravin. En effet, le choc a été rude et il me faut reprendre mes esprits. Enfin, je sors et pars à pied le visage ensanglanté. Un peu plus loin je rejoins une maison, je demande de l’aide. On vient m’aider à sortir la moto qui cependant roule encore, mais je la laisse. Gentiment une personne me raccompagne en voiture jusqu’au cabinet médical de mon père. Immédiatement il me prend en charge, quelques points par-ci d’autres par-là. Pour un motard, avoir un père chirurgien, qui de plus a pratiqué la chirurgie de guerre c’est bien pratique ! Puis une fois le travail de couture terminé, il me dit « et ta moto ? ». Je lui réponds que je l’ai laissée à proximité du lieu de ma chute. « Quoi avec ce que tu as, tu ne l’as même pas ramenée ! ». Ni une ni deux, nous voilà repartis en voiture pour ramener immédiatement l’engin. C’est comme cela que juste recousu, tuméfié un peu partout je me suis retrouvé à conduire ma T500. Le soir, de retour à la maison ma mère me voyant dans cet état, pour ne pas l’inquiéter, car elle n’appréciait pas vraiment ce genre d’activité, je lui ai dit que j’étais tombé dans les escaliers. Elle n’a rien dit, mais ne m’a jamais cru. Effectivement pour une chute dans les escaliers le bilan était pour le moins assez lourd. Les plaies étaient de belles dimensions, car j’en garde encore des cicatrices plus de quarante ans après.
Mais je dois dire, rien de tel qu’une belle chute due à la vraie incompétence, pour faire prendre conscience du problème. Mes lacunes de défaut de conduite, je les ai maîtrisées assez vite, et sur la longue liste des accidents qui ont suivi, je crois que l’inconscience et la folie étaient les causes principales, et non l’incapacité à manœuvrer ma moto. Je dois aussi reconnaître que la chance m’a souvent souri et que j’ai frôlé à maintes reprises les drames les plus terribles. Mais il y a un ange gardien parfois pour les fous. Et il a fait en sorte que par un mélange de coups de chance, de réflexes et de hasards, souvent je suis passé plus que limite, mais je suis passé. Parfois quand ça a accroché, je m’en suis tiré seulement avec quelques égratignures, voire juste un peu plus.
Alors a commencé une période de folie qui a duré quelques six années. Elle a réellement pris fin lorsque j’ai commencé ma vie professionnelle à vingt deux ans. Les activités alternaient entre petits tours en ville et grandes randonnées sur route. Mais dans les deux cas une caractéristique constante, « la poignée dans le coin », c’est-à-dire chercher toujours à rouler très vite. A cette époque, déjà ancienne, le début des années 70, la police et la gendarmerie étaient beaucoup moins sévères que maintenant. Il nous arrivait de faire des infractions incroyables en matière d’excès de vitesse et de nous en tirer avec une simple « engueulade ». La liste serait longue si je devais rappeler tous ces arrêts suite à un signe d’un policier. Je ne résiste pas cependant à vous rapporter quelques anecdotes à ce sujet.
Un jour je descendais à Saint Raphaël par la nationale 7. Je traverse à vive allure un village. A la sortie un gendarme me fait signe de me garer, l’air courroucé. Il me demande « à quelle allure roulais-tu ? ». Je ne me souviens pas de la réponse que je lui ai faite, peut-être aucune d’ailleurs. En effet, de toute évidence pour le moins je fonçais, donc que lui répondre ? Alors c’est le policier qui reprend l’initiative et me lance en colère « 163 ! On se couche et on fonce ! »Aïe ! Aïe ! Aïe! Le représentant de la loi n’avait pas l’air du tout content ! Il me passe le savon qui va bien et contre toute attente, il me laisse repartir. Je démarre doucement et durant quelques kilomètres je laisse le moteur en régime lent, le temps de m’éloigner. Puis étant certain d’avoir mis la distance nécessaire entre lui et moi, pour qu’il ne puisse plus m’entendre, je « lâche les tours ». La moto rugit, et mon parcours en direction de la Côte d’azur reprend à vive allure.
Une autre fois m’étant rendu à la fameuse concentration de moto à Val d’Isère qui s’appelait le Chamois, je rentrais chez mes parents en vacances au bord de la Méditerranée dans l’Estérel. A cette époque, l’autoroute dans la vallée de l’Isère n’existait pas encore, toute la circulation se concentrait sur une simple deux voies le long de la rivière. La route se caractérisait par de longues lignes droites. Sur l’une d’entre elles lancé à fond couché sur ma moto, le menton sur le bouchon à essence du réservoir, je m’engage dans un dépassement en troisième position, une moto étant déjà en train de doubler une voiture devant moi. Ma vitesse dépasse légèrement les 180, le compteur plus optimiste affichant pas loin de 200. Alors que j’ai l’impression d’être déjà presque dans l’herbe sur le côté gauche de la chaussée, un bolide me dépasse à vive allure en quatrième position. Il dépasse allégrement les 200 ! Il s’agit d’une Munch Mammouth monstre mythique à l’époque. J’imagine la tête de l’automobiliste qui se fait dépasser par une bande de fêlés, échelonnés jusque dans l’herbe !
Un peu plus loin, je rejoins l’une des routes de montagne qui se dirige vers le sud de la France. J’y rencontre un motard chevauchant une 650 Yamaha et nous commençons à faire la course. On ne chôme manifestement pas, dans tous les virages ou presque des étincelles giclent, dues au frottement de la béquille lors des fortes inclinaisons de nos motos. J’ai toujours adoré ce bruit fort et sec de ferraille qui frotte le sol à grande vitesse. Il faut être d’autant plus vigilant que dans ces cas, on n’est pas loin de la limite et les marges de manœuvre sont réduites. Dans une courbe le pilote de la Yamaha fait une erreur et sa moto part tout droit face au précipice. In extremis, il la rattrape sur un petit espace un peu avant le grand saut. Un peu plus loin, il négocie mieux que moi un virage et prend de l’avance dans une ligne droite avant un village. Je mets « la poignée dans le coin » pour essayer de le rattraper. Mais il n’a pas l’intention de se laisser faire. Il arrive le premier à l’entrée du village, et tout naturellement c’est lui qui se fait cueillir par un gendarme qui surgit sur la chaussée. Je freine tant que je peux et passe devant le gendarme, qui ne me dit rien. Je continue donc ma route en ayant ralenti, dans le but d’attendre mon compagnon de rencontre. Effectivement, quelques kilomètres plus loin, dans mon rétroviseur je le vois grossir. Nous reprenons notre course et quelques dizaines de kilomètres plus loin à nouveau un village en bout de ligne droite. Cette fois je suis devant et n’ai pas l’intention de me laisser doubler. L’histoire se répète presque à l’identique : une ligne droite, un village au bout, deux motos à fond et un gendarme qui fait irruption en gesticulant, consterné par la vitesse et le bruit des engins à fond. Il devait nous entendre arriver depuis un bon bout de temps. Mais la différence comme je l’ai dit, je suis devant. Donc le gendarme m’arrête et pas l’autre motard. Il me demande « en quelle classe tu es ? » En effet à cette époque j’avais tout juste dix sept ans, donc encore un gamin.
-En première Monsieur
-Quelle série
-C Monsieur
-Récite-moi les lois de Mariotte
-eh !!!
-Il est nul en plus ! A part te coucher sur ta moto et faire le fou tu ne sais pas faire grand-chose ?
-……
Après cette conversation pour le moins originale vu les circonstances, je pense que nous allons passer aux choses sérieuses et au PV qui va avec. Eh bien non ! Mon gendarme une fois encore, après m’avoir fait la morale, me fait signe de repartir. Comme l’arrêt avait été d’assez longue durée je n’ai jamais rattrapé la Yamaha. Pourtant, je n’ai pas mis longtemps à reprendre ma route à un rythme de toute évidence bien au-dessus de la vitesse autorisée.
Un autre jour alors que je me rendais une fois encore à Saint-Raphaël par la route Napoléon, au sommet d’une côte je coupe le moteur et laisse filer ma moto en roue libre sous le seul effet de la gravité. La déclivité est importante, je prends assez rapidement de la vitesse. Après une courbe, une ligne droite de quelques centaines de mètres et la descente prend fin, la route escaladant le relief suivant. Mais dans la dépression un véhicule de gendarmerie. Trop tard pour faire quoi que ce soit. Tout de suite l’un des gendarmes me regarde, intrigué par cette moto qui arrive à vive allure sans aucun bruit. Tout naturellement je viens m’arrêter à sa hauteur avant le début de la côte. Comme tout détenteur du permis le sait, il est strictement interdit de rouler moteur coupé. Bien entendu cette infraction m’est immédiatement reprochée et j’ai droit à un sermon de plus, certes mérité. Après le contrôle de mes papiers, le gendarme me laisse repartir sans me verbaliser. Je mets le moteur en route et dis au revoir au représentant de la loi et démarre. Il se met alors à crier et à gesticuler. En effet, en partant je n’ai pas regardé dans le rétroviseur, et je m’apprêtais à percuter un cycliste qui me dépassait. Le gendarme excédé par ce chauffard aux commandes d’un gros bolide, me fait des signes de désespoir après avoir évité l’accident que je m’apprêtais à provoquer.
L’axe nord-sud à l’entrée de Lyon représentait aussi un lieu privilégié pour nos « exploits ». Le soir vers les 21 heures lorsque la circulation était à nouveau très fluide il nous arrivait lorsque le vent du sud soufflait de faire des pointes de vitesse du confluent, Rhône Saône, jusqu’après la trémie de Perrache en rentrant dans Lyon. Lorsque nous arrivions dans la partie descendante, qui passe sous la route se dirigeant vers le tunnel de Fourvière, et qui permet d’accéder à la ville, on avait vraiment l’impression de sauter au plafond à des vitesses de l’ordre de 180. Un soir alors que je débouchais à cet endroit presque en lévitation, les policiers étaient en train de procéder à des contrôles de vitesse. A l’époque la limitation était de 80 km/h. De toute évidence je dépassais cette vitesse autorisée d’au moins cent à l’heure ! Des voitures étaient arrêtées et les chauffeurs en train de se faire verbaliser. J’ai surgi tellement rapidement qu’aucun policier n’a eu le temps d’amorcer le moindre geste que j’avais déjà disparu dans le lointain, tout en espérant que le feu tricolore au niveau du premier pont soit vert. J’imagine les réflexions des automobilistes en train de se faire sanctionner pour des vitesses légèrement supérieures à la limite et voir la police impuissante à stopper une moto en très grande infraction !
Un soir alors que je sortais de Lyon en direction du sud, après avoir négocié, en frottant la béquille, le virage très raide de la Mulatière, je m’élance sur l’autoroute en poussant les régimes au maximum. J’ai dit précédemment que la Suzuki T500 avait des freins que l’on pouvait tout au plus qualifier de doux ralentisseurs, de la même manière on aurait pu comparer son phare avant à une lampe de poche de faible puissance. J’avançais plus en me repérant aux formes fantomatiques des rambardes de sécurité, que je visualisais faiblement du fait des lumières de la ville en arrière plan, plutôt qu’en voyant la chaussée. Tout d’un coup sur l’autoroute déserte, je vois des silhouettes s’agiter juste devant moi. Je freine et bien entendu, la vitesse commence à doucement baisser. Je me mets à louvoyer parmi des ombres humaines, afin de ne pas les renverser. Certaines sont équipées de pistolets mitrailleurs ! Je distingue une herse, heureusement la police, car il s’agit bien d’elle, ne panique pas et ne la tire pas et ne me tire pas non plus dessus. Je finis par m’arrêter et je me retrouve avec plusieurs armes braquées sur moi. On me demande pourquoi je ne me suis pas arrêté plus tôt. C’est très simple, je n’ai rien vu. Manifestement ces policiers devaient attendre quelques bandits et de ce fait pour ne pas éveiller leur méfiance, ils ne s’étaient pas du tout signalisés dans le noir. Ils ont contrôlé mes papiers et ont convenu que je n’étais pas entièrement responsable de ce qui venait de se passer. Rétrospectivement lorsque je me remémore cette scène, je ne peux m’empêcher de penser que j’ai de la chance d’une part de ne pas avoir renversé un policier et d’autre part de ne pas m’être fait tirer dessus. Vive le sang froid de la police !
Je vais vous relater un autre jeu stupide que nous pratiquions par temps de brouillard sur autoroute. On mettait la roue avant sur la bande blanche la plus à gauche et on roulait au maximum de ce que nous pouvions avec des visibilités inférieures parfois à cinquante mètres. Cela me fait froid dans le dos, lorsque je pense à notre degré d’inconscience je dirais même d’irresponsabilité criminelle, mais à 18 ans on s’imagine immortel et bien souvent le sens des responsabilités et des conséquences de nos imprudences nous échappaient complètement. Donc lancé à vive allure, les yeux rivés sur cette bande blanche comme guide, je me retrouve le temps de quelques secondes au milieu de véhicules qui se sont percutés dans le brouillard et par chance aucun ne s’est trouvé sur ma trajectoire. Ai-je rêvé ou alors suis-je bien passé au milieu d’un joli carambolage ? Je ne suis même pas certain que cela m’ait fait ralentir !
Dans la série les grandes bêtises il nous est arrivé l’aventure suivante. Nous avions l’habitude chaque hiver d’aller faire de l’escalade au Baou de Saint-Janet au-dessus de Nice. Nous partions de Lyon avec nos motos. Un soir du mois de décembre, nous démarrons tardivement Pierre-Yves et moi. Lui conduisait une 250 Suzuki et moi ma T500. Nous n’étions pas encore sortis de Lyon que la moto de Pierre-Yves subit une panne totale d’éclairage. Il est déjà tard et nous voulons grimper demain, donc une moto avec phares suffira. Il va parcourir les 500 kilomètres du trajet deux mètres derrière moi les yeux fixés sur mon feu arrière. Le temps n’était pas beau. Nous avons essuyé la pluie sur de longues distances. Doubler un camion de nuit sous la pluie en moto est une opération pour le moins stressante. A partir d’une certaine distance derrière le camion on n’y voit absolument plus rien, ses énormes roues vous aspergeant d’un véritable rideau d’eau. On perd presque tous ses repères, on est quasiment aveugle et à vive allure de nuit c’est très inquiétant, voire terrorisant. Le seul guide ténu, auquel se raccrocher, est matérialisé par le flanc du camion à quelques dizaines de centimètres. On ne regarde plus devant, mais on garde les yeux rivés sur cette remorque qui défile à proximité. On est souvent tenté de ralentir devant l’absence totale de visibilité. Mais cette nuit, je devais faire d’autant plus attention, que Pierre-Yves sans phare était collé un mètre derrière moi avec seul repère mon phare arrière. Le moindre à-coup de conduite de ma part et il me serait rentré dedans. Mais tout s’est bien passé et nous sommes arrivés à destination sans le moindre pépin. J’ai été très étonné, par l’absence de réaction de la police lorsque nous sommes arrivés au péage au sud d’Aix-en-Provence. En effet, un contrôle était en cours. Une moto sans phare sur l’autoroute à 11 heures du soir en décembre c’est pour le moins curieux. Eh bien, je n’en reviens toujours pas mais ils ne nous ont pas arrêtés, cela était sans tout trop aberrant pour qu’ils réalisent la réalité de notre inconscience!
Un autre jeu très stupide, il nous arrivait de jouer à la moto qui roule toute seule en doublant des voitures à vive allure. On se mettait entièrement sur le cale-pied avant gauche caché derrière le réservoir avec seulement les deux mains sur le guidon. De cette façon, lorsque nous dépassions les voitures sur route, durant quelques secondes le conducteur voyait une moto sans pilote. Il ne nous remarquait finalement que lorsque nous avions franchement dépassé la voiture. Nous avons peut-être été responsables de crises cardiaques ?
Et puis bien sûr, il y a eu la longue liste des accidents, qui heureusement se sont toujours relativement bien terminés. Entre les chutes à mobylette et les chutes à moto, comme conducteur ou passager, je crois arriver au décompte de 22. Au cours de ces accidents, j’ai subi quelques bobos plus ou moins sérieux, mais jamais de graves traumatismes. Au plus un membre cassé, de quoi être handicapé un mois ou deux, ce qui ne m’empêchait pas de conduire mon deux roues tout en étant plâtré.
Je ne vais pas me lancer dans la longue description de toutes ces chutes mais relater les plus marquantes. Tout d’abord le plus violent, lors d’un trajet que je faisais en tant que passager derrière mon frère qui possédait aussi une Suzuki T500. Nous étions en 1972, je venais juste d’obtenir le bac et j’arrivais à Saint-Raphaël pour les vacances. Sur le pneu arrière de ma moto un drôle de phénomène venait de se produire. Les crampons sans doute du fait d’une gomme trop tendre s’arrachaient, rendant la conduite dangereuse. Mon frère connaissant du côté d’Istres un marchand aux prix doux et aux produits de bonne qualité, nous décidons de partir tous les deux sur sa moto acheter deux pneus. Tout se passe pour le mieux à l’aller. Notre achat effectué, nous rentrons sur Saint-Raphaël. Je suis en place arrière avec les deux pneus passés autour du corps. Sur la nationale 7 un peu avant Brignoles, nous roulons à 120km/h. Sur le bord de la route un véhicule garé, sans crier gare, il fait demi-tour et se met en travers de notre chemin. Mon frère n’a même pas le temps d’actionner les freins que nous le percutons au niveau de la roue avant gauche, qui d’ailleurs sera quasiment arrachée, démontrant la violence du choc.
Je me souviens très bien de cet épisode. Il est gravé dans ma mémoire de façon indélébile. Je vois la voiture faire demi-tour, mon frère essayer une tentative d’évitement par l’avant et le choc. Mon frère passe par-dessus le véhicule percuté et part très loin du fait de l’énergie cinétique due à la vitesse. Pour ma part, me trouvant à l’arrière, la moto au moment du choc ayant pivoté vers le haut, je pars sur une trajectoire plus haute, m’élevant dans les airs alors que mon frère a été projeté sur une trajectoire plus directe au ras du sol. Il est donc parti plus loin. Alors que je m’élève, avec mes deux pneus qui me dépassent, je le vois filer plus bas et bien devant moi. Au passage sans doute je heurte le toit de la voiture avec mon pied droit, ce qui m’occasionne une fracture du tibia, à moins que cette blessure ait été occasionnée au moment où je suis retombé sur la route ? La police et les pompiers arrivent rapidement sur les lieux. Je suis emmené à l’hôpital sans urgence, car ma blessure n’inspire pas de crainte particulière. Mon frère lui est indemne. Il a roulé dans les buissons en bordure de route lorsqu’il a atterri. Le lendemain il sera perclus de contusions et aura du mal à se mouvoir, mais absolument aucune plaie. Je me retrouve à l’hôpital de Brignoles et cela ne me plaît pas vraiment. La fracture est diagnostiquée, et on prévoit de me mettre un plâtre. Mes parents ayant été alertés, notre mère vient me voir à l’hôpital, notre père étant lui à Lyon. N’y tenant plus dès le lendemain, un camarade me rendant visite, je me sauve sur son dos et je rentre à Saint-Raphaël, alors que je ne suis toujours pas plâtré. Mon père arrive et me prend en charge afin de le faire, ce qui me soulage, car une fracture laissée à l’air libre occasionne de sérieuses douleurs au moindre mouvement lorsqu’on se déplace à cloche-pied ! Afin de rendre mes déplacements plus confortables, mon père munit mon plâtre d’une petite talonnette en caoutchouc. Je vais trouver cela tellement pratique que très rapidement je retrouve une bonne mobilité. Je vais me sentir si bien, qu’au bout d’une quinzaine de jours je vais même essayer de faire de l’escalade avec mon plâtre, en posant justement cette talonnette en caoutchouc sur les prises. Bien entendu ce n’est absolument pas sa vocation, même si je sens qu’elle adhère bien au rocher un peu à la manière d’une gomme de chausson d’escalade. Arrive ce qui doit arriver ! Alors que je développe en poussant en appui sur cette talonnette afin d’aller chercher une prise de main plus haut, sous la contrainte de mon poids, elle s’arrache. Je me retrouve pendu quelques mètres plus bas au bout de la corde, car je grimpais en premier. Mes velléités d’escalade s’arrêtèrent là, avec quand même une belle frayeur ! Mais bon puisque l’escalade m’est interdite, je vais me rabattre sur la balade à moto, car mon plâtre ne m’empêche pas de m’en servir et me permet, confort suprême, de me servir du frein arrière, actionné par ma jambe blessée. Bien entendu comme les pépins arrivent en groupe, selon la loi très connue des séries, je ne vais pas tarder à avoir un autre accident. Une voiture vient me percuter alors que j’effectue un dépassement dangereux par la droite à la sortie d’un tunnel sous une voie ferrée. L’auto m’ayant compressé la jambe gauche contre le réservoir de la moto, un gros hématome se développe à l’intérieur de la cuisse le long de l’os. Mon père étant présent car en vacances, me prend immédiatement en charge et me conduit à l’hôpital de Saint-Raphaël et demande à voir un chirurgien. L’étant lui-même, cela facilite les choses et dans la foulée je suis amené en salle d’opération afin de procéder à la réduction de cet hématome qui grossit de façon inquiétante. Le chirurgien opère, mon père regarde ce qu’il fait par-dessus son épaule. Cela ne dure pas très longtemps et nous rentrons chez nous. Sur le chemin du retour mon père me dit que le chirurgien n’a pas fait du bon travail et qu’il allait y remédier. Sitôt rentrés, j’ai droit à une deuxième intervention sur ma cuisse. Cette fois l’instrument n’est pas le bistouri, mais les ciseaux de cuisine. De la pointe il pique dans l’entaille faite précédemment et l’élargit afin d’extraire des caillots de sang oubliés le long du fémur. Après avoir bien pressé et retiré des corps solides, il met en place un drain toujours à l’aide de sa paire de ciseaux de cuisine. La vocation de ce drain est de permettre d’évacuer tous les corps et autres liquides qui empêcheraient la réduction de l’hématome. Il est très utile d’avoir un père chirurgien lorsqu’on est un motard téméraire et imprudent !
Je n’avais pas été le seul client de mon père durant les vacances. En effet, un matin au lever nous entendons notre mère pousser des cris lorsqu’elle ouvre la porte de la maison. Sur le paillasson, l’un de nos chats est à l’agonie. Il a réussi à se traîner jusque là dans un très mauvais état, après s’être fait percuter par une voiture. La famille au complet rapplique. Mon père prend la direction des opérations. Le chat est amené sur la table de la cuisine, l’auscultation commence. Très rapidement une grosse fracture ouverte au niveau de l’articulation de la patte avant est diagnostiquée Il est nécessaire d’opérer le « gros Mickey » afin de réduire la fracture, et il faut le recoudre dans tous les sens, car il est déchiré de partout. Avec mes deux frères, nous avons pour mission chacun de tenir fermement une patte valide afin que notre père ait toute latitude de s’occuper du membre cassé. Le chat tente bien de se débattre, mais son état ne lui permet pas d’offrir une forte résistance. D’une main experte mon père lui remet les os en place et le recoud. Le chat survivra et se remettra très bien de cet accident, il n’en gardera qu’une légère claudication.
Revenons aux accidents, je vais vous en relater un dernier. Il fut sans conséquence mais particulièrement cocasse. Un matin alors que nous sommes à Lyon, nous partons faire de l’escalade à Doizieux avec Robert. Il possède une 350 Honda. Ce jour là je suis passager. Nous sommes en hiver et il fait très froid. Lorsque nous arrivons dans le petit village, le soleil se lève. Nous débouchons sur la place au milieu du bourg et là nous dérapons sur une plaque de verglas et allons rouler contre la fontaine du village. Un pépé assis au soleil en bordure de la placette assiste à la scène. Il nous gratifie du commentaire suivant lorsque nous nous relevons : « Vingt dieux, je suis là depuis une demi-heure dans l’attente de voir si y’en a qui allaient se casser la gueule sur le verglas ! ». Rien à rajouter.
Encore une anecdote qui s’inscrit bien dans le contexte « motard » de l’époque. Notre père dans le but de traiter la charpente de notre villa à Saint Raphaël avait acheté trois grands bidons de 10 litres de xylophène. Cet achat il l’avait effectué à Lyon et lors de sa descente vers la côte pour les vacances d’été, dans le fourbi de la voiture il n’a pas eu la place pour ces trois gros cubes de métal aux parois très minces. Comme je devais aussi venir dans le sud, il m’a demandé de descendre les trente litres de xylophène. Robert était avec moi. Nous accrochons comme nous le pouvons les trois bidons les uns sur les autres à l’arrière du siège de ma T500 . Cela fait vraiment un bagage de très grande hauteur qui empiète très nettement sur la place du passager. Comme je l’ai précisé les parois de ces récipients sont très fines. Donc rien que le fait de les empiler donne à l’entassement un aspect pour le moins louche. Mais on ne va s’arrêter à ce genre de détails secondaires. On se glisse tous les deux sur la partie de siège qui reste disponible. Il est collé contre les trente litres de xylophène et moi je suis presque assis sur le réservoir. Mais tout va bien, et tellement bien, qu’au lieu de prendre la route la plus facile, l’autoroute du sud et la nationale 7, nous optons par la route Napoléon. En effet, nous ne manquons jamais une occasion d’aller voir des montagnes. Au bout d’une centaine de kilomètres, les chaos de la route ont mis les bidons à rude épreuve et l’un d’eux commence à se fissurer. Le xylophène se met tout naturellement à couler. On sait qu’il tue irrémédiablement les insectes destructeurs de poutres. Par contre nous découvrons les effets qu’il a aussi lorsqu’il a imprégné votre slip ! C’est surtout Robert, le pauvre qui découvre ! On comprend facilement que les termites et autres bestioles n’aiment pas. En effet, ça pique dur !!! Malgré nos déboires nous arriverons à Saint Raphaël avec un peu plus de vingt litres de ce précieux liquide et cela suffira pour la charpente de la villa.
En fouillant dans ma mémoire, beaucoup d’anecdotes remonteraient, comme cette fois où lancés dans une course effrénée le long de la corniche entre Cannes et Saint-Raphaël, Robert et moi, chacun sur sa moto, avons croisé dans un virage sans visibilité un bus par la gauche, ou alors cette autre fois mon frère Marc lancé à vive allure dans une courbe à la visibilité là aussi pour le moins réduite est passé sur le mètre déroulant entre deux gendarmes qui prenaient des mesures suite à un accident, ou encore une séance d’aquaplaning à180km/h en courbe avec reprise de contrôle tenant du miracle au moment de percuter la rambarde de sécurité, et puis aussi ce camarade qui glisse dans une courbe et qui sur les fesses, précédé de sa moto, va faire un Strike comme dans une partie de bowling, sur une terrasse de café au milieu des chaises et des tables, heureusement il n’y avait pas de client !
Ces années de jeunesse à faire les fous à moto, nous y avons survécu car la chance nous a souri avec insolence. Mais il ne faut pas trop la tenter et je m’abstiens maintenant de faire de la moto, même si des esprits tentateurs essayent de me faire retomber dans les démons de la vitesse à deux roues. Mais les conditions ne sont plus les mêmes. La clémence de la police, il n’est plus question d’y compter, la moindre infraction se paie cash ! La chance aussi doit en avoir un peu assez, donc je prône la prudence la plus absolue sur la route. Ces histoires retraçant nos bêtises de jeunesse que je viens de vous relater remontent à des temps révolus, et il serait de très mauvais goût de s’en inspirer.
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